08/12/09 — Bénédicte Vilgrain, Jean Cooren, Jacques Derrida, Michel Lagrange, Luc Boltanski, Stéphanie Chaillou, Adrian Oktenberg, Chann Lagatu
En poésie, Yang peut venir se loger - au lieu de ’ang, faible –
dans l’espace entre deux points (soit une ·syllabe·) pour combler
le mètre : « Les dieux [LHa] ·Yang· : les dieux faisant · eux aussi·
tomber la pluie à temps. » Tandis que :
une queue très blanche étant l’ornement du yak,
flocons de neige l’ornement du vent,
composées jaunes l’ornement du pré ...
— RNgà ma, la queue — RNgà, le tambour - ·ma·,
une particule très féminine venue se loger entre les deux points, ne
sert pas seulement le vers - mais le sens.
Bénédicte Vilgrain [1]
Bénédicte Vilgrain, Ngà
« En 1986, j’ai traduit aux éditions Fata Morgana La Raison de l’oiseau, poèmes du Vième Dalaï Lama (1683-1707), sorte de Minnesänger de la littérature tibétaine dont le génie fut de resserrer, sous la loi métrique, les « poèmes à chanter » de la tradition, sans leur faire perdre leur fraîcheur. Entre 1986 et 2000, j’ai étudié le tibétain dans l’espoir d’établir un « Wortschatz », un vocabulaire où chaque mot recensé aurait été traité comme la clef d’usages diversifiés, métaphoriques, évoqués dans des proverbes. Mais la langue tibétaine est un médium aussi éloigné de la langue française qu’un rêve peut l’être de son interprétation discursive… » [2] précise Bénédicte Vilgrain en présentant son projet de grammaire tibétaine.
Voilà pourquoi Abgail Lang a donné il y a peu, à sa lecture de Bénédicte Vilgrain le titre évocateur : L’interprétation des raves [3], avec d’utiles précisions sur raves et navets, et non sans avoir au préalable évoqué Freud, en prélevant à un travail en cours ces réflexions :
« J’ai souvent l’occasion de relever L’INCIDENCE, DANS LA LOGIQUE NARRATIVE, DE CES HOMONYMIES, pas seulement parce que l’état manuscrit des contes laisse au copiste toute latitude pour TRADUIRE CE QU’IL ENTEND avec ses propres pré-supposés - on s’en aperçoit en comparant mot à mot divers manuscrits des mêmes contes... Mais aussi parce que, comme le remarquait déjà Freud dans L’Interprétation des rêves, "les CLEFS DES SONGES orientales, dont les nôtres ne sont que de misérables plagiats, expliquent le sens des éléments du rêve d’après l’assonance ou la ressemblance des mots," » [4]
Et sans aller jusqu’aux “FANES ET RAVES” de freudienne mémoire [5] : “WIE KRAUT UND RÜBEN” [6] , il apparaît que :
« RAVE prononcé rève (ou à l’anglaise avec diphtongue) est un emprunt (1990) à l’anglo-américain rave, de to rave "délirer" (Rey) », est tout aussi conforme à l’esprit de grammaire poétique de Bénédicte Vilgrain qu’au montage virtuose d’Abigail Lang.
C’est dire si le petit livre à la couverture jaune d’or est un trésor d’intelligence poétique. L’introduction dit le souhait de l’auteure que « les exemples de propositions qu’elle extrait de diverses grammaires tibétaines répondent bien à la définition du métalangage au sens large », celui qui scrute des énoncés (la lettre Nga servant à forger en tibétain nombre de concepts) plus que des choses. Elle se confie néanmoins au philosophe Tsong kha pa (Tibet, 1357-1419), « pour ne plus exclure qu’une image de notre monde mental, — “universalisable”, comme l’étang de Thoreau — existe réellement soit une chose ! »
C’est entendu :
« Nga-ro, c’est le son d’une voix faisant vibrer chaque lettre ; on appelle Nga-ro l’émission des lettres célibataires (par opposition aux lettres regroupées) mais, quand la consonne a une voyelle, on tient comme nga-ro la lecture des deux lettres mélodiquement l’une à la suite de l’autre.
Le hurlement d’une tigresse en colère produisant de l’écho, on l’appelle Nga-ro.
Terrassante la majesté du lion : son rugissement Nga-ro, & ses griffes ! »
[p. 41]
Jean Cooren, L’ordinaire de la cruauté
Pour donner le ton, à tout le moins ce qui me semble la flèche indicatrice, du beau livre de Jean Cooren, L’ordinaire de la cruauté, aux éditions Hermann [7], je rapprocherai deux extraits de recensions d’un même livre de Nathalie Zaltzman, L’Esprit du mal [8], ouvrage que le psychiatre-psychanalyste lillois cite à plusieurs reprises :
Premièrement, l’une qui relève, de Nathalie Zaltzman : « Le saut opéré par le gain culturel est transgressif ; il ne s’accomplit qu’à enfreindre des interdits de penser, à détruire des illusions, à désorganiser des repères. » [9]
Deuxièmement, Pierre-Henri Castel qui intitule son article Le mal à travers le prisme du travail de la culture : « Il est bien certain que Freud a mis son pessimisme dans l’homme au service de sa théorie. Le beau livre de N. Zaltzman relance la question, car il refuse de s’engager tout uniment dans la direction de l’essayisme psychanalytique contemporain, qui met carrément la psychanalyse au service du pessimisme, et parfois d’une franche haine du temps présent (lequel temps le rend fort bien à la psychanalyse, quand l’occasion se présente). Il ouvre en effet une fenêtre dans l’espace clos du débat sur les effets psychiques des mutations historiques de la culture. C’est le paysage au dehors dont on attend désormais des nouvelles. » [10]
Si Jean Cooren invoque Nathalie Zaltzman pour ce qu’elle fut « une psychanalyste passionnée » [11], c’est aussi parce qu’il fait une lecture assez comparable à la sienne de cette étrange pulsion de mort dont le concept s’imposa à Freud en 1920, également car il croit au travail de culture et en particulier celui que permet la psychanalyse, à l’articulation de l’intime et du social, pour écrire du nouveau à partir des archives déconstruites, permettre du recommencement à partir de la lyse de ce qui fait empêchement à vivre. J’ajoute sans broncher l’exclamation « Enfin ! » chère à Jacques Derrida [12] dont Jean Cooren est un lecteur endurant, et qui constitue une référence majeure tant dans l’esprit de sa clinique, que dans son enseignement, sa recherche. Tant Résistances de la psychanalyse [13] qu’États d’âme de la psychanalyse sont récurrents dans son discours, tandis que Spectres de Marx est appelé à illustrer hantise et hantologie manifestée par la transmission transgénérationnelle [14]. A cet égard, le chapitre IV est exemplaire. Intitulé Le transfert, un texte hanté (et hantable) à déchiffrer, il était à l’origine destiné (ô destinerrance) à la préparation de deux journées de l’association Patou [15] en 2006. L’auteur ayant en liminaire indiqué que le lecteur pouvait découvrir ses textes selon l’ordre choisi pour cette publication, mais aussi sur un mode aléatoire voire à rebours, je m’autorise à indiquer comme prioritaire la lecture de ce chapitre IV, où Jean Cooren déplisse avec un doigté tout pédagogique (donner sa plus haute valeur à ce terme si souvent décrié) la tâche d’un lecteur confronté à une scène d’écriture passablement embrouillée, où palimpsestes et récritures en provenance d’un temps éclaté [16] donnent leur (s) forme(s), son style à l’énigme. Je recopie la note 28 de la page 99, qui dans le langage le plus simple (mais chargé de références - d’une culture, d’une pratique) éclaire à la fois la manière de Jean Cooren, ses présuppositions et une direction de travail :
« L’immensité de la tâche et son éventuelle pénibilité ne font pas pour autant de l’analyste un saint. L’on n’attend pas d’un lecteur qu’il soit un saint. Par les méandres de son histoire propre, il a été placé en position de devenir un passionné de la psyché, il y a développé des compétences propres, et il en a fait son métier : il est un artisan, un travailleur, quelquefois un artiste, confronté indéfiniment à la même tâche, que l’on peut espérer devenue plus aisée pour lui-même que pour l’analysant dont il s’occupe. En général, il ne s’en lasse pas. Car l’humanité de l’analysant est aussi quelque part celle de l’analyste. Pas plus que l’on ne se lasse dans un voyage de retrouver les mêmes voies, de découvrir de nouveaux paysages, d’explorer des contrées sauvages, de frayer de nouvelles voies ».
Il faut (oui, il faut) lire dans "l’humanité de l’analysant est aussi quelque part celle de l’analyste" la place de l’ordinaire de la cruauté - originé dans la pulsion de mort, que l’analyste aura reconnue dans sa propre cure -, l’inconditionnalité de l’hospitalité, et le travail de culture qui en résulte.
C’est de ce point de vue que Jean Cooren invite à une lecture ou une relecture de Faulkner, et n’hésite-t-il pas à prescrire et nous le suivrons, à celle d’Édouard Glissant : Faulkner Mississipi, et à la question : « La psychanalyse est-elle en mesure d’apporter un “plus” ou un différant par rapport à l’oeuvre faulknérienne ? », l’auteur avance : « Je le pense. Mais pour que la pulsion de mort y échoue davantage encore, la cure doit réellement devenir ce lieu qui recueille le différé battant de la trace. » Ce chapitre II pourra constituer, c’est selon, une autre entrée dans la démarche du psychanalyste, ses attendus, repérer ce qui se trame d’un archivage différant d’une nouvelle part d’inconnu. Avec cette conclusion de longue portée :
« Et là, nous touchons un peu plus au lieu de tous, au lieu du monde. »
En ce lieu, c’est autre formulation du poétique qui peut se faire jour : le chapitre V, à partir d’une lecture de Che cos’è la poesia [17], car celle-ci établit trois similitudes entre l’inconscient et le poème : « l’inconscient et le poème n’aiment pas qu’on les dérange ; ils entretiennent un rapport structural avec l’inquiétante étrangeté et le diabolique ; ils s’exposent tous deux à la mort. » Intrigant ? autant que Derrida sache nous intriguer avec cet incipit ex abrupto :
« L’on te demande de répondre — en deux mots, n’est-ce pas ? à une telle question... »
Laissez-vous lire par ce chapitre-là ! ainsi tous se répondent, et nous en assure la table qui nous est proposée : I - Les trouvailles d’un petit-fils (fort-da !) ; II - Faulkner et la réécriture du malheur ; III - Douleur d’archive ; IV - Le transfert, un texte hanté (et hantable) à déchiffrer ; V - La tragédie du hérisson (sur Che cos’è la poesia) ; VI - Le repentir du revenant ; VII - Le pas de côté laïque ; VIII - Le propre de l’enfant : une écriture à sauvegarder ; IX - Incertaines frontières.
L’un des tout premiers lecteurs, Pierre Delion, qui signe la préface, a raison de relever, après avoir mis en valeur "ce qui est sur la table" :
« pour rester subversive, déconstructrice, et pour ne jamais « arriver » nulle part, ne jamais accoster, ni échouer en l’un de ces trois lieux (l’adaptation aux normes, la posture religieuse et l’emprise morale), elle se doit de travailler « l’événement" que constitue chaque séance, non pas en tant que point fixe, mais en tant que" dérive" (Trieb) et risque perpétuel d’accostage. La meilleure force de résistance de la psychanalyse à ces attaques en tout genre, réside dans le fait qu’elle puisse parvenir effectivement, encore et toujours, à produire du questionnement vis-à-vis des réponses définitives que l’on attend d’elle ou qu’indirectement elle pense apporter ».
Et plus loin :
« [...] L’analysant et l’analyste découvrent, ne serait-ce que par l’expérience de la cure, que la vie se situe du côté de la liberté infinie d’écrire et de réécrire, et que l’usage de ces libertés fondamentales que sont le penser et le parler peut être orienté autant vers la mort que vers la vie. »
En quoi le livre de Jean Cooren intéresse tout spécialement qui se mêle d’écrire, ou de lire, d’écrire ce qu’il lit. Gravité de la littérature.
Les poètes donnent des signes
« Pas de poème sans accident, pas de poème qui ne s’ouvre comme une blessure, mais qui ne soit aussi blessant. Tu appelleras poème une incantation silencieuse, la blessure aphone que de toi je désire apprendre par cœur. Il a donc lieu, pour l’essentiel, sans qu’on ait à le faire : il se laisse faire, sans activité, sans travail, dans le plus sobre pathos, étranger à toute production, surtout à la création. Le poème échoit, bénédiction, venue de l’autre. » [18]
Ce sentiment, le psychanalyste nous dit l’éprouver, en donne sa lecture, en précisant que l’acte analytique permettrait parfois d’entendre venir d’un peu plus loin... rejoignant en cela le geste poétique en son insu qui permette cette advenue... [19] ; c’est toutefois avec l’imprudence du hérisson que je m’avancerai ici avec quelques poètes sur les fameuses autoroutes de la non moins fameuse information. Que ceux-ci me pardonnent ma gaucherie et à leur tour ne se mettent pas en boule !
[20]
Si les bourguignons, le poète dirige le CRL de Bourgogne [21], et quelques happy few et non des moindres (René Char, Pierre Emmanuel), connaissent, apprécient ce qu’écrit, fidèlement, Michel Lagrange, il est revenu aux éditions Galilée d’accorder une plus longue portée à ses ouvrages, avec en 2007, Les Morts de Sébastien Danger, et récemment : Contre-jours [22].
Ce dernier livre — la quatrième de couverture précise : « L’homme ne choisit pas certaines œuvres, en face desquelles il est porté. » — est bien autre chose que l’ordonnancement d’un parcours ekphrastique : les oeuvres choisies ne peuvent manquer de rencontrer l’approbation du lecteur-feuilleteur, familier de tableaux que la culture a consacrés — à juste titre, y compris en ce qui concerne la modernité. Mais avec celles-ci l’auteur entre à nouveaux frais en dialogue.
L’écriture des poèmes est très classique d’apparence : ne pas s’y fier ! telle ou telle fulgurance tout à coup renverse et pointe vers une interrogation métaphysique, empruntant à une spiritualité repérable ses mots vers une avancée dans l’Ouvert :
Si les parfums pouvaient parler,
Ils me répéteraient la version de l’archange,
Et l’or des murs, et la colombe.
Je m’oblige au courant formel de la divinité.
Une exigence au bout de mon hésitation.
Au cœur du labyrinthe humain.
Je ne m’attarde plus dans des hasards
D’emploi du temps.
Et je suis femme infiniment
Par ce qui me dépasse et me concerne.
Nous nous croyions, et nous y sommes, chez Simone Martini (Annonciation), et tout à trac, trouble dans le genre !, ce qui est délicieux, et se répète de multiples fois pour le plus grand bonheur d’une attention qui se doit de « flotter » : Che cos’è la poesia ?
Aussi ne pas se fier aux apparences, nous ne sommes pas en présence d’un « beau livre », au sens où la saison l’indique (certes les illustrations, certes les doubles pages en couleurs - parfaites) ; le livre d’Heures (ah les cotrons relevés des « riches heures du duc de Berry » ) est avant tout un livre de pensée qui ne se dit pas, pro pudor, vraisemblablement : lire les poèmes sur Giorgio de Chirico (La Place d’Italie n’est pas celle qu’on pense) ou Francis Bacon (Les exhibés) ; en se donnant à ces oeuvres, le poète leur donne tout leur lest d’humanité ; sa manière est déroutante, au fil du parcours, elle s’avère envoûtante ; il y a dans une quasi phraséologie protectrice de multiples signes en direction d’une esth/éthique, qui passant par les défilés d’une certaine formalité n’en indique pas moins des énergies, sinon indomptables, du moins indomptées.
— Aux éditions mf (musica falsa)
La nuit est trouble
La liberté est trouble
La liberté est sans sommeil
*
pourvu qu’elle demeure tu demeures
Lumière allouée d’une autre bouche
cingle le temps boute la peur
dard qui fait vivre ce qu’il touche
Cette flèche finale de Lieder de Luc Boltanski [23], en ce qu’elle touche ! Un très beau livret, en quatre parties : Pour une disparue, Ce dont l’histoire se souvient, Ce qui survient au passage, Morts d’accompagnement, qu’explicitent, comme aime le faire le poète, des notes (anecdotes, circonstances, et cette remarque de saison : « Pourquoi même les choses et même le marché ont-ils besoin, comme nous, de l’amour pour tenir ? Ce mystère est le mystère de Noël qui dévoile, parfois pour notre peine, les noces, célébrées à nouveau chaque année, de l’économie et de l’amour ».), cette fois en fin d’ouvrage.
— Aux éditions Isabelle Sauvage
Parmi les nouveaux livres parus chez cette éditrice (qualité du choix et de la mise en oeuvre éditoriale pour la maison de Coat Malguen en Plouénour-Ménez !) j’ai repéré comme Pierre Le Pillouër, et dans le même ordre (c’est lui qui me conforte) :
— Stéphanie Chaillou, Un léger défaut d’articulation, dont je me contenterai, pour rendre visible la "méthode" [24] et éprouver « le trouble délicieux » [25] de hasarder cet exemple :
je dis souvent que j’ai des dettes, que je suis endettée ou que je dois de l’argent il y a de l’indifférence, des coteaux, des copeaux quand je croise des femmes d’une cinquantaine d’années, je me demande ce qu’elles pensent de leur sexe des colliers de chien, des fientes, des volières je me demande aussi si ça s’use un sexe des insanités, des moussaillons, des girafons j’ai parfois une image de petit chat malingre aux grands yeux bleus et au poil ras dans la tête du fil dentaire, des lavements, de l’ambiance je me souviens que ma mère disait toujours de faire attention à ses pauvres affaires des pruneaux, des professeurs de gymnastique j’ai visité l’Acropole avec mon frère et ma sœur en août 1995 des roches volcaniques, des nations, des nomades
— Bosnie élégie, qui est le premier livre d’Adrian Oktenberg traduit en français — par Séverine Weiss — , dont, outre la préface de François Maspero, parle sans emphase ceci :
- Ce jour-là à Srebrenica
l’aube a été d’un noir de jais.
Ce livre s’inscrit, pour les événements qu’il évoque, dans le nécessaire "Kulturarbeit" travaillé par Jean Cooren à la suite de Nathalie Zaltzman (et bien d’autres, mais où porte leur voix ?) qu’il appelle ; les fantômes ne manqueront pas de revenir.
— Aux éditions Wigwam
Il est tout à fait hors de question que je vous dise qui est Chann Lagatu (chapeau bas — bonnet rouge —pour l’hétéronyme !) auteur de « Journal d’un voyage à pied le long de la rive sud de la rade de Brest en hiver », le soixante-dix-septième titre de la collection Wigwam retiré à 100 exemplaires (les 200 "ordinaires" étant épuisés, elle est belle la Bretagne.) Juste un indice — privilège générationnel : né en 1944, et "Devant ma tasse , deux noms sentent le café : Oppen, Creeley". Je sens que Jacques Josse, qui veut dételer [26] , va devoir remettre ne fût-ce qu’un peu sur le métier !
Quelle joie, quelle écriture intelligente, ses coups de gueule, son humour dévastateur, ce petit rien de mise en forme qui change tout, et qui hausse le sentiment, je dirais la quasi-opinion à la poésie ! Pour un peu je vous recopierais, pardon je me dicterais, les treize à la douzaine de pages d’éclats poétiques de ce livret. Je me risque à quelques exemples non-choisis :
Les fenêtres s’ouvrent : du regard on interroge les regards.
et incontinent :
Ah, baiser les fesses de la lune, qu’elle garde bien serrées.
Émotion, ce distique :
Les mains des paysans reproduisent la surface de la lune.
Des siècles de mains crevassées jusqu’à ces mains-là.
et un jour de lessive :
La chemise où souffle l’esprit lève les bras au ciel.
Kenavo !
[1] Bénédicte Vilgrain, « Une grammaire tibétaine », Chapitre huit, Ngà, éditions Héros-Limite, 2009.
[2] Je souligne. Bénédicte Vilgrain ajoute : « Par exemple : par quoi remplacer en français cette assonance, remarquable en tibétain, du mot bonheur, « sKyid », avec la marque casuelle de l’instrumental, « kyis » ? Depuis 2001 j’ai décidé de « ranger », pour que rien ne se perde, mon vocabulaire dans une « Grammaire » : c’est-à-dire d’associer aux proverbes traduits les vers fondateurs de la grammaire (et de l’orthographe) tibétaine, vers attribués à Thonmi Sambhota, le « ministre » du roi Srontsen Gampo (VIIème siècle), le premier roi unificateur du Tibet fidèle aux tables de la « Loi Bouddhique »… Au lieu d’être illustrées par des exemples littéraires, les prescriptions grammaticales et les observations linguistiques se voient rapportées à des dictons, à des fabliaux. »
Chapitres parus : 1, ou « Ka » (contrat maint, Marseille) 2001. 2, ou « sKu » (Édition de l’Attente) 2002. 3, ou « Khà » (contrat maint) 2003. 4, ou « Khyi » (revue if, n° 24, Marseille) 2004. 5, ou « G’i » (Flammarion, collectif : 39 poètes) Paris 2004. 6, ou « Grog(s) » (contrat maint) 2004. 7, ou « Nga » (revue Fin, N° 24), Paris 2006. 8, ou « Ngà » (six propositions in catalogue des La Haute école d’arts et de design – Genève) 2006.
[3] Abigail Lang, L’interprétation des raves, Lecture de Bénédicte Vilgrain, Revue Critique, n° 735-736, août-septembre 2008, pp. 656-668.
[4] « Cendrillon, versions tibétaines », à paraître aux Presses universitaires de Rouen.
[5] Sigmund Freud, L’interprétation des rêves, PUF, 2003, p. 390.
[6] Comme "fanes et raves", c’est à dire ce qui reste pêle-mêle, sur un champ, après la récolte.
[7] Jean, Cooren, L’ordinaire de la cruauté, éditions Hermann, octobre 2009. Philippe Petit qui a reçu Jean Cooren pour l’émission de France-Culture La fabrique de l’humain, donne sur son blog la possibilité d’écouter l’émission du 19 novembre 2009, au cours de laquelle on réentendra Nathalie Zaltzman et Jacques Derrida.
[8] Nathalie Zaltzman, L’esprit du mal, éditions de L’Olivier, collection penser/rêver, 2007.
[9] Souligné par Dominique Bourdin, dans son analyse de Nathalie Zaltzman, L’esprit du mal, sur le site de la Société Psychanalytique de Paris. La phrase d’origine se conclut par [des repères] « qu’on tenait jusque là pour vitaux ».
[10] Pierre-Henri Castel, Le mal à travers le prisme du travail de la culture, nonfiction, 19 novembre 2007.
[11] Selon les termes de Michelle Moreau Ricaud, dans la revue Le Coq-Héron : Nathalie Zaltzman (1933-2009), une psychanalyste passionnée. Bibliographie sur le site du Quatrième Groupe dont elle était membre.
[12] Jean Birnbaum, commençait ainsi l’ultime entretien donné par le philosophe au journal Le Monde (18.08.04) - texte publié chez Galilée, l’année suivante - « Au seuil de cet entretien, faisons donc plutôt retour sur Spectres de Marx (Galilée, 1993). Ouvrage crucial, livre-étape, tout entier consacré à la question d’une justice à venir, et qui s’ouvre par cet exorde énigmatique : "Quelqu’un, vous ou moi, s’avance et dit : je voudrais apprendre à vivre enfin." »
Voir aussi « L’écriture poétique et la justice », texte dans lequel Elke de Rijcke rapproche l’hantologie de Derrida de celle d’André du Bouchet.
[13] Une fois pour toutes, je renvoie à la bibliographie donnée par « l’éditeur de la déconstruction »
[14] Lisibles par exemple, chez Françoise Davoine avec Mère folle Editions Arcanes, Apertura, 1998 (v. cette traduction filmique), ou encore version roman chez Leslie Kaplan avec Fever aux éditions POL ; à lire cet entretien avec Arthur Chambard .
[15] Jean Cooren déclare avoir été amené à participer au développement à Lille depuis 1988 d’une étrange association nommée Patou dont l’objectif resté « improbable » est de faire coexister en un même lieu des croyances en des conceptions différences de la psychanalyse, chacune gardant son vocabulaire propre.
[16] Je me réfère aux ouvrages d’André Green aux éditions de Minuit, Le temps éclaté et La diachronie en psychanalyse ; les éditions Hermann viennent de publier L’aventure négative, une lecture psychanalytique d’Henry James.
[17] Jacques Derrida, « Che cos’è la poesia » in Points de suspension, Galilée, 1992, p. 303-308.
[18] Jacques Derrida, op. laud, p. 307.
[19] C’est ce sentiment (incantation silencieuse, blessure aphone) que j’éprouve lors de certaines séquences de la cure, celles que j’aimerais, telles des installations, sauver de l’oubli, de l’effacement, de l’écrasement, en les apprenant par cœur, et que je peux m’efforcer parfois de traduire maladroitement dans d’inutiles notes. Alors aussi pourrais-je dire, pourrais-tu dire, pourrait-on dire que la psychanalyse se constitue ainsi par la mise-à-jour, la mise-à-mort, la mise-à-cœur, la mise-en-prose de ce grouillement de poèmes ? L’acte analytique serait-il, [...] fidèle en cela à l’inspiration de Derrida, dirais-je, dirais-tu, dirions-nous [...] ce qui permet que se mette en place chez l’analysant une autre architecture du poème, qu’advienne en lui une autre poétique moins coûteuse, plus profitable à lui-même et à la collectivité. (J. Cooren, op. cit. p. 112)
[20] Je suis une dictée prononce la poésie, apprends-moi par cœur, recopie, veille et garde-moi, regarde-moi, dictée, sous les yeux : bande-son, wake, sillage de lumière, photographie de la fête en deuil.
Elle se voit dictée, la réponse, d’être poétique. Et pour cela tenue de s’adresser à quelqu’un, singulièrement à toi mais comme à l’être perdu dans l’anonymat, entre ville et nature, un secret partagé, à la fois public et privé, absolument l’un et l’autre, absous de dehors et de dedans, ni l’un ni l’autre, l’animal jeté sur la route, absolu, solitaire, roulé en boule auprès de soi. Il peur se faire écraser, justement, pour cela même, le hérisson, istrice. Jacques Derrida, Che cos’è la poesia, p. 303-304.
[21] Le confirme cette notice bio-bliographique.
[22] Michel Lagrange, Contre-jours, éditions Galilée, novembre 2009 ; prendre connaissance de la quatrième.
[23] Luc Boltanski, Lieder, éditions mf.
[24] « Stéphanie Chaillou surprend avec cette intrication de deux matériaux filants : une série de listes commençant par il y a et un autoportrait qui semble sortir droit d’un atelier d’écriture à contraintes ; le second texte est imprimé en gras, il intègre le premier, l’avale et parfois l’exhausse, par la grâce d’associations hasardeuses. Il en résulte un trouble délicieux, d’autant plus déstabilisant pour le lecteur que le texte en gras dévoile des pans d’intimité (dessous et lectures) désarticulés, en contrepoint de l’objectivisme des listes. »
[25] Cf. ce commentaire de Pierre Le Pillouër.
[26] Cf. cet entretien avec Cécile Guivarch’.