lettre du 21 janvier 2008
À cause d’une sorte de gouffre intérieur, très longtemps (en suis-je sorti indemne ?), relativement aux autres, j’ai vécu, non dans l’idée mais dans le sentiment que leurs intérêts, leurs activités, leurs orientations étaient préférables aux miens trop souvent coupables de n’être pas suivis jusqu’au bout.
En dépit des doutes qui s’attachaient à elle, l’écriture, où il n’était pas question de lâcher prise (mais à quel prix et pour rejoindre quoi ?) m’aura-t-elle délivré ? Pas vraiment : elle n’aurait pu que se dessécher sans une part mieux faite à autrui à travers les liens d’affection qui auront le plus et le plus durablement compté.
À y repenser ; l’avantage que je reconnaissais aux autres leur venait surtout - comment dire ? - de n’être pas moi et d’échapper ainsi au tourbillon d’incertitude dans lequel, le vertige au ventre, j’étais trop souvent entraîné.
Pierre Chappuis.
Ce « Pierre Chappuis par lui-même » me dispense d’en dire davantage, pour indiquer deux ouvrages récemment parus chez Corti, l’un de notes et de réflexions, dans cette même veine : La Rumeur de toute chose et un recueil de poèmes Dans la foulée qui rassemble des morceaux provenant des quatre dernières décennies correspondant aux quatre parties de l’ouvrage.
Je n’aurais garde d’oublier le lecteur de Leiris et Du Bouchet (retrouver cette discrétion dans le numéro 14-15 de l’étrangère : Presque sans émoi, pp. 151-155),
Par temps sec ou lisible
Si claire, la page,
le regard est toujours
le premier pour elle,
un mot lui rend grâces,
serait-il bref, ce serait « fruit »,
à la fois tu l’écris,
tu le prononces,
tu en as la splendeur.
Cette page, Pierre Dhainaut nous l’offre dans son dernier recueil : Levées d’empreintes aux éditions Arfuyen, dont plusieurs poèmes provenaient de livres d’artistes, en particulier avec Marie Alloy, dont on admirera en couverture Résille d’hiver III.
A une œuvre partie des confins du surréalisme, fortement croisée à celle de Jean Malrieu et Bernard Noël, l’université a rendu hommage : colloque Pierre Dhainaut, la passion du précaire. Un des derniers numéros de Polyphonies (n°19, 1995) comportant un entretien avec Jean-Yves Masson et une étude Epeler la langue de l’air, donne la mesure de la fidélité de l’auteur de Fragments et louanges.
Pour avoir réagi, à la parution, avec un enthousiasme non mesuré à la lecture de La chaste vie de Jean Genet de Lydie Dattas, j’étais fort curieux d’entendre celle-ci répondre aux questions d’Olivier Germain-Thomas, dans l’émission « For intérieur » de ce dimanche.
Le loup ne la mangea pas.
Lydie Dattas a écrit ce livre en poète qu’elle est. Qui partage sa poésie [1], pourra partager la vision qu’elle donne de celui qu’elle a côtoyé et admiré, et dont elle a comme adopté la manière (cf. La nuit spirituelle).
Je ne sais s’il faut faire fonds sur la trouvaille de Dominique Eddé (interrogée par Georgia Makhlouf, entretien qui clôt la recension des essais sur Genet à cette page), relativement au nom retrouvé du père de Jean Genet, mais je comprends que l’écrivain ne peut qu’y être sensible.
La page de Pierre Dhainaut comme un blanc-seing !
Mona Heftre a créé en octobre 2007 "Albertine" spectacle qu’elle a écrit autour de la vie et des textes d’Albertine Sarrazin. On connaît bien sûr L’Astragale et La Cavale, sans doute moins les poèmes. Véronique Pestel a mis en musique celui-ci.
Soyez donc en partance …
[1] Dominique Pagnier : « Lydie Dattas ne s’inscrit pas dans un projet esthétique ou, si elle le fait, c’est pour en prendre le contre-pied. Refusant dans le théâtre tout ce qui ressortit à l’art, n’en conservant qu’une forme épurée, voire anéantie, elle répond à son voeu de pauvreté de la pensée et d’écart de la beauté formulé dans La Nuit spirituelle. » (Conférence, n° 8, printemps 1999, étude suivant Cinq poèmes.)
Patrick Kéchichian : « C’est bien sûr aux grands poètes mystiques chrétiens que l’on songe d’abord, à la grande et à la petite Thérèse ou à Hadjewich, la béguine d’Anvers. Mais il ne faut pas enfouir trop vite cette poésie fragile, « gauche », sous des comparaisons glorieuses et ronflantes. Il vaut mieux, pour en apprécier le charme et la valeur, pour en éprouver le mystère, la laisser en son lieu propre et ne pas l’accabler en évoquant des prestiges qui lui sont étrangers. » Le Monde, 28/07/95