où s’impliquent les lectures, se fondent les écritures

11/05/2012 — Dominique Scarfone¹, Ivan Alechine², Claude Louis-Combet³


« Notons que les paroles peintes [...] de l’Annonciation de Lorenzetti, sont, elles aussi, dans le fond d’or, pas devant ni sur ce fond. Cet aspect nous intéresse tout particulièrement, dans la mesure où nous pouvons reprendre la question du contraste entre l’espace (marqué par la perspective) et le lieu (où se fondent les objets et les paroles) dans le contexte que nous évoquions au sujet du rêve : que les opérations logiques et les paroles n’y sont que des apparences.

[...] Il nous faut insister ici sur le fait que la colonne, dans sa partie supérieure, se dissout pour ainsi dire dans le fond d’or peint à la manière byzantine, et que les paroles peintes en font autant. « Dans la partie haute [...], la colonne n’est ni devant ni sur le fond d’or ; elle est dans ce fond, au même titre que les lettres gravées de la salutation angélique ». [1]


D’une figurabilité l’autre, s’entendra non seulement de cette présentation méta-freudienne de Dominique Scarfone de « l’annonciation du rêve », dans l’article éponyme recueilli dans son dernier ouvrage paru aux éditions de l’Olivier — dans la collection Penser/rêver — ce qui ici ne saurait que s’imposer, mais encore aux deux autres livres dont j’aurai en quelque sorte fait du sien le pré-texte. Avec l’expression « le lieu où se fondent les paroles et les objets », le psychanalyste aura parlé d’or, et ce n’est que la perspective offerte par l’énonciation qui donne de démêler ce qu’il en est du sujet de l’énoncé, puisque rien n’interdit d’y apporter le trouble d’un élément impliqué, il y suffit d’une banderole, porteuse d’un autre texte, de son propre message inversé comme on sait depuis certaine lecture d’Edgar Poe, dont Huysmans, il en sera question plus loin, était précisément un fervent.


— Dominique Scarfone Quartiers aux rues sans nom

S’il cite judicieusement Panofsky et Daniel Arasse, dans son approche de L’Annonciation d’Ambrogio Lorenzetti, tout comme celle de la fresque d’Altichiero da Zevio, Dominique Scarfone n’entend pas faire œuvre d’historien d’art, mais nous mener à cette conclusion : « Comme les phylactères en peinture, les paroles entendues ou écrites dans le rêve témoignent d’une étonnante virtuosité de l’« art » onirique : faire de la lettre le lieu même de l’irruption de l’affect inconscient, redonner au mot son statut d’acte ».

Son étude, précédée d’une manière d’introduction avec l’article précédent, « Ce qui s’annonce », se situe me semble-t-il dans le droit fil des vues de Jean Laplanche, et d’une infidélité fidèle à Freud, c’est sans doute pourquoi elle a connu une première publication dans les Libres cahiers pour la psychanalyse [2]. Elle pourrait en être tout aussi bien la postface, relançant à la fois vers le il y a, de son indicible qui transperce la chronologie, souligne-t-il d’ailleurs, et qui nous conduit à un très beau texte que les lecteurs de Penser/rêver ont déjà eu le privilège de découvrir « Vers l’avant ? » [3] l’histoire d’un petit-fils qui cite aujourd’hui Abbey Lincoln en exergue, et qui se souvient de « C’è o non c’è ? » lancé au retour de ses jeux par un grand-père affectueux, main refermée sur un trésor à la fois minime et fabuleux : il y a ou il y a pas ?, pour nous amener à : « Mais justement, il n’était pas une fois, il y a — maintenant », mettant à la question le « C’était mieux avant » qui aurait pu paraître comme le mot d’ordre des pulsions postulées par Freud, et amorçant une réflexion méta-psychologique, s’appuyant sur Hannah Arendt lectrice de Kafka, examinant la brèche du temps, et se tenant au bord d’un il y a « qui n’est pas tenu serré dans une main généreuse, mais qui se dérobe autant qu’il incite à une saisie dans le domaine du sens ».

Concernant ce livre de Dominique Scarfone, une Suite lunaire, chapitre deux, dont le point de départ est une réflexion d’enfant, « Pourquoi la lune marche-t-elle avec nous ? », nous conduit quelques vingt pages plus loin à Bertolucci, et à La Luna, avec pour coda Leonard Cohen : They’ll never, ever reach the moon/At least the one thy’re after [4]. Chemin faisant, le lecteur aura connu les tribulations d’une patiente, mais aussi l’initiative de l’analyste, réalisant en situation la chimère qu’a conceptualisée Michel de M’Uzan, il fallait en effet, « faire quelque chose », ce qui justifie l’image-titre retenue, de s’aventurer parfois dans des "quartiers aux rues sans nom" ; cette brève recension serait incomplète si elle ne mentionnait quel changement de plan entraîne le nécessaire changement de position du clinicien. En voici l’argument :

« On s’aperçoit que ce qui se transfère ne saurait être simplement inféré à partir de l’histoire du sujet, lequel ne va pas simplement reproduire en acte ce qu’il nous aurait auparavant laissé entrevoir en paroles. Tout au contraire : le transfert surgit là où la parole manque. Du fait de cette « aphasie », il est la seule <i<autre voie praticable. L’une des dernières contributions de Freud à la neurologie a été un traité sur les aphasies, après quoi il s’est intéressé plus intensément à l’hystérie, et à ses liens avec des traumatismes infantiles. Son intérêt pour l’enfance ne marque peut-être pas, en fait, une si grande rupture : infantia, concerne l’infans, « celui qui ne parle pas » ; à ce titre, le latin traduit exactement le grec a-phasia ».

De là :

« L’analyste ne peut plus s’en tenir au regard clinique. Il se met plutôt en position d’écoute, dans une disponibilité qui ne peut se ramener à la simple bienveillance médicale. Quelque chose de sa propre in-fantia se trouve engagé du fait de sa disposition à entendre ».

Quelque chose d’analogue s’est transporté (trans-ferre, meta-phorein), me semble-t-il, et se donne à entendre dans les ouvrages dont il sera question ci-après.


— Ivan Alechine Oldies [5]

La preuve par les couques :

« J’oublie : les couques achetées par mon grand-père sur la route de Sauvagemont, à hauteur de Waterloo. Est-ce la forme triangulaire de ce petit pain fourré aux pommes et luisant (on passait sans doute au pinceau une laque sucrée qui caramélisait les angles) que je retiens ? Un ensemble d’angles. Un triangle en tout cas bombé, fertile, une équation (on aurait pu demander au boulanger : « Je voudrais une équation aux pommes »). Ce pain, cette pâtisserie se confond avec l’endroit où mon grand-père l’achetait, sans doute même avec la chaussée qui fait partie, elle aussi, d’un triangle (un carrefour n’était pas loin). La chaussée, elle aussi, passée au four, brillante et bombée. Caramel des bordures... On remontait dans sa Mercedes beige, ronde, à volant droit. Les pavés bleus augmentaient l’essence du déplacement ».

Le grand-père : Alexandre Alechinsky.
Ici un air de Ce n’est que l’enfance, et peut-être plus encore L’aveu même d’être là. Du grand-père, qui échappe à deux guerres, on lira en quelques traits l’étonnant parcours (38), figuré peut-être par cette sorte de devise frappée en chiasme : « La vie grâce à la survie. La survie grâce à la vie », et qu’aura reprise à son compte le petit-fils, avec ces oldies, ces "vieilles choses", dont l’auteur recourant au "latin d’aujourd’hui" nous donne en quinze séquences, le goût de les reprendre, de les remettre en ordre, c’est à dire de dénicher sous l’apparent désordre, sans que la saveur en soit perdue, ce qui a tenu à se dire :

« Petit à petit, je mets des chiffres sur la poésie. Je mesure son espace, les coups portés contre elle. Au mètre près. Sans halte, sans lieu, sans dieu, mais guidé par l’ombre d’un peuple conscient de son origine - et son originalité peu à peu se confond avec le souvenir miné que j’ai de moi, et me ravaude ». (143)

On l’aura saisi, c’est un écrivain qui parle, plus encore un poète. Grandi dans une famille d’artistes, environné en son jeune âge des représentants d’un mouvement qui aura marqué durablement son époque, l’épigraphe du livre reprise en quatrième n’a bien sûr rien de fortuit quant à l’explication (démonstration) par Asger Jorn de sa théorie des migrations de l’image à travers la matière. C’est donc tout CoBrA qui resurgit, avec au premier rang le père, Pierre Alechinsky [6], et ses "alter égaux", on a déjà cité l’autre premier, viennent aussi Christian Dotremont [7], Jean Raine, Karel Apel, Luc de Heusch, Rheinoud Heise, j’en passe, et d’évoquer la maison d’école du Vexin, la survenue d’Alberto Gironella, qui projeta Ivan Alechine sur le sable de l’arène mexicaine. Tout cela pourrait avoir un effet "d’un temps que les moins de vingt ans" etc. Si cela s’inscrit, de fait, dans les pages qui nous sont proposées, cela serait fort insuffisant, la documentation existe, riche, nombreuse. S’il ne s’agissait que d’évoquer les quatre cents coups, d’un jeune homme prédisposé par son environnement [8], ses rencontres : un grand et beau chapitre consacré au trop méconnu Charles Duits [9], l’adolescence en soixante-huit, ses expéditions (vers le vrai, selon la formule de Kafka) en pays Mongo, ou celui de Castaneda, ce serait passer à côté d’un essentiel, le goût des mots, de les arranger, leur pouvoir de se raccommoder avec soi-même, du difficile équilibre qu’appelle la narration de soi. À cet égard, la rythmique choisie par l’auteur est une réussite, qu’il s’agisse du niveau d’ensemble, avec cette organisation en séquences qui ne forment pas une stricte chronologie (seule l’horloge intérieure la règle), ou de la succession des plans à l’intérieur d’une séquence, tandis que les phrases elles-mêmes ne s’empâtent jamais. Autant dire que le style, les choix d’écriture conviennent parfaitement au projet autobiographique (qui je suis, d’où je viens) dans sa vocation de transmission, non pas d’une image idéalisée, mais de ce que furent les essais pour être : de son temps, avec les siens, avec les autres.

Comme pour le "justifier", ce passage :

« Crève-la-faim, père et jeune amant, Jorn avait quarante ans, mon père vingt-six. Pierre Alechinsky : « Jusqu’à mes trente ans, chaque fois que je pourrai j’échapperai à la peinture. » Mon père se retenait de peindre. Il préparait son film, il apprenait la taille-douce, il éditait la revue Phases, mi-cobra, mi-surréaliste. Asger Jorn enseigne à mon père les premiers rudiments de la liberté en peignant à côté de lui (« en chantonnant, pour créer une bulle qui l’isole », dira mon père). Jorn : « Si tu ajoutes quelque chose à ton tableau, que ce ne soit jamais pour une raison esthétique. Uniquement pour des raisons d’expression. » Liberté chérie : Asger Jorn peint sur une porte du placard de ma chambre un Don Quichotte et un Sancho Pança nordiques en rose et bleu pâle, gris et blanc - presque argent -, une merveille à hauteur de petit garçon. Le départ de mes parents pour le Japon, fin juillet 1955, et mon séjour à Bruxelles ont effacé cette période. À peine avais-je posé le pied dans ma chambre de Belleville qu’elle me fut retirée ». (48)


— Claude Louis-Combet Huysmans au coin de ma fenêtre [10]

Que Claude Louis-Combet soit un fin connaisseur de l’œuvre de Joris-Karl Huysmans, à tout le moins la préface à une réédition de Lydwine de Schiedam [11] en 2002 pouvait en attester. Il était possible, légitime même de la tirer du côté de celles qui seront réunies à l’enseigne des Égarées [12] et autres Rose de Lima [13]. Exemplairement : « Ainsi le corps souffrant, pantelant, répugnant, de la sainte de Schiedam prend-il tout son sens dans une vision spirituelle ». On pouvait aussi lire :

« À ce point d’arrivée, force est bien de réévaluer la fameuse misogynie de Huymans. Ne parlons pas de l’homme. Laissons-le aux secrets de son intimité. Mais l’écrivain, le narrateur, Durtal, son alter ego de texte, avatar de Des Esseintes, n’a pas cessé, plus romantique qu’on ne l’a dit, dans son naturalisme et son hypocondrie, de chercher la Femme à travers des figures de femmes, ses contemporaines, de subodorer et de quêter l’Eternel Féminin à travers la galerie des gourgandines, des décavées, des petites vertus petites bourgeoises, des médiocrités ménagères, ouvrières et populaires. Il a trituré, décliné, ressassé, caricaturé le féminin jusqu’à la nausée, depuis Marthe jusqu’à Là-Bas, à travers Les sœurs Vatard, En ménage, En rade. [14] ».

Et si l’on reste en pays combettien :

« A la lecture de l’histoire de Lydwine, on découvre à quel point de justesse l’image de la victime recouvre celle de l’amante et combien le destin de la sainte est ambivalent, partagé entre douleurs innommables et ineffables jouissances [15] ».

Je ne me priverai pas d’autre part de garder aussi : « Seule la lèpre lui fut épargnée car celle-ci entraînait la relégation, ce qui « eût contrecarré les desseins du Seigneur et rendu l’expansion de la sainteté de Lydwine nulle ». Il y va sans doute de ce que Gilles Bonnet, orfèvre s’il en est, appelle « l’écriture comique de Joris-Karl Huysmans » [16] ». Prudemment peut-être, nous garderons cependant le mot humour, sachant qu’il ne fait défaut ni à Louis-Combet, ni à celui qui s’est avéré un beau jour son « compagnon de conscience ».

Ceci posé, qui découvrira ce Huysmans au coin de ma fenêtre, aux éditions Fata Morgana, complètera heureusement la vision qu’aura donnée cette préface à un des ultimes livres de l’auteur d’À rebours. Ainsi la prépondérance de la figure de Durtal, découverte très jeune, à l’âge de l’adolescence, d’abord sous forme de "morceau choisi" (un passage de En route) puis la lecture sans doute aussi difficile qu’exaltante (à dix sept ans) de La Cathédrale.

Et ce sont trois premiers chapitres [17] qui font pressentir ce que le premier rabat de couverture annonce sous la plume de l’auteur :

« Huysmans est le seul auteur dont je pourrais me réclamer s’il me fallait répondre à une question qui porterait sur le lien établi, dès le début et à la longue, entre l’écriture et l’existence » [18].

Donc, dès le début : « Avec Huysmans, dans les quelques lignes d’upe seule page de texte, tombée du ciel comme un aérolithe [Il s’agit dans cette page de En route, des ruminations intérieures de Durtal tout proche de la confession générale], j’accédais à un service de premier choix : celui qui poussait jusqu’à la perfection de l’incandescence l’exactitude du verbe associée à toute la richesse et à toute la désolation d’une expérience intérieure en laquelle je me reconnaissais tout entier, moi qui n’en parlais jamais, moi qui ne disais rien, moi que la mutité réduisait à l’état d’une ombre détachée de la vie et sans prise sur le réel, vouée seulement aux turbulences de ses contradictions ». (17)

Cependant, si se met en route le futur auteur, c’est pour bientôt prendre le chemin opposé, Huysmans rejoignant Ligugé, Louis-Combet brisant avec l’Abbaye Blanche. Les débats intérieurs se ressemblent, ils aboutissent à des décisions opposées. Reste, commun, le choix de l’écriture, nécessité intérieure à propos de laquelle Louis-Combet livre de bien belles pages, lisons :

« L’appel de la "nécessité" implique constamment et inconsciemment le risque de la contradiction - et toujours au nom de l’exigence d’authenticité. La même voix du cœur qui m’a commandé d’adorer m’ordonnera un jour de me détourner de l’adoration, de son objet tout au moins, et d’y renoncer. Ce serait là, me semble-t-il, comme l’expression d’une logique du pur amour : il avait fallu posséder à seule fin de pouvoir un jour se déposséder ». (36, je souligne, ajoutant que le chapitre de conclusion : « Fidélité de Huysmans, fidélité à Huysmans », illustre, à mon sens, tout particulièrement cette assertion. Par exemple : « La tension instituée entre l’être et le monde ne change rien à l’horreur de la réalité, mais elle opère, dans le cœur, le mouvement d’une conversion. Par là, je ressens comme une vérité essentielle, inséparable du style, dans l’expression : l’implication d’un homme qui écrit pour être, pour dire ce qu’il en est de son être, et, sur cette voie quasiment métaphysique de l’aveu, commencer à devenir [19] ». (100))

Je ne rajouterai que peu, laissant au lecteur d’apprécier l’écriture souveraine autant que pacifiée de ce livre indispensable, d’une facture parfaite, je mentionnerai juste comment une note du Pélerin russe, croisant la lecture de Là-bas, fit surgir l’intuition de la mythobiographie (et advint Marinus et Marina), ou encore le chapitre consacré à quatre peintres : Grünewald, Félicien Rops, Gustave Moreau, Odilon Redon, dont Les Yeux clos (comme la Beata Beatrix de Rossetti) ont cet effet : "dans le moment et dans la suite des jours qui se succédèrent, quelque chose en moi, une instance d’identité à la recherche d’elle-même sur la voie d’une aventure intérieure, éprouva comme une sidération, un appel de tout l’être vers le point de son accomplissement" (87 [20]).

Enfin, cet éclairage, ou cet éclaircissement :

« Il est vrai aussi que si je m’interroge sur les forces magnétiques qui se combinaient en moi dans mes années de latence, préparatoires à l’écriture, Huysmans n’est pas le seul à imposer sa ligne de direction. Il me faudrait citer au moins Edgar Poe et, parmi les auteurs récents, Bernanos, Julien Green, Pierre Jean Jouve, Pierre Klossowski et Joyce et Beckett. Proust est venu beaucoup trop tard. Et Gide n’est jamais arrivé » (55).

© Ronald Klapka _ 11 mai 2012

[1Dominique Scarfone, complète ainsi :

« Un regard attentif montre que ces paroles ne se superposent pas davantage à l’objet qui serait censé être derrière elles (la palme tenue de la main gauche) qu’elles ne sont recouvertes par l’objet qui est censé être devant elles ). Arasse prend la peine de préciser qu’il « ne s’agit pas d’une inadvertance de la part du peintre ». Il est par conséquent légitime de considérer que, d’une part, les paroles, tout comme la colonne, ne sont pas un élément figuratif quelconque, leur disposition en tant qu’élément « impliqué » [...] dans le fond d’or leur donnant au contraire une fonction décisive pour ce que le tableau est censé transmettre ; d’autre part, elles ne doivent pas être considérées comme des paroles destinées à être lues  : [...] ces paroles sont des choses, dotées d’une « présence » bien à elles. Malgré - ou au-delà de - leur sens linguistique, ces paroles signifient l’irruption de l’infini dans le fini, ou encore, de l’invisible dans le visible ».

[2Chacun des cahiers de cette revue, a pour argument un texte de Freud, le n° 14, a par bonheur élu l’article de Dominique Scarfone.

[3« Vers l’avant ? », Penser/rêver n° 19, C’était mieux avant, 2011.

[4« Jamais, jamais ils n’atteindront la lune/Du moins pas celle qu’ils pourraient poursuivre ». L. Cohen, « Sing an another song », Songs of Love and Hate, 1968.

[5Ivan Alechine Oldies, aux éditions Galilée, mai 2012.

[6Comme en passant, rappelons d’Hélène Cixous, Le voyage de la racine alechinsky, aux éditions Galilée, op. laud.
Ces oldies signalent aussi <i<fraternellement Nicolas Alquin (naissance p. 69), dont Plein fer avait retenu l’attention, et qu’on trouvera "du voyage" avec Les effets de la dissimulation, chez Fata Morgana.

[7Hautement recommandé : Grand Hôtel Des Valises, Locataire Dotremont - Les Entretiens De Tervuren, Galilée 1981, avec la présentation de Jean-Clarence Lambert (Cobra, un art libre, a été réédité en 2008).

[8Citons : « La baleine de toutes les drogues me cracha une première fois en 1976 contre les falaises de Malte. Au cours de ma chute, je publiai un court texte intitulé Écoute, à mon tour dans la collection « Les Poquettes volantes » au Daily-Bul, vingt-huit pages brochées sous couverture de carton rosé ; je voulais suivre l’exemple de Jean Raine et de son très beau - très sobre - Simulacres de l’innocence. Il y a un grand nombre de « fils de... » qui publie (qui peint ou qui joue) de façon éphémère. Mon père fit grise mine. Que venait faire ce chien fou dans son jeu de quilles ? André Balthazar avait tenu bon. Henri Michaux, au téléphone avec Joyce Mansour : « Dans son poème, l’auteur va de la cave au grenier ». Charles Duits : « Tu as mis le désert dans un grain de sable ». Le tout disparut comme ronds dans l’eau de l’océan noir. » (138-9)

[9« Charles Duits fait partie de ces rares écrivains dont la lecture peut bouleverser des vies entières. Il y a là peut-être, les vraies raisons du rejet dans lequel il a été longtemps tenu », écrit Thierry Guichard (Matricule des anges n ° 8, 1994).

[10Claude Louis-Combet, Huysmans au coin de ma fenêtre, aux éditions Fata Morgana, avril 2012.

[11Claude Louis-Combet, « Lydwine de Schiedam une figure de proue », préface à la réédition de Joris-Karl, Huysmans, Lydwine de Schiedam, éditions A Rebours, 2002, pp. 9-20.

[12Publiés en fascicules "aux dépens de la Compagnie de Trévoux", les portraits des Marie des Vallées et autres Claudine Moine, ont été réunis aux éditions Jérôme Millon, méritant en effet audience plus large. Nous nous y sommes, pour notre part employé dans la lettre du 13 octobre 2008.

[13L’Âge de Rose, Corti, 1997, a trouvé peu de critiques à la hauteur de ce texte, en dehors de la regrettée Anne Thébaud qui écrivait : À travers la figure de Rose, l’auteur traque une "image troublante de la féminité", réunissant "les extrêmes de la sainteté et de la sensualité", "image enfouie" au creux des émotions de l’enfance. (Quinzaine littéraire n° 710 du 16-02-1997). L’"homme de l’art" verrait sans doute comment les moyens de littérature traitent ce cas manifeste de trouble dans la féminité.

[14Et d’enfoncer le clou :

« »Dans l’ombre de Gilles de Rais, il a rencontré la démoniaque Chantelouve qui lui a réellement communiqué le frisson le plus noir du sacré. Ensuite, revenu de l’angoisse et de l’effroi comme d’autres pèlerins des cercles infernaux, il a chastement flirté avec la bonne madame Bavoil, la suavité même, moitié bas-bleu des sciences religieuses, moitié cantinière de la Cuisine des Anges. C’était une création de son âme de célibataire irréductible, en mal d’une bonne mère plutôt que d’une amante voratrice. Elle le conforte, l’assiste et l’instruit dans sa longue marche à la conversion catholique et à l’expérience monastique ».

[15« Dans ce récit, la corde de la féminité est pincée à l’extrême des sons qu’elle peut émettre. Les pleurs de la jeune fille accablée par le désespoir de sa déchéance physique se transforment dans les sanglots de la contemplative unie aux souffrances du Crucifié et finissent par s’effuser en larmes de plénitude, expression de joie transformante : « Elle pantelait, se tordait, crissait des dents ou gisait à moitié morte et elle était ravie au même instant ; elle ne vivait plus, dans un sens comme dans l’autre que d’excès ; l’exubérance de sa jubilation compensait l’abus de ses peines. » Ces phrases n’ont pas été écrites par Georges Bataille mais par Joris-Karl Huysmans, traquant à même les phénomènes corporels, chez une femme entrée malgré elle dans la voie de l’union à Dieu, un paroxysme d’existence et l’irruption de la transe théophanique.

A ce degré d’intensité vécue, l’amour de Dieu cesse d’être un topos de la littérature édifiante, il porte en lui-même une énorme charge érotique qui fait de la grabataire une pure et simple proie. Le corps rompu, écrasé, défiguré, largement putréfié est, à cette condition, sujet, matière et lieu d’extase comme d’un orgasme de l’âme ».

[16Il y a tout lieu de louer ce travail, une thèse remaniée, toute en finesse, sans déroger malgré tout aux canons académiques, à laquelle la lecture publique (B. U.) permet d’accéder, nonobstant une diffusion confidentielle (aux éditions Honoré Champion) pour un public désigné. Le recommander est vraiment la moindre des choses, à raison de la lisibilité, et de la haute estime en laquelle se sent tenu son lecteur. Exégète précis de François Bon (voir cette recension), Gilles Bonnet est un patient décrypteur des niveaux de textualité, et des ruses déployées pour former du neuf et en quoi ils se fondent.

[17Première rencontre ; Durtal, ensuite et jusqu’à présent ; Là-bas, Durtal en son commencement ; L’esprit de décadence, A rebours ; Du réel à en rêver ; De la douleur comme du désir et du mystère, quatre peintres ; Initiation à l’hagiographie perverse ; Fidélité de Huysmans, fidélité à Huysmans.

[18In extenso : “Ce n’est pas ici un essai sur Huysmans, l’homme et son œuvre, mais un témoignage de reconnaissance à l’égard d’une écriture dont l’esprit, incarné successivement en Folantin, en Des Esseintes et en Durtal, a imprégné en profondeur ma sensibilité littéraire, mon sentiment esthétique et mon sens du spirituel pendant mes années de formation. Huysmans est le seul auteur dont je pourrais me réclamer s’il me fallait répondre à une question qui porterait sur le lien établi, dès le début et à la longue, entre l’écriture et l’existence.” C. L.-C.

[19Suit : « C’est pourquoi l’œuvre de Huysmans, quoi qu’elle raconte et à travers la variété de ses personnages, respire l’autobiographie. Elle est l’espace de projection et d’expansion d’un être qui devient, par là, une manière d’ "homme d’écriture" (ainsi qu’il m’est arrivé de le dire à mon sujet), dont l’histoire personnelle ne présente pas plus d’intérêt que celle qu’il raconte - les événements comptant pour très peu de chose, la dimension prise par la conscience de soi demeurant à peu près pour le tout : c’est ce qui apparaît, le plus manifestement, avec Durtal, livré à son monologue intérieur, lequel ; à l’instar des rivières en partie souterraines, disparaît dans le silence pour reparaître en résurgences ».
Je me plais à relever, juste un peu plus haut :
« Quand je songe à Huysmans, à travers Durtal que je connais mieux, et que je l’imagine aux prises avec l’extériorité de la ville, passant, le plus souvent, d’un lieu clos à l’autre, je ne puis m’empêcher de me rappeler l’interminable déambulation d’une journée de Léopold Bloom qui remplit Ulysse de Joyce. Non seulement je me le représente sans peine garnissant sa poche d’un savoureux pied de porc ou se fricassant une poêlée de rognons avant de se mettre en marche, mais je le vois surtout - et pour moi, c’est presque un paradoxe - saisissant le monde à cru, d’un regard incisif, impitoyable, sans jamais perdre le fil de son discours intérieur, associant dans le même flux trivialités et sublimités, matière d’éros et émotions mystiques, érudition d’histoire et spéculations métaphysiques ».

Et de songer alors à un récent livre de Philippe Forest : Beaucoup de jours, dont bien des réflexions sur le "roman du je" intéressent à mon sens les pages ici "cousues de critique et de souvenirs" de Louis-Combet. On trouvera ces réflexions exprimées dans un entretien avec Laurent Zimmermann, Atelier Fabula, Le roman et le réel, 8 mai 2012.

[20Les pages 84 à 88 si elles rencontrent concernant Odilon Redon, les pages que lui a consacrée Huysmans dans À Rebours, c’est fort brièvement ; elles témoignent surtout de la vive sensibilité de Claude Louis-Combet, et m’incitent à rappeler Des artistes, aux presses du Septentrion. Concernant Huysmans au coin de ma fenêtre, des dessins de Roland Seneca, pourront appeler la glose érudite. Claude Louis-Combet, a donné, à son sujet, de nombreux textes, en ligne sur le site de l’artiste.