Atopiques

26/01/2009 — Claude Louis-Combet, Jacques Le Brun, Béatrice Bonhomme, Christine Dupouy, Corinne Bayle


Les éditions Galilée viennent de publier un livre qui ravira tous ceux qui aiment. Intransitivement. Comme précisé, dans l’une des Variation johanniques (CERF, 1989), reprises dans proses pour saluer l’absence. Soit : Claude Louis-Combet. Le titre de cette parution : Grand siècle d’atopie. Parallèlement et conjointement à son œuvre de fiction, « l’homme du texte » s’est voué à partir de 1985 à l’instigation de Jérôme Millon et de Jacques Prunair, à un remarquable travail d’édition en dirigeant la collection Atopia, et en tirant de l’oubli un certains nombres de textes qui étonnent, vraiment, relativement aux passions religieuses du Grand Siècle.

Voici donc réunies les préfaces des ouvrages redonnés à l’attention, avec, en plus, une conférence relative à Madame Guyon provenant du colloque de Thonon (avec une contribution de Valère Novarina, dont la mention est tout, sauf anecdotique). Chacune d’elles est réévaluée à l’aune du parcours de l’écrivain, tandis qu’un préambule substantiel donne au lecteur familier de l’œuvre d’en confronter sa réception à la manière dont la sensibilité de l’auteur –celle qui forme les formes- accueille aujourd’hui ce travail. Dans la distance parfois amusée, mais combien plus dans la reconnaissance de l’impossibilité de séparer cette manière de recherche d’allure scientifique de la quête d’écriture. Et de s’épanouir ampleur, amplitude, précision, profondeur dans lesquelles le spirituel se fait charnel.

Aussi est-ce bonheur de retrouver ici L’abus des nudités de gorge qui troublai(en)t tant un Jacques Boileau (frère de Nicolas), ses Flagellants, à meilleure enseigne que le sadien avant l’heure Galliano. Quant à Louise du Néant, elle pulvérise les Edwarda de tous les temps, c’est dire ! Au surplus Ernest Pignon-Ernest (que ne suis-je fortuné pour une édition « de tête » !) donne, plus qu’il ne prête, le concours (les contours) de son dessin aux desseins de « Celui qui aime ».

***

Les bons hasards de l’édition font que la revue Le Genre humain offre à ses lecteurs des mélanges pour Jacques Le Brun, auteur de Le Pur Amour de Platon à Lacan. Ce 48 ° numéro affiche : L’impensable qui fait penser. En sous-titre : Histoire Théologie Psychanalyse. Commencer par la fin avec Luce Giard, pour une sorte de post-titre à cette guirlande de textes : « La parole, en attente d’amour, du maître ».

De tous ces textes réunis par Pierre-Antoine Fabre, Annie Tardits et François Trémolières, me touchent particulièrement, Torture et vérité de Pierre-Antoine Fabre et Ecriture et expérience de Catherine Millot. Chacun à leur façon, traitent de La transmission de l’intransmissible, c’est à dire du plus que nécessaire. Pour autant, je ne néglige aucun des autres textes, je dis une sensibilité.

***

Le bios du graphein est un leitmotiv de l’œuvre de Roger Laporte. Ceci a dû retentir sur le projet éditorial des éditions Aden et de leurs propositions de biographies. Autant dire que nous ne sommes plus du tout dans l’expression scolaire, voire universitaire de jadis : l’homme et l’œuvre, mais dans l’expression du mouvement vital de l’œuvre (en tant qu’elle se « désœuvre » d’ailleurs). Cela donne des objets magnifiques. Je dis objets en observant, en soupesant les parallélépipèdes bleus proposés à notre littéraire chalandise. Le poids d’une pensée, d’une écriture, d’une vie se dit dès la couverture. En l’occurrence ici donne le ton, plus encore que le nom de la collection (le cercle des poètes disparus), celui de son initiateur : Robert Bréchon, le biographe de l’Etrange étranger, en 1996 et plus près de nous de Pessoa le poète intranquille.

Sur la table, trois ouvrages dont il m’est impossible de rendre compte simplement : Gérard de Nerval, L’Inconsolé, puis André Dhôtel, Histoire d’un fonctionnaire (ainsi s’intitule un de ses livres) et enfin Pierre Jean Jouve La quête intérieure. Leurs auteurs, des universitaires, respectivement : Corinne Bayle, Christine Dupouy, Béatrice Bonhomme. Avec à leur actif, travaux et livres reconnus en ce qui concerne leur auteur de prédilection, qui bien plus qu’un sujet de thèse, leur est un auteur-compagnon, voire un Doppelgänger avec lequel, leur vie, leur œuvre propre s’avance, de conserve.

Donc quelques mots à propos de chacun. La vie m’a donné d’élire dernière résidence professionnelle en Champagne Ardenne. Aussi c’est avec au cœur la photographie de Gérard Rondeau (la valise mal fermée pourrait symboliser la vie de son « propriétaire ») et des tournées (c’est le nom) du côté du Vouzinois, d’Attigny (ô Verlaine), que je m’exprimerai à propos du plus célèbre des mycologues-écrivains (aux lisières de l’Argonne, voilà qui est signifiant) : oui le Dhôtellland (Nadeau, Maurice) est à visiter encore et toujours, quitter peut-être Le pays où l’on n’arrive jamais, s’aventurer avec Pirotte (que foutre du samos ! ) admirateur du Club des cancres, comme furent admiratifs Patrick Reumaux ou Jean-Pierre Abraham. La guide (Christine Dupouy) est toute trouvée : Saint Omer, Béthune, Valognes, Coulommiers, Provins (j’en oublie ?), le dialogue avec Paulhan, et la poésie ! la « série B », pour ce genre de « calibre », devrait encore en émouvoir plus d’un(e) :

J’écris rien que pour retrouver / en quel lieu j’eus la révélation/ parce que j’ai oublié ce lieu/ ainsi que toute révélation.

Pour ce qui est de Gérard de Nerval, Corinne Bayle, nous a déjà mis sur la voie avec aux éditions Champ Vallon : Gérard de Nerval, La marche à l’étoile et Roses rouges de l’oubli. La sensibilité de l’auteure de Ombres d’amour en rêve, affleure dans ces titres y compris dans celui donné à cette biographie dont la quatrième nous dit qu’elle suit « le cheminement d’un pur poète mélancolique, au prisme de ses lectures, de ses affinités et de ses songes, reflétées en une œuvre nourrie d’une vaste culture qui, affrontant les ténèbres de l’égarement, constitue le lieu même de son destin. »

Rappelons :

[ … ] le monde est désert. Peuplé de fantômes aux voix plaintives, il murmure des chants d’amour sur les débris de mon néant ! Revenez, pourtant, douces images ! J’ai tant aimé, j’ai tant souffert ! Un oiseau qui vole dans l’air dit son secret au bocage, qui l’a redit au vent qui passe, - et les eaux plaintives ont répété le mot suprême : - Amour, amour ! » cité ici p. 146.

De l’intériorité de Pierre Jean Jouve, tant ses livres que ceux de nombre de ses commentateurs témoignent (Bonnefoy, Bounoure, Stétié). Le point de vue biographique est ici d’autant plus précieux, que le temps peut-être et le rassemblement que Béatrice Bonhomme a elle-même effectué (deux riches numéros de la revue NU(e), 28 et 30, autorisent désormais une vue « laïque » de l’œuvre au sens où Freud employait le mot à propos de l’analyse, dans laquelle le pathos cède la place à une réception non moins admirative, mais délestée d’enjeux d’époque. Ainsi apparaît « tout l’homme » et partant « toute l’œuvre ». En quoi Jouve apparaît bien comme un « moderne » et qu’il convient de le lire, comme un Louis-Combet, comme un exact contemporain : sous le (pesant) pavé des « esthétiques » du "jour", la plage ! - de toujours (« sexe, secret, solitude »).

J’ai admiré avec quelle délicatesse, le chapitre : La rencontre avec Blanche (Reverchon) : « Le signe d’une entente passionnelle » est abordé. Je relève, p. 227, à propos de Don Giovanni, tel que le lit, le vit Jouve, cette phrase reprise de Jacques Deguy :

« Le mythe de don Juan exalté par Mozart et le mythe personnel de Jouve se répondent dans une de ces rares coïncidences qui font de la critique ainsi comprise un genre majeur de la littérature. »

Ainsi, je reçois ce Jouve, par Béatrice Bonhomme…


Liens dans l’ordre de la lecture :

La présentation de Grand siècle d’atopie sur le site des éditions Galilée.
Pour le tirage de tête, ne pas se priver d’agrandir l’image d’un clic.
Proses pour saluer l’absence, chez José Corti.

Les éditions Jérôme Millon, collection Atopia

Une présentation du livre de Jacques Le Brun.

Un entretien avec Robert Bréchon aux éditions Prétexte.

La visite du Dhôtelland dont Le club des cancres.

Corinne Bayle aux éditions Champ Vallon et Noroît (logbook de Jean-Michel Maulpoix)

La revue NU(e).

Le site des Amis de Pierre Jean Jouve.

© Ronald Klapka _ 26 janvier 2009