Définir avec Anne Serre, pour débuter,
et Conrad Stein, pour continuer

06/10/2011 — Anne Serre, Conrad Stein


I would define my love in some incredible penance
Of which no impotent language is aware.  [1]


Les Débutants, Anne Serre

Associer les vers de la carmélite-poète américaine, et les travaux d’Anne Serre n’a rien d’une facétie. Dans l’itinéraire de la famille spirituelle de la première on parlera de commençants, de sacrifice des lèvres, et pour dire l’ineffable s’imposera le recours à l’oxymore. Ici, pour tâcher de définir le mot amour, il ne faut pas moins qu’un roman. Je l’ai lu, avec un immense intérêt, un intense plaisir, j’ai aussi souffert avec les personnages : Anne Serre sait, d’un savoir que le critique, éternel grand débutant, pourra toujours s’employer à définir, sait donc ce qu’écrire veut dire. J’ai noté — je ne serai pas le seul — et je partirai de là, comment Marc Fumaroli accueille ce nouveau livre [2] et en particulier comment il conclut :

« Dans ce roman, qui revient aux sources profondes du genre, la société, la vie professionnelle, le monde, la « réalité » sont relégués dans le flou. Si Guillaume, Thomas, Anna ne sont pas écrivains, ils partagent du moins avec l’écrivain ou l’artiste cette évidence capitale que la vérité du cœur et de l’âme est ailleurs que dans la réalité sociale et qu’elle est à chercher jour et nuit dans l’affectivité, dans l’intimité, dans un loisir qui n’a rien d’oisif, car c’est en lui que se livrent les travaux titanesques et que s’opèrent les épreuves terribles dont l’enjeu est l’unique nécessaire : la vérité du désir. Vérité romanesque, a dit René Girard, à dégager de la gangue du mensonge romantique et naturaliste. Les Débutants ? Oui, sur ce chemin, nous le sommes tous. » [3]

Et pourtant de pareil sujet, on pouvait tout craindre. Mais voilà il est possible de dire autrement ce qui de loin apparaîtrait comme une banale affaire de trio amoureux, lisons plutôt, au mitan du livre :

« Les jours passent. Elle appelle, il répond, il a toujours répondu aussitôt quand elle l’appelait, même lorsqu’il était en réunion, en plein travail, au bout du monde. Elle passait toujours avant tout. Il est malheureux, il souffre, mais il répond. Elle essaie de lui faire comprendre qu’il n’y a pas lieu d’être malheureux, que c’est une erreur. Certes elle a ce lien avec Thomas, et alors, cela l’empêche-t-elle de l’aimer lui aussi, lui d’abord ? Ce n’est pas qu’elle aime peu Thomas, c’est qu’elle l’aime autrement, tout à fait autrement que lui, c’est absurde qu’il compare, Thomas n’est pas un rival, il est comme un autre pays, comment peut-on exiger de quelqu’un qu’il n’aime qu’un seul pays quand deux lui plaisent beaucoup ? N’est-il pas tout à fait normal et même sain d’être capable d’aimer deux pays ? Guillaume persiste à ne pas la comprendre. Peut-être est-ce une question de mots ? Du sens que chacun donne à certains mots ? Mais elle avait toujours cru qu’ils parlaient la même langue. Or, elle commence à comprendre : lorsqu’il dit aimer il veut dire être amoureux, plein de désir et d’émoi. Elle, non. » (93)

Plus loin :

« Elle voudrait dormir avec l’un, avec l’autre, et même, pourquoi pas, avec les deux ensemble. L’un serait devant et l’autre derrière, elle serait collée contre le dos de l’un et l’autre serait collé contre son dos à elle. Comme elle serait heureuse dans cette chaleur, cette gangue. Comme il est dommage que les hommes ne puissent aimer ainsi une femme à deux sans en faire toute une histoire. Alors ils ne se quitteraient plus tous les trois. Il n’y aurait plus tous ces problèmes de division, déchirure, choix mortel. Mais quand elle regarde leurs visages dans le ciel, elle voit qu’ils ne sont pas du tout d’accord, ni l’un ni l’autre, avec ce programme. » (105-106)

On voit que c’est un peu plus subtil, et, pour les lecteurs, d’Anne Serre (Anne, alors ?) se reconnaît ce qu’il est convenu d’appeler une musique d’auteur, celle de la voix narratrice, celle des verbes aussi, et le rythme de la phrase qui épouse celui des mouvements intérieurs des personnages, car définir n’est pas simple, les questions se posent, l’agere contra s’impose, un discernement plus subtil se propose, et c’est bien une question de langue et de mots. A laquelle la littérature, par exemple, pour l’exemple, apporte sa médiation, et c’est la figure de Jude l’obscur qui conduira à ce que Thomas, sorti du livre, s’enhardisse, qui sera venu mettre le doigt sur la plaie, figurée ici parce qui n’avait que les apparences de la réussite amoureuse - aux yeux du « monde » - : « c’est dingue, dit-il », et « elle », « rit. »

Il m’a été donné un jour, incidemment, de découvrir la puissance de pénétration de la pensée littéraire d’Anne Serre — la petite épée du coeur— à l’occasion d’un article, un "rebonds" du journal Libération, qui m’avait valu une vive controverse avec un alter ego dans les cheminements d’écriture (de ce jour ils se séparèrent) : Donnez-leur du feu ! cet article [4] dont j’avais oublié qu’elle en était l’auteure, a resurgi en mémoire à la relecture du Cheval blanc d’Uffington [5], la narratrice y fume conséquemment. Il ne s’agissait pas d’une facile apologie du tabagisme, mais de la quintessence du littéraire qui se dit parfois encore mieux encore quand "le livre n’est pas dans le livre" (Michon) quand les gestes, les regards sont à la hauteur de ce qui sera mis en mots [6].

Avec Les Débutants, ouvrage d’une belle ampleur, Anne Serre nous donne de son feu, qui réchauffe, éclaire, brûle parfois. Il ne faut pas craindre de s’y exposer. Ce qui fut sans doute une belle aventure d’écriture, sera pour beaucoup une belle aventure de lecture, et peut-être, souhaitons leur, quant aux représentations reçues (littéraires, entre autres) : un grand chambardement intérieur.

Conrad Stein, pour continuer

Un colloque en hommage à Conrad Stein (décédé le 16 août 2010 [7]), vient de se tenir les 30/09 et 01/10 au Collège des Bernardins, sous le chef Psychanalyse et Transmission [8]. Il est l’occasion d’une nouvelle publication de L’Enfant imaginaire en édition de poche (Champs Flammarion) [9] et de la parution d’un volume, intitulé Le monde du rêve, le monde des enfants (Aubier-Psychanalyse) [10], deux thèmes chers à l’auteur [11].

L’enfant imaginaire

La quatrième de couverture de l’édition de 1987 (la première en 1971), reprenait une recension de Nicolas Abraham dans la revue Critique n° 319, décembre 1973 ; l’essentiel y est dit jusque dans sa pointe :

« VISITE D’UN LABORATOIRE. Réception du visiteur. Tout bien arrangé pour lui faciliter la tâche : étiquettes, un ordre exemplaire et classique : La Situation analytique. Le Complexe d’Œdipe. Le Complexe de castration. Puis la recherche personnelle : l’Espace psychanalytique. De toutes ces machines, bien proprement disposées, on montre comment le fonctionnement va de soi. Mais à côté des évidences, on n’épargnera pas au visiteur les hésitations ayant précédé les résultats obtenus, les recherches, les tâtonnements, l’obstination du chercheur ... Ce que l’on ressent chez Conrad Stein, c’est que ses théories psychanalytiques ne sont pas pur exercice intellectuel- comme ses détracteurs l’insinuent quelquefois mais s’authentifient par et dans un inconscient actif et productif, où elles prennent ancrage. Pour ma part, je suis heureux qu’il m’ait été donné de soulever un coin du voile et de retrouver pour moi, et peut-être pour vous, dans un ouvrage technique de grande valeur, une œuvre qui, sans rien ôter au premier, l’enrichit d’une poésie que seule la psychanalyse peut mettre au jour. » [12]

J’y vais de mon grain de sel, manifestant ma prédilection pour certain Post-scriptum aux pages 111-116 de l’édition Denoël : L’esprit de l’escalier. Le lecteur, écrivain ou psychanalyste, tantôt l’un, tantôt l’autre, ne manquera pas d’être conquis (requis aussi dans sa patience) par cet abrégé saisissant du discours de la méthode en analyse selon Conrad Stein [13], et qui pourrait valoir, c’est mon point de vue, pour l’analyse littéraire ; c’est un apport considérable de celui, qui, à des disciples, préférait des interlocuteurs.

Le monde du rêve, le monde des enfants

L’enfant imaginaire justifiait son titre par ceci — que confirme sa lecture : « Le bénéfice du travail d’une psychanalyse réside dans la production d’une œuvre représentative d’un enfant qui serait à la fois soi et produit par soi et dont l’avènement est supposé devoir se produire du fait de sa reconnaissance par un tiers qui est, en premier lieu, le psychanalyste. Expérience personnelle, pratique du métier de psychanalyste et écriture du texte analytique sont indissociablement unies dans la référence à cet enfant imaginaire. »

On imagine sans peine que l’ouvrage publié aujourd’hui est de la même veine en ses différents chapitres [14], en n’omettant pas de préciser, selon le titre de la revue à laquelle Conrad Stein aura contribué, leur essentielle tonalité d’études freudiennes [15].

Dans sa préface à Œdipe ou la légende du conquérant de Marie Delcourt [16], Conrad Stein procèdait d’ailleurs comme un véritable clinicien du texte de Freud, pour le plus grand plaisir du lecteur, qui découvre les libertés que prit le fondateur de la psychanalyse avec l’Œdipe Roi de Sophocle, créant ainsi une nouvelle version du mythe. C’est de cette perspicacité aiguisée, qu’il est ici fait offrande au lecteur, à l’instar de ce "don de la parole en psychanalyse" qu’apposait naguère au nom de Conrad Stein un hommage de Cliniques méditerranéennes [17].

Nul étonnement donc, que la partie Le monde du rêve donne à lire Œdipe le surhumain, ou le désaveu du féminin auquel et il faut en remercier les responsables de l’édition [18] répond Le savoir de Jocaste [mais quelle Jocaste, portons-nous donc en nous ?] par Monique Schneider. Celle-ci a rédigé également Freud invité. A propos du séminaire de Conrad Stein sur l’Interprétation des rêves et son commentaire Le bois de l’holocauste : sur l’écriture de Freud [et de l’importance du rerêver...], dans les linéaments de laquelle Stein nous aura introduits préalablement. Une introduction d’une limpidité redoutable :

« Non content d’estimer avec Freud que cet ouvrage contient en germe tous les développements ultérieurs de la psychanalyse, je me propose donc de faire valoir que l’on peut trouver dans L’Interprétation des rêves les linéaments d’une problématique sur laquelle Freud ne s’est jamais penché, ceux d’une théorie des processus à l’œuvre dans la situation analytique ».
Nous voilà avertis : reste, à s’y tenir.

Les deux écritures se répondent aussi en ce sens qu’elles obligent à une lecture patiente, quasi philologique, insistante pourrait-on dire avec Bollack, avec ce profit qu’elles déplacent des représentations, mettent au travail, ou en travail. Il ne s’agit donc pas de lecture « savante » (à l’instar de celle de Faust, elle accumule des savoirs, mais est inefficiente), mais d’une lecture que Conrad Stein qualifiait volontiers de « poétique », de sorte que le lecteur trouve son bien dans ce qui lui est révélé au cours de la lecture.

C’est bien évidemment le cas pour ce qui est des deux parties suivantes :

— Le monde des enfants, avec un important chapitre, le cinquième : Qu’est-ce qu’on t’a fait, à toi, pauvre enfant ? et son sous-titre : Ou l’efficience de l’interprétation, tandis que le septième reprend un texte publié autrefois chez Calligrammes, les Érinyes d’une mère en deux parties, où l’on retrouvera les travaux de l’helléniste Marie Delcourt, la seconde dédiée à Nicolas Abraham, ce qui n’est pas sans signification.

— Une partie plus « clinique », intitulée Dans l’univers de la séance, avec au centre : Effets d’offrande, situation de danger [Sur une difficulté majeure de la psychanalyse] ; prendra-t-on le dernier chapitre pour une conclusion ? La traversée du tragique en psychanalyse répond circonstanciellement à l’ouvrage de Patrick Guyomard La jouissance du tragique qu’il rejoint en ceci :

« ...la traversée du tragique en psychanalyse ne saurait trouver son issue autrement que dans une reprise du travail de construction, soit du travail psychanalytique proprement dit. Ce dernier se présente donc comme un travail de deuil au terme duquel le sujet advient dans l’accession au registre du symbolique. Voilà qui permet d’entrevoir en quoi la traversée du tragique aura apporté au patient un bénéfice.
De son côté, ce n’est pas sans bénéfice que l’analyste se fait cause du désir d’un autre, contrairement à ce que Lacan note dans son Séminaire sur l’éthique ; il faut entendre que c’est sans bénéfice manifeste. J’ai noté jadis que les séances du patient ont les meilleures chances de déboucher sur sa psychanalyse si elles sont pour le psychanalyste le lieu privilégié de la poursuite de la sienne, ce qui veut dire, il le faut ajouter maintenant, que le travail du deuil ne peut avoir lieu que s’il s’effectue des deux côtés à la fois. »

Une manière de clore sur la façon dont Conrad Stein concevait l’analyse, une architecture, l’espace d’une « double rencontre ».

Ainsi aura été brossée à très gros traits l’économie de ce livre, dont il est heureux, qu’il ait, en poche, son Nebenmensch [L’enfant imaginaire en l’occurrence] pour les lecteurs débutants.

© Ronald Klapka _ 6 octobre 2011

[1Je définirais mon amour comme une pénitence incroyable
Dont nulle langue, impuissante, n’a connaissance.
Jessica Powers, Lieu de splendeur, éditions Arfuyen, traduction Gérard Pfister, 1989.

*

[2Marc Fumaroli, a accueilli aussi avec faveur, Un Chapeau léopard, également publié au Mercure de France, tout comme Le Narrateur, ou encore Le Cheval blanc d’Uffington. Le parcours d’écrivain d’Anne Serre est riche : publications aux éditions Champ Vallon, au Temps qu’il fait (La petit épée du coeur, Film), et chez Verdier, Le ·mat, un livre qui répond admirablement à la commande qui lui a été faite — lire cette chronique de Xavier Girard (La Pensée de Midi).

D’une manière générale, l’accueil critique est des plus favorables, dès 1999 Jean-Pierre Richard, avait réservé sous le titre prémonitoire : Histoires d’amour, un de ses Essais de critique buissonnière à ce qui avait déjà été publié jusqu’alors, avec une emphase plus prononcée pour Les Gouvernantes, à côté d’Eva Lone, et de Un voyage en ballon, une critique très inspirée par les travaux de Bellemin-Noël, où sensualité, érotisme et cruauté font bon ménage. Très récemment, John Taylor, nous donne dans le troisième volume de Paths to French contemporary literature (Transaction Publishers) une de ses empathiques lectures dont il a le secret, en voici, p. 56, un trait lumineux :

Serre’s coherent, if evolving, oeuvre solicits readers above all because she wields a writing style capable of suggesting the narrator’s deep moods and probing reflections all the while sustaining the eventful plots in which he or she is involved (and indeed often in motion). What she evokes can delight, or disturb. Without giving any warning, a mere sentence becomes an open trapdoor, as it were, revealing profound truths about amorous attraction, growing up, or the acceptance of loss. She is concerned about a writer’s "separation" from others. Her examinations of friendship are particularly original. Serre then closes these trapdoors, and the story moves on, but we continue to sense the dark cellars underneath.

[3A retrouver dans le dossier de presse, chez l’éditeur, avec d’autres articles et une présentation video.

[4Non-fumeur, j’ai été saisi par ce texte, Fumer fait vivre, du 13 septembre 2003. Bien m’en a pris, j’ai cherché à connaître l’auteure, et découvert ses livres.

[5Après l’unum necessarium de Fumaroli, oserai-je parler d’un livre-culte ? Le talent narratif d’Anne Serre y est particulièrement condensé, s’y déploie la toute-puissance autre de la littérature, sous la forme d’un étonnant Bildungsroman.

[6La réciproque étant vraie. Ceci posait problème à mon ami : « Sans cigarette nous aurions parlé littérature. Je pense que tendre son paquet à une femme, effleurer ses doigts en lui offrant du feu, regarder ses lèvres autour de la cigarette, donne beaucoup plus de plaisir à un homme que de l’entendre discutailler ». Eh oui, seule une femme pouvait écrire cela. Encore fallait-il qu’elle l’écrivît - et avec quelle intensité : celle du verbe employé intransitivement.

*

[7Lire cette notice de Jacques Sédat, établie pour la circonstance.

[8Journées organisées par la société « Médecine et Psychanalyse » sous la responsabilité de Danièle Brun, avec cet argument.

[9Conrad Stein, L’enfant imaginaire, collection Champs, 2011, éditions antérieures (1971, 1987) chez Denoël.

[10Conrad Stein, Le monde du rêve, le monde des enfants, Aubier/Psychanalyse, chez Flammarion, 2011.

[11Roland Gori, à la célébration de l’oeuvre duquel la "magdelaine" s’est associée en rendant compte du numéro spécial de Cliniques méditerranénnes à l’occasion de son éméritat, a rendu en la circonstance hommage confraternel à la parole sensible de ce maître. La preuve par la parole, témoigne en maints endroits de la place tenue dans le parcours de l’auteur de Logique des passions. Comme lui, je rappellerais ces propos de Monique Schneider : « Tu as voulu rester « insulaire », avec toujours permanent ce désir de te cacher et cette hantise de ne pas être découvert. ».

Ainsi au coeur de ces Mélanges, cette contribution limpide en son titre comme dans ses attendus : Rêve et névrose de transfert d’après Freud (207-227), avec pour conclusion (de rêve) :

« De l’homologie entre la situation de l’interprétation du rêve et la situation du rêve, homologie qui ressort clairement du chapitre sur la méthode dont j’ai cité les éléments essentiels, à savoir que l’on se met dans un état qui est voisin de celui qui précède l’endormissement, et en connexion avec ce que je viens de vous dire à l’instant, il ressort en définitive qu’en un sens, interpréter c’est rêver de nouveau. Mais qui donc interprète ? »

[12A preuve, du côté de la poésie, par exemple, cette rubrique de l’Index (forcément analytique) ajouté à l’édition de 1987 :

RÊVES DÉTERMINÉS : De Freud ; Goethe attaquant un jeune homme, 253 ; Irma, 12 ; Noces et mort de Jacob, 283-284 ; On est prié de fermer les yeux, 252, 275, 280 ; Mon père a joué un rôle chez les Magyars, 264. De l’auteur : Les archéoptéryx, 246-285, 288, 312-313, 320, 331 ; Chez le bouquiniste (ou Peau de patte de lion, ou Livre de mon père, ou Enfant dans la malle) 262, 264-268, 281 ; A l’embarcadère d’Alger, 323-325 ; Freud et ses fermiers, 250, 252- 255, 264, 284, 331 ; Le lieu de vacances devenu subaquatique, 251-252 ; 256 ; Le musée installé dans une crypte, 247-248, 251, 258 ; Quelqu’un s’est fait raser, 256, 280-281, 283-285. De personnes non désignées : L’accouchement de deux filles, 223, 260, 308 ; En compagnie de l’analyste, au pied d’un escalier, 102-103, 112-115 ; Le couteau qui coupe du pain, 85-93 ; La fumée qui se dégage du lit en feu, 342-344 ; Un homme marié demande à la patiente de devenir sa deuxième femme, 103, 105, 108, 145, 231, 280-290 ; Le médecin le déclare atteint de la même maladie que sa mère, 210 ; La mère téléphone que le père ne va pas bien, 235 ; Un oiseau se pose sur la tête de la patiente, 233-240, 260, 301 ; Les personnages nageant en eau trouble, 278-279 ; La plaie à la tête, 196, 200 ; Pourquoi n’êtes-vous pas venue ? 18-21, 23 ; Le poisson mangé, 236-240, 260, 301 ; Le psychanalyste en accoucheur, 234, 288, 290-291, 294, 297-298 ; Le psychanalyste accoucheur mort, 235, 289, 291 ; Le psychanalyste transformé en cadavre, 161 ; Le psychanalyste en prêtre, 301 ; Un psychanalyste assiste aux rapports sexuels d’une patiente, 361-363 ; Un sexe d’homme pousse à la patiente, 231, 289-290, 294 ; Le tableau représentant la Cène, 94, 149 ; Les tartes aux prunes, 277-278.

[13Je découpe (pp. 115-116) :

« En reconnaissant bien volontiers que je n’étudie ici rien d’autre que le texte que j’ai écrit et les réactions qu’il a produit en moi par la suite, j’affirme en somme que cette étude appartient à mon analyse à moi, et que, dans la mesure où, telle est sa nature, il n’y a pas d’erreur quant à la méthode.
Plusieurs années se sont écoulées avant que je découvre les raisons de mon inaptitude à enregistrer fidèlement la séance au cours de laquelle la patiente rapporta son rêve de l’escalier. [...] Mes vues générales sont une chose et mon aveuglement dans la séance en est une autre. Il en est ainsi parce que les vues en question démystifient ce que la situation analytique crée. Si la démystification était totale, il n’y aurait pas de situation analytique, pas de psychanalyse. Avoir des vues générales sur la situation analytique n’empêche pas que je n’aie pas encore voulu voir ce qui, selon moi, a dû se passer en haut de l’escalier, derrière la porte close de la chambre de la domestique. (De cela il sera à nouveau question au chapitre 19). »

C’est-à-dire quelques 200 pages plus loin... Le psychanalyste serait-il un narrateur qui s’ignore ? :

« Car sa jouissance, c’est d’une certaine manière, malheureux, ne se trouve que dans le langage. Comment cela est-il arrivé ? Mystère. On ne peut lever le voile sur ces choses qui ont un sexe, composent avec le meurtre, et datent de si vieilles lunes que le pauvre narrateur lui-même, en dépit de ses pouvoirs d’investigation, n’en saura probablement jamais le fin mot. C’est presque ainsi qu’il est né. Quand il exécute le travail fastidieux de se souvenir, il se retrouve à trois ans par exemple, déjà dans les mêmes dispositions. À trois ans on est tout petit, que sait-on à trois ans ? Eh bien, à trois ans, le narrateur est déjà narrateur, séparé du monde depuis toujours et pour toujours, le considérant avec intérêt et surprise comme une chose très nouvelle. À trois ans, sans doute est-il naturel de considérer le monde comme une chose nouvelle puisqu’elle date de trois ans. Mais voilà qu’à sept, c’est pareil, à douze aussi, et qu’à dix-sept c’est encore pire. Chaque année le narrateur naît, regarde et découvre avec surprise le monde qui l’entoure. Peut-être qu’il ne cesse de naître. Peut-être que la maladie du narrateur, c’est de naître sans arrêt plutôt que de grandir, vieillir, s’accomplir. »
Anne Serre, Le narrateur, Mercure de France, 2004, p. 26.

Et d’un bond , ibidem, p. 149-150 :

« Mais (suppliant de nouveau) : ... je t’en prie, laisse-moi encore me coucher parmi les fleurs, dans un pré assez haut dans la montagne, et là, chantonner sans cesse les mêmes syllabes ! Laisse-moi, mon ami, être couché dans mon berceau et chantonner jusqu’à la grande ouverture, jusqu’à ce que je sois happé, englouti, pour resurgir à nouveau, chantonner encore, être encore happé, englouti, puis resurgir. Laisse-moi regarder le ciel, sentir les odeurs du thym sauvage, sentir dans mes doigts le contact des herbes. »

Comme il sent que c’est à ces mots magiques que la Grande Puissance tremble et s’amoindrit, il continue pendant deux heures, dix heures. Je vais l’hypnotiser, elle aussi ! pense-t-il doucement. Il se frotte les mains et continue. Que c’est excitant d’avoir du pouvoir, même sur elle ! Il a douze ans, bientôt sept : « Oh, grimper derrière elle sur le chemin caillouteux, quel plaisir et quel effroi c’était ! Sais-tu que les cailloux rebondissaient jusqu’à venir me heurter les chevilles et que maintenant j’ai à tout jamais une cheville enflée comme Œdipe ! (il rit) Mais ce n’est pas grave, cela ne m’empêche pas d’aller, de grimper, et même s’il fait très chaud. Je vois ses jambes longues et brunes, tout en haut, c’est mon horizon. Elle porte une robe ou une jupe bleue qui lui arrive aux genoux, la robe danse autour de ses genoux, c’est mon horizon. Moi, j’ai des jambes courtes, évidemment. Je suis petit mais assez musclé, et comme j’ai les chèvres qui grimpent autour de moi, je m’accroche à leurs poils rêches et huileux, ce qui va devenir, entre parenthèses (clin d’œil à la Puissance), l’une de mes fantaisies érotiques. Passons. Et puis j’ai trois ans, dit le narrateur d’une toute petite voix. Et parvenu au sommet de la montagne, je ne la vois plus, elle a tout à fait disparu. Je cherche dans les éboulis, je me tourne et retourne, non, mon ami, je t’assure qu’elle a tout à fait disparu. »

[14Lire ce sommaire : Psalmodie à voix tue / Henry BAUCHAU ; Conrad Stein ou la passion de la psychanalyse / Jacques SÉDAT ; Dans les "linéaments" de l’écriture de Freud / Conrad STEIN ; Le bois de l’holocauste : sur l’écriture de Freud / Conrad STEIN ; Freud invité / Monique SCHNEIDER ; Oedipe le surhumain / Conrad STEIN ; Le savoir de Jocaste / Monique SCHNEIDER ; Amour de transfert, amour d’enfant / Conrad STEIN ; "Qu’est-ce qu’on t’a fait, à toi, pauvre enfant ?" / Conrad STEIN ; Le nourrisson savant selon Ferenczi / Conrad STEIN ; Les Érinyes d’une mère / Conrad STEIN ; Majesté et détresse / Conrad STEIN ; Effet d’offrande, situation de danger (1988) / Conrad STEIN ; La traversée du tragique en psychanalyse / Conrad STEIN.

[15Dont quelques unes disponibles en ligne.

[16Edition Belles Lettres, 1981 ; l’ouvrage de Marie Delcourt dans sa version princeps en 1944, Faculté de Liège.

[17Conrad Stein : le don de la parole en psychanalyse,
Cliniques méditerranéennes numéro 43/44, 1994, éditions Érès ; sommaire.

[18Danièle Brun indique comment les textes du volume retravaillés au cours des dix dernières années de la vie de Conrad Stein, ont fait l’objet de leur regroupement, et de leur division en trois parties, suite aux échanges avec Syvie Fenczak, la directrice de collection. Elle précise aussi la survenue du titre adopté. Prendre connaissance des deux pages finales de remerciements n’est pas superflu, ajoute émotion et suscite gratitude.
Le lecteur sera infiniment reconnaissant de l’appareil critique, notes, origines des textes, index des noms, des notions, et forcément, des rêves.

J’y mettrai discrètement du mien en ce beau jour de Nobel pour la poésie :

Ai rêvé que je dessinais les touches d’un piano
sur la table de la cuisine. Sur lesquelles je jouais,
en silence.
Les voisins entraient pour m’écouter.

(Tomas Tranströmer, Funeste gondole n° 2, Baltiques, Poésie/Gallimard, p. 307)