2. inactuelles
09/08/2011 — Christian Prigent, Michel Valprémy, Jacques Ancet, Thierry Marchaisse
« Au lieu de mettre en place un modèle uniquement vertical dans l’écriture, on pourrait dire que la psychanalyse se laisse habiter par des penchants, pencher vers l’autre. Il y a aussi la notion d’inclination, où c’est bien s’incliner dans cet amour de transfert pour l’autre, ou s’incliner c’est toujours la racine clinienne qui est le lit, qui est la clinique, et là on serait pris dans cette passion du penchant. » [2]
« Pour Mandelstam, la poésie est cette “charrue qui soulève les couches profondes du temps et, de cette façon, c’est une victoire sur le temps”. Il s’agit en fait de laisser aux êtres et aux choses la liberté de prendre leur perspective imaginaire. Et Pierre Reverdy est très clair sur ce point : “ …la poésie n’est pas plus dans les mots que dans le coucher de soleil ou l’épanouissement splendide de l’aurore – pas plus dans la tristesse que dans la joie. Elle est dans ce que deviennent les mots atteignant l’âme humaine, quand ils ont transformé le coucher de soleil ou l’aurore, la tristesse ou la joie. Elle est dans cette transformation opérée sur les choses par la vertu des mots et les réactions qu’ils ont les uns sur les autres dans leurs arrangements – se répercutant dans l’esprit et la sensibilité” ». [3]
« Mais c’est l’expérience même par laquelle, entrant dans le tableau, je reconnais que je suis « déjà là-bas », mais en nulle de ses figures ; que le tableau « me parle » en ce qu’il tient cette part active du visible dans laquelle la définition même de l’objet vacille. Reflet de cette expérience où « les choses me regardent » : c’est à une répétition (d’écriture, d’expérience) que la peinture oblige ; je dois comprendre que ce que je tentais de saisir comme des « structuraux » me renvoyait, à travers cette maîtrise instable, à des « existentiaux ». C’est à cette pensée plus radicale et plus entière que ces textes [4] sont en train de nous conduire. »
Lourds exergues, pour ne pas avoir à s’excuser du peu du peu qu’il sera dit des excellents ouvrages, chacun dans leur ordre, qui seront signalés dans l’inactualité du jour — de l’art, de la littérature et de l’oût, foi d’animal, ici réunis. Excusez donc : Diderot, Jean-Marie Goulemot, Monique Schneider, Annie Le Brun, Jean-Louis Schefer ! Pas votre serviteur. Que voulez-vous ? La passion du penchant, quand elle vous tombe dessus.
Christian Prigent m’a fait un plaisir rare, en m’adressant fort amicalement, il y a peu, sa Suite Diderot, à l’Atelier-Rougier [5] (composée, est il précisé, à Saint Brieuc durant l’été 2010, en lisant Les Lettres à Sophie Volland). Cette dizaine de poèmes, listons la : (Quand l’ivresse gagne), (Démocrite au salon) (Un peu de sciences naturelles) (Pour un souper fin) (Adieu) (L’amour au jardin) (Vocation à l’immonde) (Figure au boudoir) (Un peu de métaphysique) (Pensée sur le pouf). On voit le genre. Mais les « barricades mystérieuses », ne sont pas si loin. Trois quatrains pour chaque, des rimes embrassées, croisées ou suivies. Bref des stances à Sophie. Mais pas seulement, cf. l’exergue : « Allons, mes amies ; courage, détruisez ! » [6] Car, non loin d’elle, « Mesdames et bonnes amies » : « maman », et « Uranie », aussi.
Ajoutez à cela, les dessins de Detlef Baltrock, auxquels le calque, surtout quand il se superpose — mais à chacun d’organiser sa défaite du « sens » (ici : des sens ?), apporte une note érotique-douce, mélancolique, rieuse, scato-« bon enfant » c’est selon...
Et de retrouver une poétique [7], familière autant que renouvelée : je ne sais ce que dirait une Monique Schneider du « phonique » qui s’entend ici multiplement, ses brusques dévers marqués de forts enjambements (c’est le mot !), l’auteur est resté fidèle aux bases pulsionnelles de la phonation, et après première saisie silencieuse, la lecture à haute voix donne de rire, fût-ce jaune, mais de rire franchement à ces discours fort interrompus...
Le poème intitulé (Adieu) est un des mieux tournés (voilà qui est s’exprimer mimétiquement) et peut-être le plus propre à opposer à l’obscène du temps qui fuit (je ne précise pas ce qu’il en est qui fuit dans d’autres poèmes) et à l’impossible de la séparation, du renoncement, la viridité du désir :
Vous oui : réponse sur le champ s’il vous plaît.
En quelque sorte, le noeud de l’affaire. Comme dit l’autre, grand ou petit, l’âme est un noeud rythmique.
« Facteur ! Facteur ! Vous m’avez sautée ! » est-ce de la même veine, qu’une saute de correspondance (libido omnibus) avec la chère Sophie ? Que no — Tenez bon la rampe —, juste, pour prendre du champ, à verve de rechange, avec la parution d’Agrafes [8], de Michel Valprémy, à l’Atelier de l’Agneau [9], d’une réminiscence de Cache-cache vinaigre [10]
Quelle belle idée ont eue ses amis [11], et Françoise Favretto, éditrice fidèle [12], de réunir à ce titre, ceux donnés en diverses plaquettes. Leur nombre impressionne [13]. Les textes sont chronologiquement ordonnés, de 1984 à 2003. Très judicieusement la mise en forme d’origine (typographiquement des plus variées) a été conservée, ainsi que les couvertures reproduites.
Jusqu’à la quatrième d’un Wigwam [14] en (c)ouverture ; voici cet incipit tel qu’ad intra, et ce qui lui répond, quelques strophes plus loin :
« Le petit doigt du saint, une esquille de lièvre en sauce, couché, bonbon d’os, dans la crèche, les copeaux. Comme l’or profus s’éparpille et fleuronne (beurre râpé, jaune riche — coucou/cocu —, soleil sur les meules). Je le suce, je m’en perce la doublure des joues, la langue aussi, trop grasse, cardinalice et menteuse — ô roulette, dentistes en surplis ! » (258) |
« Quand tu vivais, pantin chéri, cochon pendu, je bisais l’eau des sources et des vitrines. Perizonium de poupée ou fichu de grand soleil, ton mouchoir déplié (l’amidon de tes sucs, comme une craie craque et s’émiette), plié, déplié, humé, léché peut-être, une fois l’an, et rangé poliment dans sa châsse gothique en carton colorié à la main. » (260) |
Plus loin encore : « Les cheveux de Marie-Jeanne. Les mots, déjà. » Oui, les mots, on voit à quel point Valprémy en est amoureux, comment il les distribue avec grâce, celle du danseur [15] et quand bien même, « l’énigme n’est plus au ciel », voilà son coeur signé. Il ajoute : « Plus beau qu’une Marie sainte, qu’une salope en rubis. » Et exhorte : « N’ayez pitié de moi ! » Et commente : « Je m’entends avec moi. »
De l’humour, donc, beaucoup d’humour, mais aussi avec une apparente facilité (qui ne peut-être que le fruit du travail), aussi l’inquiétante étrangeté qui souvent pointe son nez, celui du Cri dans le couloir, et ce croquis : « La rue dépravée, muette sous le manteau ; l’ongle et le gel — il neige, on aboie. Que diront-ils devant nos écorchés ? ». Le conte, le théâtre du conte n’est pas loin, et c’est avec Sylvie Nève et « Chichi, le chevalier trempé » (qui fut publié par Cordialité de la rouille !) et ces vers éloquents : « Le féminin du chevalier n’a qu’un doigt /mais qui brisa le bras ganté de moi » (170) pour former agrafe avec ces mots de la fin, la toute fin :
Décoiffé, l’homme aux gants noirs rôde la nuit - noir, noir, pavé de nuit -, le même pas, élastique et raide. Pitance du spectre, un baiser, un coup fatal, l’aventure fait le gros dos. Un chat de passe-passe crève sa bulle maudite, un chat de guerre lasse. Il neige noir sur les néons qui frisent - œillades, alléluia ! Enfin le silence clapote ; c’est un drap qui se tend. Au bout du monde, au bout du rêve, l’homme perd un gant et frôle et tâte avec un cri de rat (mais l’étincelle tinte) le cœur madame, la fesse dure, comme qui dirait béton, de l’homme à viande, à caillasse. »
Ainsi donc, sont réunis en 344 pages, vingt-trois textes de cette eau-là : vivacité du style - voire virtuosité, amour de la langue, attention au temps qui est, souci de l’autre, déprise de soi : l’humain, quand il est beau, cela peut donc arriver et l’écriture l’incarner.
D’autres sont à venir dont un important Journal. Ils sont attendus. D’ores et déjà, ce rassemblement de textes de court format, d’une belle unité (l’homme) dans leur diversité (ses talents), donne rendez-vous à ceux qui ne le connaissent pas encore avec un toujours-vivant, et à ses amis, ses lecteurs la joie de l’y retrouver.
Et en ce point, entre quatre-z-yeux (c’est le nom de la collection, et cela s’inscrit en Lettres vives), survient donc la Chronique d’un égarement [17] et cette profession liminaire de lucidité : « Je suis perdu, tout va bien. » Voilà qui vous (ac)cueille son lecteur...
Cependant, c’est à la lettre qu’il faut prendre, le propos de Jacques Ancet, qui donnera aux différents chapitres, leur scansion : le moi s’y met en douze et cela compose une année sans date(s).
Mais auparavant quelques mots d’après une autre lettre, "aux lisières", celle censément adressée à Jacques Ancet par Yves Charnet, rédigée pour un colloque autour de l’oeuvre du premier à Pau, en butte à quelques aléas, qui finalement n’en empêcheront pas la tenue. Yves Charnet est un fin connaisseur des travaux de son ami, à preuve (Quand dire, c’est vivre —) Entre corps et pensée [18], l’anthologie (1980-2003), qui ne comporte que les livres de vers, sachant qu’une anthologie rêvée montrerait l’articulation entre vers et prose qui fait le ryhme propre à cette écriture du poème. Contributeur de la revue NU(e) n° 37 [19], Yves Charnet a manifestement retenu :
Aux lisières, disait-il. Avec le morse du même oiseau, l’orange d’une tulipe où semble s’être réfugié le jour et toutes ces voix discordantes qu’il faudrait pouvoir oublier. Mais elles insistent et j’ai beau regarder autour, elle ne me lâchent pas, traversent l’illusoire silence d’un pâle début d’après-midi pour m’emporter vers ce chaos d’où elles semblent naître. Un instant le soleil vient brûler le regard puis s’éteindre comme une image de la vie. Alors, oui, aux lisières, entre ici et là-bas, espoir et peur, hier et demain, ce mot, cet autre
— Et toi et l’autre ...
— C’est ça.
— Et le possible et l’impossible ...
— Oui, comme une ligne de crête qu’on n’atteindrait jamais. » [20]
Ce passage de L’Égarement, une préfigure du livre à venir, advenu, mais sans doute interminé/interminable... Le titre en est identique à celui du premier chapitre de la « Chronique » du même nom, terme sans doute affectionné de l’auteur : voir comment il spécifie Image et récit de l’arbre et des saisons [21]. Quant à Yves Charnet, voici la teneur de sa missive :
Un sujet sur le fil de la parole. En déséquilibre dans sa parole elle-même. Un sujet de passage. Un éphémère.
« et c’est pourquoi /je regarde l’interstice entre cet instant et le suivant ».
L’interstice est, en dernière analyse, la place sans place d’un sujet intermittent qui s’avance au bord du réel. Le lieu instable d’un sujet qui, par vocation, ne coïncide jamais avec lui-même. Un sujet qu’évoquait, peut-être, André du Bouchet [23] dans une note de ses propres carnets :
« entré dans la langue, tu te découvres d’un mot à l’autre toi-même interstice élargi ».
Un sujet qui est, à la fois, Je et un Autre. Un sujet dont l’identité reste inséparable de son altérité. Alteridentité d’un sujet sans forme. [24] »
L’essentiel est dit. Prenons-en la référence à Jean de la Croix, dont la traduction d’Ancet s’est proposé de « le ramener vers nous ». Dans sa contribution "Voir-entendre au service d’un vivre-écrire" Sandrine Bédouret-Larraburu, convoque judicieusement et Gérard Dessons [25] et le saint et son dar a entender, leitmotiv chez Jean, en vue de cette proposition : « Par le langage se construit une métaphysique de la voix. »
Qui lira Portrait d’une ombre (Po&psy, Érès, mars 2011
relèvera ce dialogue :
— Ce qu’on entend.
— Comment ça ?
— Des images dans l’oreille.
— Dans l’oreille ?
— Oui, là où parle la voix.
— Et que dit-elle ?
— Ce qu’on voit.
Une écriture poétique « simple et claire », précise l’éditeur [26]. Pas moins redoutable pour qui veut bien « tenter de rendre visible cette part de non-visible qui nous constitue (aussi) et nous accompagne comme une ombre ». Se faire tirer le portrait en somme.
Et goûter derechef la saveur de quête san-johannique du poème, celle du je ne sais quoi, d’aventure trouvé et qu’on vient à balbutier. En langage de maintenant, réel.
Et c’est bien ce qui traverse tous ces écrits, qu’il s’agisse de la chronique, du poème, ou de ses commentaires.
« Voix qui sait écouter, la voix de Jacques Ancet », nous dit encore Sandrine Bédouret-Larraburu, « devient une voix qui elle aussi donne à entendre, et qui saisit le lecteur, prêt à donner un peu d’écoute. »
Ce qu’incitent, à faire, en toute amitié et partage ces quelques relevés auxquels on ajoutera celui-ci, pour la route où se perdre :
— Tu énumères.
— Que faire d’autre ?
— Articuler.
— Mais sans langue, sans mains. [27]
Pour ne pas clore tout à fait la conversation, mais est-ce possible ? quelques mots d’un essai paru il y a quelque temps, et auquel le maître d’oeuvre de la Quinzaine littéraire d’août, Thierry Laisney [28], donne la parole pour un entretien qui pourra retenir l’attention. Il s’agit de « Comment Marcel devint Proust », de Thierry Marchaisse, aux éditions EPEL, avec pour sous-titre, « L’énigme de la créativité ». L’attention avec ces néologismes : métalire, métalecture.
A la question (implicite) : « Selon vous, À la recherche du temps perdu est une démonstration »
Une partie de la réponse :
« En quoi une œuvre littéraire écrite à la première personne peut-elle bien être une démonstration ? Et quel théorème voulait prouver Proust, lui qui détestait les romans à thèse, qu’il appelait des « romans idéologiques » ? Petit à petit, je me suis retrouvé engagé dans une enquête au long cours, qui m’a fait relier entre elles la plupart des questions que j’avais accumulées en marge de mes lectures proustiennes ou péri-proustiennes. C’était comme si j’avais poussé à mon tour, sans m’en apercevoir, cette « porte » de la Recherche qui a fait du petit Marcel le Proust que nous connaissons, et accédé ainsi, un peu par hasard, à une dimension de cette œuvre que je n’avais jamais soupçonnée. C’est aussi ce qui m’a conduit à relire autrement des textes que les proustiens connaissent bien, comme la célèbre lettre à Jacques Rivière (1913), où Proust a l’impression de rencontrer son premier vrai lecteur, un lecteur qui voit « enfin ! » que la Recherche est un« ouvrage dogmatique ». Et de fait, si l’on peut considérer ce roman comme un ouvrage dogmatique, c’est précisément parce qu’il est une démonstration. Certes, cette démonstration est peu lisible et même presque illisible, mais c’est parce qu’elle est entièrement neuve dans son principe, et surtout volontairement implicite. Tout mon travail d’enquête découle de là. C’est une sorte de chantier interprétatif. »
Et cette assertion :
« La Recherche est un récit performatif. Pourquoi ? Parce que son « sujet » est la vocation de son auteur. Or, il se trouve que l’œuvre de Proust accomplit précisément la vocation qu’elle décrit. Genette nous a appris qu’on pouvait considérer la Recherche comme une sorte d’« amplification » rhétorique de l’énoncé suivant : « Marcel devient écrivain ».
Mais, ce qui est étonnant, d’un point de vue logique, c’est que l’immense déploiement narratif de cette phrase la vérifie en acte, c’est-à-dire la transforme en théorème. Et ce qui est encore plus étonnant, c’est que ce premier théorème performatif de la Recherche en implique un autre, beaucoup plus général, à savoir que le temps est la mesure de tout homme. La performativité est donc bien un des ressorts logiques de la Recherche, un des outils décisifs pour la comprendre en tant que démonstration. »
Piste qui amène à essayer d’expliquer pourquoi « on s’obstine à chercher la dimension philosophique de la Recherche dans ce que dit son narrateur ; et pourquoi on néglige de la chercher dans ce que fait son auteur », dans ce que nous montre la Recherche, « ce qui y est en acte, de l’ordre du geste » ; dès lors le travail devient plus aisé lorsque l’on se rend compte qu’« on peut, non pas seulement « lire » Proust (le niveau référentiel), mais aussi le « métalire » (le niveau autoréférentiel). »
À suivre, avec beaucoup d’intérêt... [29]
[1] Jean-Marie Goulemot, à propos de Denis Diderot, Oeuvres, correspondances. V. Laffont (Bouquins), in La Quinzaine littéraire, numéro 728, 01-12-1997. L’éminent dix-huitiémiste, ne manque pas, dans la Quinzaine n° 1028 (16-31 décembre 2010), de remercier Marc Buffat et Odile Richard-Pauchet, pour la récente édition des Lettres à Sophie Volland (Non Lieu, mai 2010) ; il note : « L’amour n’est plus ici dans la possession, mais dans l’absence vaincue par la volonté de se rendre totalement présent à celle que l’on aime. »
[2] Monique Schneider, propos s’inscrivant dans la rencontre : « Ecritures de la psychanalyse, transmission, style, auteurs » 7 octobre 2001 - Librairie le Divan à Paris. Y noter l’échange avec Claude Rabant, sur l’« auteur », en psychanalyse ((Urheber), comme pour le reste, de soi-même en particulier. Pour faire bonne mesure de la manière dont se lisent, qui philosophe et qui psychanalyste et réciproquement, « entrer dans le vif du sujet » (du Paradigme féminin).
[3]
Annie Le Brun répond ici à Benoît Legemble lui posant cette question : « De l’inactuel au lointain, il est aussi question, tout au long de vos incursions poétiques. Incarnent-ils pour vous un ultime recours poétique face à la tyrannie de l’actualité ? »
Entretien donné au Magazine littéraire (24/06/2011), à l’occasion de la parution de Ailleurs et autrement, cf. la précédente « lettre. »
On retrouvera maintes fois et électivement cet adjectif — inactuel — dans les écrits d’Annie Le Brun. Par exemple dans le sous-titre de Qui vive, (Ramsay/Pauvert, 1991) : Considérations actuelles sur l’inactualité sur surréalisme], ou à diverses reprises dans le corps du texte de Si rien avait une forme ce serait cela, à chaque fois c’est avec la poésie qu’il est demandé au lecteur de ne pas rater le rendez-vous.
Qu’on se souvienne aussi, pour l’exemple : « De fait, le roman noir, cette aberrante muraille d’ombre barrant le paysage des Lumières, pose encore des questions que notre époque ne veut pas ou ne sait pas poser. Echappant au temps qui les a vus naître, ces livres, inactuels comme la nuit d’où ils viennent, n’ont cessé de dériver au-devant de l’avenir. Ainsi est-ce de leur décor, dont le romantisme va émerger, que Sade prend possession, tout s’en distinguant absolument. » (Les châteaux de la subversion, coll. Tel, Gallimard, 2010, 1ère édition Pauvert, 1982.
[4] Jean-Louis Schefer, « Ton regard parle », in Cahiers pour un temps, Centre Georges Pompidou, 1987, en hommage à Michel de Certeau, pp. 149, 154. L’introït :
« Trois textes de Michel de Certeau consacrés au « voir », apparus à la fin de son œuvre publiée, ouvrent un mouvement d’interrogation très typique de cette œuvre, de tout son style : ce à quoi engage tout objet qu’elle introduit ressemble à la fois à un affinement et à un affermissement de tout son champ problématique. Une lecture, extraordinairement attentive, du Visible et l’invisible de Merleau-Ponty, une longue « analyse » du Jardin des délices de Bosch, une analyse de l’« exercice » de lecture du tableau dans le De icona de Nicolas de Cues : entre ces textes, ce n’est pourtant pas une esthétique qui se dessine, ce n’est pas un domaine que l’historien et le philosophe convoquerait, ni un tableau qu’il décrit de façon à « ouvrir » son livre. L’intérêt de ces textes est le choix décisif de traiter en chacun d’eux le statut paradoxal de son objet : la réversibilité fondamentale du visible, l’insécurité de la chose signifiée du tableau sous une intention et une force signifiante que le regard ne parvient pas à morceler, enfin l’illusion de sens par laquelle le tableau s’organise et « organise » son espèce de défaite du sens. »
[5] Consulter le catalogue de la collection ficelle et approuver le dithyrambe de Georges Cathalo, pour la revue Décharge.
[6] Lettre du 28 septembre 1761. Dans ma version poche (Folio) de 1984, pp. 171-176. Christian Prigent convoque ici à un magnifique jeu de piste(s), une espèce de chasse à la Uccello (cf. Annie Le Brun) : qui retrouvera qui ? en effet les titres des poèmes appartiennent bien aux lettres, mais qui les a choisis ? ici Marcel Duchamp et Monique Schneider réunis ! (par mes "soins" (de gravité))
[7] Puisque c’est de saison, rappelons d’abord Météo des plages, et avant de (re) lire Presque tout, ne pas se priver d’une Compile (Dans la recension, ce beau lapsus Complie, mais qui rassure : Christophe Kantcheff, qui n’en est pas nécessairement l’auteur, a certes lu Grand-mère Quéquette !. Le (presque) tout chez POL, éditeur attitré depuis quelques lustres maintenant.
[8] Le titre emprunte à une série de celles-ci, de la plaquette Paysages clos, ici pp. 63-71.
[9] Voici le site, n’en pas manquer « l’historique » et ses « crolles ».
[10] Avec la recension de ce livre, chez Apogée, saluions-nous la mémoire de Michel Valprémy, parti sans crier gare en 2007.
[11] Existe une Association des Amis de Michel Valprémy créée en 2009, elle a son blog, dont se charge Didier Moulinier.
[12] Ce qui se décline comme suit : Cadastre du clair/obscur, 1999 ; Albumville, 2002 ; La Mamort, 2004 ; (avec Christophe Manon) ; Tout le monde passe devant les vitrines, 2005 ; Petits crapauds du temps qui passe, 2006 (avec Jacques Izoard) ; La Salpêtreuse, 2009.
[13] En dresser la liste, c’est comme écrire un poème : Polder n° 22 ; 37 ; Chats Avalanches n° 6 ; Interventions à Haute Voix ; Traces ; La Poire d’Angoisse (+ n° 128) ; Collection Plis ; La Bartavelle ; Le Dépli Amoureux, Collection Plis ; Verso 1 ; Cordialité de la Rouille ; Les Editions de Garenne ; Editions du Rewidiage ; (première édition intégrale) ; Wigwam ; Tiré à part ; Chienne d’arlésienne ! ; L’Igloo dans la dune ! n° 90 ; Myrddin (deux fois) ; Électre ; Myrddin ; 2003 La Morale Merveilleuse. Aux pages d’introduction (11-12) François Huglo, en évoque « ce temps-là », sans excessive mélancolie, car, nous dit-il : Tout un orchestre explore les partitions inédites, et de nouvelles lumières nous attendent.
[14] Une fois encore se dire : Jacques Josse, quel travail, quel passeur, et là aussi quelle belle idée que le format adopté, autorisant comme une lettre adressée aux amis avec en sus la suscription manuscrite de la quatrième, renforçant ce sentiment. Retrouver ce chroniqueur de poésie, parmi les meilleurs et les plus probes que je connaisse, sur son blog ; y arrivent, de la poésie, des nouvelles vraîment fraîches, y compris des temps anciens.
[15] « How can we know the dancer from the dance ? »
[16] Ultime para(gra)phe de L’Instant brûle, extrait de Les travaux de l’infime, inédit, in Jacques Ancet ou La voix traversée, actes des rencontres organisées par Sandrine Bédourret-Larraburu, Jean-Yves Pouilloux, Résonance Générale, Essais pour la poétique n° 3, L’Atelier du Grand Tétras, 2011.
Cet « infime » n’est pas sans résonances avec certain « inframince », cf :
« De ton genou au mien, l’espace rempli d’objets. De ta peau à la mienne, combien d’années ? Un anniversaire, dis-tu ? Chaque jour est un anniversaire, chaque minute. Soleil ou pluie, de tes yeux aux miens, combien de rêves, combien de désirs de ma bouche à la tienne ? » (Chronique d’un égarement, p. 15)
[18] Jacques Ancet, Entre corps et pensée, Anthologie composée par Yves Charnet, Écrits des Forges/Le dé bleu, 2007.
[19] NU(e) n° 37, septembre 2007, rend hommage à Jacques Ancet. Philippe Païni, en fait, pour Résonance générale, une rigoureuse synthèse.
[20] NU(e) n° 37, 2007, p. 23.
Qui au chapitre de la perdition, se conclut de la sorte :
Une vague invisible, mais je la vois. Elle est là, sous le scintillement de l’herbe, le balancement des feuilles, dans la danse immobile de la montagne, la transparence du bleu, l’attente d’un jour où rien ne se passe que ce qui passe. Une sorte de soulèvement vide où tout s’arrête, remuements, tournoiements, tous les mouvements, les gestes, la vitesse, la lenteur, grouillements, précipitations sans fin, comme une cataracte inverse où tout, un instant, reste dans un suspens, dans l’illusion d’un temps si vaste qu’on pourrait croire y entrer. Trous noirs, naines blanches et géantes rouges, quasars, synapses, cellules, molécules, électrons, bribes, flux et reflux, infimes éclats d’une éternelle métamorphose. Mais - table, vitre, ciel ou clôture - j’y suis, et c’est pourquoi - citrons, lampe, chêne - je suis perdu.
[21] Un livre pour happy few, chez un éditeur, André Dimanche, pour les mêmes (par exemple Gomez de la Serna, Jean-Christophe Bailly, Helen Hessel, Nicolas Pesquès, James Sacré...). L’incipit de la quatrième : « Sur la fenêtre, l’arbre et le monde sont une seule image, instantanée, débordant de son explosion fixe la lenteur de toute écriture. »
Ajouter quelque chose ?
[22] Lire, Puisqu’il est ce silence, aux éditions Lettres vives, 2010. Jacques Ancet présente ainsi le livre que l’émotion lui a dicté.
[23] En effet, on ne manquera pas de songer à Qui n’est pas tourné vers nous, sa périlleuse construction d’un "nous" [pour la dimension politique, cf. ce recopiage.], ou en plus noir au Beckett de Compagnie, Mal vu mal dit...
[24] Certes un « ego » qui se fait alter, sous la houlette, d’une sorte de maître zen (intérieur), inflexible, donnant ainsi au sujet, ce « rien », à trouver la « forme » à laquelle, mais dans tel instant (qui brûle), il lui sera donné de correspondre. Jabès n’est pas loin.
[25] Gérard Dessons, « Jean de la Croix : donner à entendre », in Jean-Nicolas Illouz, L’Offrande lyrique, Hermann, 2009.
[26] Érès. La disposition, le format « carnet », les strophes assez brèves, donnent un rythme, un allant qui emportent. Ce « portrait d’une ombre », qui pourrait sembler un abrégé de « la chronique d’un égarement », en est un parfait contrepoint, il est heureux de pouvoir les découvrir ensemble, et ensuite de retrouver dans les partitions réflexives des universitaires palois d’un jour « la voix traversée » de l’auteur (sur ce point cf. supra Monique Schneider).
Et n’oublions pas les arbres d’Alexandre Hollan.
[27] Chronique d’un égarement, op. cit, p. 73.
[28] Ses savantes analyses musicologiques, le désignaient pour coordonner ce numéro spécial : « Interpréter. »
[29] Comment Marcel devint Proust est édité chez EPEL ; Thierry Marchaisse a fondé ses propres éditions, où l’on remarquera l’ouvrage de Jean-Marie Schaeffer : Petite écologie des études littéraires.