Devant ma mère, Pierre Pachet

14/06/2007 — Pierre Pachet,


« Elle marche dans cette rue qui lui fait envie depuis des mois. »


Quelques notes à partir de Devant ma mère, de Pierre Pachet, aux éditions Gallimard, collection L’un et l’autre.

On pensera à juste titre qu’il ne s’agit pas d’un ouvrage de poésie à proprement parler [1]. (Quand vous aurez lu le livre, relisez la phrase en exergue, vous l’entendrez, toute, autrement).

Mi-chronique, mi-essai, Devant ma mère intéresse le langage du poème, ce qu’il engage, ce qui l’engage. La phrase-titre que l’on trouvera en toute fin du livre reflue sur celui-ci, en donne la dimension poétique, une image à la Tati, comme une échappée, belle, pour la « pensionnaire » de l’établissement gériatrique, à l’étiquette cousue sur le vêtement (comme en « colo ») qui a guetté depuis des mois la possibilité de s’éclipser en douce, pour aller « prendre l’air ».

Cet air, dans lequel nous lançons nos paroles. Et cette question de Pierre Pachet : y-a-t-il une parole dite « intérieure » qui ne doive son origine à la parole proférée ? Et de se souvenir de la protestation de Derrida vis-à-vis du logocentrisme, à quoi il aurait pu ajouter : Je n’ai qu’une seule langue et ce n’est pas la mienne !

En effet, à la chronique filiale (discrète), épreuve s’il en est, l’auteur ajoute, par nécessité intérieure - affecté comme fils, comme être parlant et comme écrivain- comme l’accomplissement d’un devoir, une observation (dans les conditions permises par le temps des visites) et une quête sur la manière dont dans le dernier âge le langage à la fois quitte et continue à constituer la personne au-delà de toutes les autres fonctions du corps.

Pierre Le Pillouër ne s’y est pas trompé. Sur son site de poésie, à chaque connexion peut vous échoir une « sentence » (cf. les Anges du péché de Bresson [2]), comme une devise (cf. l’incipit du livre d’Alain Cugno, La blessure amoureuse, essai sur la liberté affective au Seuil, un livre de philosophe [3]). On lira la citation de Pierre Pachet [4], comme une incitation à lire non seulement le livre, mais à poursuivre la réflexion à laquelle il nous mène, et sur l’écriture et la dimension d’interlocution du poème (cf. le Discours de Brême de P. Celan, ou le dialogue de ce poète avec Mandelstam qu’évoquera Martine Broda dans son essai (en partie la postface de La Rose de personne, en points-seuil, ou encore Matière de l’interlocuteur d’André du Bouchet).

Que cette citation serve de viatique, pour donner selon l’expression aussi simple que forte d’Yves Bonnefoy d’ « être au monde », fonction qu’il assigne à la poésie.

© Ronald Klapka _ 14 juin 2007

[1Première publication, Poezibao, à la date mentionnée.

[4La voici : « Lorsque nous sommes privés de la compagnie d’autrui, de ce qu’il active ou réactive en nous par ses questions et ses réponses, par l’urgence que nous impose sa seule présence, c’est l’une des bases de la vie intérieure comme "dialogue" qui nous est retirée. »