texte du 16 avril 2006
en cours de révision
De La Secrète
au Cantique qui est à Gabriel/le.,
Comme-unité du poème
& monde du désir de chacun.
La prévoyante improvisation poétique cite notre ordinaire à comparaître à la clarté du mémorable dans une transfiguration réciproque de la configuration inventée de choses nouvelles et de la figuration héritée. La justesse de la proposition faite par un ouvrage de poésie offre au jugement d’y reconnaître une figure inespérée et attendue [1].
L’Ange n’avance que la beauté pour preuve. Il a le don de transparition [2].
« Il n’y a de Dieu que Dieu et l’Homme est Son Poète » [3].
« Je ne parle pas en théologien, mais en poète. »
« J’ai pris le masque de la folie pour écarter les ignorants. »
L’Ange
Michel Deguy a rendu dans la revue Po&sie n° 82 (1997) un hommage intitulé L’Ange à celui qu’il avait rencontré tout jeune poète [4] et qu’il avait connu pendant plus de vingt années, et qui cite abondamment La secrète, recueil paru chez Fata Morgana en décembre 1988, quelque temps après que Christian Guez, né en 1948, s’est donné la mort .
L’avouer d’emblée, cette chronique ne peut vu la force de ce témoignage qu’être rédigée « sous influence » . Telle est la séduction que donne Deguy au personnage du poète, telle est aussi la force du courant de sympathie profonde qui les relie (cet intransmissible qui ici mystérieusement se transmet), enfin telle est sa puissance de conviction en ce qui concerne la vocation du poète et de la poésie, qu’il est assez difficile de ne pas être subjugué et de ne pas souscrire, y compris pour les aspects qui pourraient sembler avoisiner les zones de l’étrange, l’ange se muerait alors en ange du bizarre : or un mot comme folie peut rappeler la tradition apostolique tandis que celui de démence à l’aune d’Hölderlin et d’Artaud devient "beau comme un nom propre".
Des termes rebutants comme celui de sacrifice dans des acceptions religieuses archaïques trouvent alors un sens qui éclaire par exemple une attitude, une formule de vie, tels qu’une Simone Weil et un Bataille ne les dédaigneraient pas :
Ce que nous respectons, et admirons, et vénérons de toute manière, et je dirais « a priori » pour ceux qui ne connaissent pas les poèmes ou les ouvrages de Christian Guez, c’est l’épreuve, la douleur, et - quelle que soit l’hésitation avec laquelle je reprends ce terme si multivoque -le sacrifice ; si par là j’entends l’entièreté de l’attention tournée vers ce que la traduction évangélique appelle « Unum necessarium » : « une seule chose est nécessaire », et Poésie est un des noms donnés à cet unique, simple et complexe (simple par l’unicité du trait déterminant l’appel et la réponse à l’appel, ou « vocation » , et complexe parce qu’aucun aspect de l’existence ni aucune difficulté du pensable, dans le détail du savoir et du questionnement, ne lui est épargné).
« Guez serait notre Nerval, si l’époque était encore capable de cela. »
Quant au Livre
Il doit sa forme particulière à ses pages composées de laisses de 21 vers de 21 pieds, avec deux césures, et qui offrent une scansion oraculaire, à la manière des grands poètes de la Bible, tel Isaïe ou l’auteur du livre de la Sagesse.
Les éditions le bois d’Orion, [5] qui publient également la revue Sorgue, ont à juste titre recouru à ce format presque carré, qui favorise la lecture (silencieuse et de préférence, à haute voix).
Bernar [6] Mialet, l’exécuteur testamentaire de l’oeuvre en grande partie inédite a réalisé une introduction très dense, que l’on sera amené sans doute à relire, pour peu que l’on ait épousé le mouvement du texte .
Le livre réunit les oeuvres majeures de Guez : Maison Dieu (c’est mon corps, disait-il), La Tombée des Nues, Les Heures à la Nuit, ainsi que des textes moins étendus : La Sphère par Neuf, et pour clore Le Sujet de ma Poésie, c’est ma Poésie..
D’emblée s’annonce (mot de l’Ange) une manière de liturgie, assez largement oecuménique (exemple : la Nuit d’Al-Qadr), de tonalité ésotérique : L’Epée d’Orphée, et Osiris, et une herméneutique et une lyrique toutes personnelles. Qu’on en juge avec ce fragment pris (page 87) presque au hasard :
Où que tu sois, un temple s’établit comme livre, cernant vivant tout le nom.
Les astres se gouvernent. Sur la scène déserte sans me voir tu me prendras
Et t’épousant toi-même, moi-même m’épousant, ne nous sachant le même, ayant
À vivre en secret toutes les passes des ondes, je serai cet or qui s’écoule.
Vois ses cordes, vivantes lumineuses des blancs retours des idylles lactées
Oui, tu les pourras tendre pour la scansion des temps, je tournerai de par La Lyre
Sans jamais nous rejoindre, l’enchaînement sacré que meut Amour, là reposant.
Je suis femme par toi, le châle des années, est-ce celui que conquiert l’écrit ?
Et la roue qui couronne le chant l’avait sauvé, le feu de roue d’homme et de femme.
Suis-je pâle en son nom que tes mains ont voilé, sauve dans ton corps pourrais-je vivre ?
Mais avec nous l’esprit te garderait. Nous nous sommes donnés. J’ai tes yeux vivants
Et tu es béni dans le sel qui les échange. Je prierai. Je dirai, Ô ferme
Les yeux avec moi dans le grand pays froid, et conte-moi la clef de L’Androgyne
Et La Porte des Fées. [...]
Ainsi le lecteur peut-il savoir s’il est prêt à accomplir le voyage ! Si la dénomination Cantique peut bien sûr faire penser au Chant des chants ou à Jean de la Croix, c’est davantage du côté de Dante qu’il faut le situer : cf les paragraphes VII et VIII de Dante, le Jardin. Notes, in La secrète :
La Commedia est un récit de voyage, elle semble confirmer la parole du Christ : « Bienheureux les coeurs purs car ils verront Dieu » sans mourir. Nerval a traversé deux fois l’Achéron, mais les champs de la Lune se labourent trois fois. L’apologétique chez Dante n’est pas propagande. L’imagination est un attribut de Dieu. L’éternité doit être pensée et imaginée. Vérité et mélodie sont le même mot en hébreu, l’oeuvre de Dante, comme la Quête du Graal, devient un des livres des morts de la Chrétienté. Saint Étienne aurait pu l’écrire s’il n’avait été lapidé par ceux qui font des paroles de Dieu des pierres et des armes, qui veulent séparer ici-bas le bon grain de l’ivraie.
C’est donc Béatrice qui décide du lieu de la rencontre avec Dante. C’est le jardin en Éden. Dante y est assigné. Par la prise de parole de Béatrice. Ne s’est-il pas déplacé, quant à son Orient ? II a succombé aux tentations de l’idéologie et du politique. Le jardin apparaît alors comme le lieu de la métanoïa, puisque ce fut le lieu de la chute. Il exige de Dante un changement de cap, un changement d’état de nature, et même d’état de l’être, selon René Guénon, comme si Béatrice allait le sacrer suivant sa réponse, après l’avoir éprouvé, comme le sacre d’un roi qui est toujours double, un public et un secret, ou l’ordination d’un prêtre, ou le baptême qui nous fait pur esprit.
Seule l’âme peut sacrer dans son ordonnance quelque peu impérieuse, qui est le cas de Béatrice. Pour Léonard de Vinci la Joconde était peut être le portrait de son âme. Dante se doit à la réalisation de son âme, et à elle seule, désormais, à cette hiérogamie. [...]
Longues citations, certes, mais tout Guez est là, à prendre ou à laisser.
Ils sont nombreux à ne pas avoir laissé : Yves Bonnefoy, Bernard Noël (dont nous attendons un ouvrage de la collection Poésie chez Jean-Michel Place), Michel Deguy et combien d’autres qui rendent témoignage comme dans ce numéro de la revue Sorgue : André Ughetto, Dominique Sorrente, Joël Vernet ...
Emotion et gravité de la Dernière livraison par Bernar Mialet, et tout particulièrement cette lettre - citée par Dominique Sorrente - du jeune poète à l’un de ses oncles (il a 17 ans, à 16 il a reçu le prix Paul Valéry) où se dessine l’irrésistible vocation du futur pensionnaire de la Villa Médicis.
Pour revenir à ce Cantique qui est à Gabriel/le qui résonne de L’Annonce faite à Marie, des dessins d’anges qui parsèment textes et correspondances de l’auteur, si Gabriel était bien l’un de ses prénoms, l’adoption du féminin, de la double identité, résulte d’une vision à Patmos : là aussi tout le texte bruit d’une perspective de révélation sans cesse annoncée et dont la mort est « la nuit blanche », mais aussi de l’érotique du finale de l’Apocalypse :
L’Esprit et l’épouse disent :
Viens !
Que celui qui entend dise :
Viens !
qu’exprime à sa façon cet exergue de Kou-Fong, qui ouvre L’Amen (seconde partie de Maison-Dieu) :
« Allez chercher la plus belle femme de la terre ...
Quand vous serez parvenu à l’illumination
à force de prier sur ce tapis de chair
vos yeux s’ouvriront sur la réalité. »
[1] Michel Deguy, L’Ange, Po&sie n° 82, 4° trim. 1997, pp. 98-105
[2] Christian Gabrielle Guez Ricord, La Secrète, Fata Morgana, p. 26
[3]
Christian condense une force affirmative originale- et communicative, comme si Dire c’était s’efforcer que se communique quelque chose d’à la fois ineffable et fable, de paradoxalement inégal au discours et entièrement ordonné à la parole ... condense donc, sa croyance, la croyance de ce CROIRE qui le fait être. Par exemple dans le texte intitulé l’Ange et l’hôte (52) affirmant que les trois confessions monothéistes « peuvent formuler toutes les trois cette postulation unique qu’il n’y a de Dieu que Dieu et l’homme est son poète », où on entend le rythme coranique de l’affirmation. Le poète est donc un homme qui parmi les hommes dit que l’humanité de l’homme, quelle que soit l’invraisemblable indénombrable diversité des destins, est essentiellement « poète de Dieu » ; où on entend que poète est substitué à prophète et que tout homme (et pas seulement un élu) peut se faire révélateur d’une « révélation » qui passe donc par son « poème »
Et en nos temps menacés par le fanatisme- où les religions intégrisées font retour et où la bonne foi sert d’alibi imparable à la violence désintégratrice, j’avoue que je suis surtout ému par l’attachement de Guez pour Al-Hallaj et cette citation qu’il aimait :
« Toutes les croyances relèvent du Très-Haut. /.../ Le judaïsme. le christianisme, l’islamisme et autres croyances sont des surnoms différents, et des appellations diverses. /.../ Ne va point exiger de quiconque qu’il adopte telle ou telle croyance. »
Et in fine, le Deguy qu’évoque Nancy dans La Déclosion :
L’inventive profanation poétique, la géniale simonie du religieux, convertit l’incroyable en révélations de la « profondeur de la vie » (Baudelaire) dans le royaume terrestre jusqu’à « la fin du monde » : convertit le mémorable immémorial en représentations immanentes à l’expérience quotidienne, en poèmes (si l’on veut bien entendre ce mot comme s’il était forgé sur le modèle de mythème, philosophème, sémème... )
Ceci faisant écho au chapitre "Prière démythifiée" dédié à Michel Deguy.
D’une citation d’Adorno qui écrit :
que la musique, "Prière démythifiée, délivrée de la magie de l’effet, représente la tentative humaine, si vaine soit-elle, d’énoncer le Nom lui-même au lieu de communiquer des significations".
Deguy de commenter :
Prière démythifiée ? Voilà un oxymore puissant, un mascaret où s’affrontent le mouvement de la croyance (le credo de la prière) et le mouvement de la mé- ou dé- ou in-croyance : si la démythification se retire de la créance, de l’élan de la confiance ou de crédulité en.
et Nancy de nous livrer les plus belles pages qui soient pour aboutir à cet impératif catégorique : vider et laisser se vider toutes les prières qui négocient un sens, une issue, un rapatriement du réel dans l’étroit enclos de nos humanismes délavés et de nos religiosités crispées, afin de seulement rouvrir la parole à sa plus propre possibilité d’adresse, qui fait aussi tout son sens et toute sa vérité.
[4] Bio-bibliographie sur le site du CipM
[5] Le bois d’Orion a pour vocation d’éditer des textes littéraires
qui allient recherche (intellectuelle, artistique, spirituelle)
et qualité de l’écriture et qui, en outre, partagent tous
une certaine magnétisation.
Outre des écrits du XXe siècle, se situant, à titre d’indication,
dans le sillage du surréalisme, nous souhaitons éditer des textes
de l’orient et de l’antiquité occidentale. Nous privilégierons
également les textes relatifs à la recherche artistique.
Que le récit d’un auteur contemporain, le journal d’un peintre,
puissent voisiner avec la recension d’un texte sanscrit
dans le temps partagé de l’expérience humaine, d’une quête du réel.
[6] orthographe occitane