Où, pour le dire en termes plus ramassés

05/12/2012 — Bernard Baas¹ ; Gérard Haller² ; Roberto Juarroz³


« Entre le tombeau de sa prison et le tombeau de l’anéantissement de soi, dans cet espace proprement tragique de « l’entre-deux-morts » - qu’on songe à Antigone -, Sade n’aura pu qu’écrire pour fictionner la jouissance, celle de chacun et celle de tous ». [1]


« Psychanalystes, encore un effort... » — ajoute à la suite Bernard Baas, indiquant au surplus :

« Mais la lucidité que Lacan reconnaît à Sade et qui fait leur appartenance commune à l’esprit des Lumières dont ils se sont l’un et l’autre réclamés, cette lucidité tient en cette révélation : la vérité, l’insoutenable vérité, est à situer au-delà de l’ordre symbolique qui ordonne les rapports humains, au-delà du plan de l’identification symbolique qui règle le désir de chacun. Ou, pour le dire en termes plus ramassés : la vérité est au-delà de l’économie du sens. Voilà ce qu’en son temps seul Sade a entrevu, et qu’en notre siècle ont courageusement affirmé les vrais penseurs : Lacan, bien sûr ; mais aussi, avant lui, ceux dont il n’a cessé de nourrir sa réflexion : Bataille, sans doute, mais surtout Heidegger. »

Nous le suivrons dans la réunion d’un certain nombre de ses interventions regroupées dans Y a-t-il des psychanalystes sans‑culottes ? aux éditions Érès/Arcanes, et couvrant l’espace d’une vingtaine d’années (1989-2009).


Bernard Baas, Y a-t-il des psychanalyses sans-culottes ?  [2]

En 1996, Bernard Baas, dirigé par Philippe Lacoue-Labarthe soutint :

« Durant la période 1960 - 1965, la reprise de la notion freudienne de chose amène Lacan à introduire, dans sa théorie du désir et du sujet, un concept radicalement nouveau : celui de l’objet a comme objet-cause du désir. Tout ce que Lacan construit à partir de ces deux concepts (la chose et l’objet a) engage une réinterprétation de la psychanalyse dans une perspective transcendantale. L’importance que prend, dans la même période de son enseignement, la référence à Kant, mais aussi à Heidegger et à Merleau-Ponty, confirme que cette orientation transcendantale doit être entendue en un sens proprement philosophique et phénoménologique. On peut le vérifier jusque dans les domaines éthique, politique et esthétique. Cela ne signifie pas seulement un usage psychanalytique de la philosophie transcendantale ; cela signifie aussi, en retour, une révision du questionnement transcendantal et des concepts philosophiques qui en procèdent. La philosophie doit donc prendre la mesure de l’importance de cette révision, pour comprendre en quoi le "retour à Freud" de Jacques Lacan a été finalement conjugué au projet d’une traversée psychanalytique de la phénoménologie » [3].

Quoi de plus clair ? qui ne cessa d’être approfondi et monnayé si l’on ose dire en de multiples ouvrages [4], dont celui qui paraît aujourd’hui, un recueil d’interventions dans des circonstances diverses (rencontres, colloques, invitations), donne sous une forme qui garde la plupart du temps la vivacité (la vitalité [5]) de l’oral, les correspondances [6], au sens épistolaire du mot, entre la philosophie et la psychanalyse, lettres qu’elles n’auraient pas volées [7].

Une circonstance, la célébration du bicentenaire de la Révolution, aura amené l’ultime texte du recueil, qui le commande toutefois chronologiquement (1989) et donne à l’ensemble sa teneur politique, philosophie comme psychanalyse se gardant du retour de toute métaphysique clandestine, c’est en tout cas le vœu de l’auteur. Et c’est par ce bout que l’on prendra la chose :

« La République, c’est en effet la Chose publique. Mais prenons le parti d’affirmer ici que ce dont procède le discours politique de Sade [« Français, encore un effort... [8] »] n’est pas tant la "chose" publique entendue comme l’affaire (Sache) dont tous se préoccupent pour organiser la vie sociale, que précisément la Chose (Ding) de la communauté, entendue comme la res, le « réel » au sens où Lacan le conçoit, c’est-à-dire comme l’instance de la jouissance. Cette compréhension de la République sadienne est d’ailleurs celle que suggère Lacan, dans Kant avec Sade, lorsqu’il rapproche le « pamphlet dans le pamphlet » du « rêve dans le rêve » pour en rappeler le « rapport plus proche au réel » [9]. »

On le voit, dans le titre retenu, comme une interpellation, tout comme dans la finale : « Psychanalystes, encore un effort ! ». L’ensemble ne constitue pas pour autant un pamphlet à l’égard de la profession, il s’agit plutôt de se demander qu’est l’interpellation psychanalytique devenue. À cet égard, au regroupement « Politique de la psychanalyse » (les quatre derniers textes [10]), « Pauvreté et amour du prochain » est une vigoureuse contribution à une clinique de la déshumanisation [11] dont ces quelques lignes disent l’essentiel :

« Le pauvre miséreux est la part immonde du monde ; il est le visage du fond immonde sur lequel s’édifie notre monde, le visage de l’immonde qui hante notre monde comme sa vérité cachée. Là encore, on peut traduire : le pauvre est, pour nous, la part du réel dans le symbolique, la part du réel qui se manifeste dans les intervalles du symbolique. Et l’on aura bien compris que ces observations sur la voix hors discours du miséreux, sur sa bouche affamée, sur son regard vide, sur sa saleté et son statut excrémentiel, ne faisaient que décliner les versions invocante, orale, scopique et anale de l’objet a, c’est-à-dire de cet objet dont Lacan nous a appris qu’il est cette part du réel qui hante notre rapport symbolique au monde et qui met obscurément en jeu notre rapport à la jouissance. [12] »

Et l’on gardera à l’esprit cet exercice de la lucidité pour les deux autres regroupements de textes : le premier « Philosophie et psychanalyse » [13], le suivant« Lectures (à partir) de la psychanalyse » [14].

Pour le premier groupe, je commencerai par rappeler deux textes parmi les plus récents de Bernard Baas, qui pour le lecteur concerné, corroboreront la réflexion menée. Le premier, « Ab-sens du politique » emprunte l’appareil conceptuel de Lacan pour relire Hannah Arendt (mai 2012 [15]), le second déjà mentionné ailleurs, « Unbehagen & Krisis » confronte le propos de Husserl à celui de Freud [16]. C’est souligner à nouveau donc, l’attachement de leur auteur à ne pas disjoindre les deux champs de réflexion, les faire s’interroger, se répondre. Aussi ne serai-je pas feignant, comble de la feinte, et ne m’attarderai pas sur la « Philosophie à l’épreuve du semblant », où l’astuce cartésienne serait larvatus pro Deo, mascarade dans laquelle cependant quelque chose peut être articulé comme vérité ! Pas plus que je n’examinerai les pulsions des philosophes, peu désireux d’échanger du cuivre contre de l’or, et l’agalma pour tous, sinon conflit des facultés.

Dans le second groupe, je mentionne très rapidement la triade freudienne et heideggerienne : « Peur, angoisse, effroi », on se doute que le Séminaire sur L’Angoisse ne sera pas loin [17]. De même « Du commandement d’amour à la guerre inhumaine », pêle-mêle, qu’on m’en excuse, Le Malaise dans la Civilisation, mais aussi Hobbes, Pascal, Kant, Nietzsche, Carl Schmitt, pour recentrer sur « Amour du prochain et jouissance », et signifier notre Malaise. De ce point traite abondamment « La loi sans Dieu » avec un passionnant focus sur un commandement inexistant : « Tu ne mentiras point » qui se lie (lit) avec la traduction : « Je suis ce que Je est », et le rappel de la sentence de Lacan : « La haine suit comme son ombre tout amour pour le prochain qui est aussi de nous ce qui est le plus étranger [18] ».

J’aurai donc gardé pour la fin « Le Regard de Pygmalion. » Texte qui pourra apparaître « hors-champ ». Une gravure de Rembrandt désignée autrefois sous ce nom, exposée aujourd’hui au Musée des Beaux-Arts de Tourcoing, sous l’appellation Le dessinateur et son modèle. Bernard Baas clôt son étude avec :

« Merci à Rembrandt de nous avoir permis d’accueillir ce donner- à-voir. »

Quel est donc ce « donner-à voir » ? Remontons d’un cran :

« Certes, la gravure de Rembrandt n’est pas l’illustration, comme telle, de la légende de Pygmalion. Mais s’il est vrai qu’elle conserve quelque chose de cette figure mythique, c’est bien au sens où « le tableau », pour le spectateur comme pour l’artiste, « entre dans un rapport au désir ». Ce désir peut bien sembler ne procéder que la passion du sujet pour le bel objet qui se présente à lui – comme Pygmalion pouvait croire que sa vierge d’ivoire était seule cause de son désir ; il n’en reste pas moins qu’il requiert encore, comme sa véritable cause – son objet-cause –, cet autre regard, qui est à la fois – ce qui est tout de même bien le principe et la fin de la pulsion scopique, ce regard qu’on ne peut pas voir mais qui est ce qui donne à voir :

« Modifiant la formule qui est celle que je donne du désir en tant qu’inconscient – le désir de l’homme est le désir de l’Autre – je dirai que c’est d’une sorte de désir à l’Autre qu’il s’agit, au bout duquel est le donner-à-voir ». »

Donner à voir, ce sera indiquer à la suite de Bernard Baas, une ligne droite passant par l’œil du buste, du modèle, du dessinateur. La croiser avec le regard du spectateur, qui va d’un dehors à l’autre du tableau par une toile blanche au centre sur un chevalet. Étonnante composition qui fait que « notre Pygmalion n’est lui-même regardant que parce qu’il est regardé ».

Merci à Bernard Baas de donner à accueillir, par un tel exemple qui l’exprime « en termes plus ramassés », au centre de sa composition, tout le "donné à voir" qu’il aura en ce livre rassemblé.


Gérard Haller, L’ange nu  [19]

La petite fille au ballon est un tableau de František Kupka, peint en 1908, prêté au Musée de Strasbourg par le Musée National d’Art Moderne. De la savante présentation de l’œuvre [20], je retiendrai, d’une part, que « la petite fille » est la fille de la future épouse de l’artiste, qu’en leur jardin de Puteaux on pratiquait la gymnastique naturiste, et d’autre part l’inscription dans un cycle de peintures, où s’inscrivent des formes circulaires (ici le ballon multicolore) dans un esprit cosmique et analogique entre musique et peinture. En reliant les deux, on pourra trouver des analogies du côté de la danse et de l’utopie, en se référant à l’école de danse de Rudolf von Laban à Monte Verità, Ascona.

Précisions qui n’ôtent rien à la poésie qui se dégage du tableau, encore moins à « L’ange nu », le texte qu’il a inspiré à Gérard Haller et écrit à l’invitation de Catherine Weinzaepflen.

Dans sa lettre en guise de préface à Météoriques, Jean-Luc Nancy écrit : Tout ton livre parle du ciel : du ciel au-dessus de nous qui clôt le monde dans sa lumière et dans sa nuit. Il parle du ciel, donc de la terre : de leur partage, dont « le ciel » est la clarté, la distinction. Ce ciel que n’occupent plus des dieux, ce ciel sur nous qui nous donne à nous-mêmes et au monde (tu écris « le ciel que nous sommes »). [21], il semble précisément que ce dont le tableau se fait l’ange, et le poète l’interprète, se retrouve dans la troisième laisse de ce poème qui en comporte neuf (dans une forme, une syntaxe, un vocabulaire, épurés, qui n’envoûtent pas moins, pour décrire, inviter) :


c’est la terre elle dit qui est pour nous
tout le divin. Regarde : c’est là seulement
que tout vient comme ça se tenir ensemble
un temps dans la lumière et part

ce partage elle dit qui fait chaque un paraître
ici comme un dieu : c’est ça le divin

On pourrait en « rester là », nous y sommes invités d’ailleurs, (heureux) « d’être là c’est tout ». Retenons toutefois les « Tu veux ? » « Tu as peur ? » pour finir par « Tu viens ? » poème comme tableau usant de l’infinie persuasion du « geste / premier qui est pour offrir l’amour », soulignant aussi cette « venue chaque fois comme si c’était / la dernière fois ». Entendons ce « battement au bord », « ce coeur au bord » (« mon coeur pour toi si tu veux »), le jeu du poème, du tableau, le jeu de la vie. Touche après touche, le poète nous y fait entrer. Sans emphase, mais non sans détermination. Comme le précise le paragraphe « Viens » du second texte « Passer la nuit », soulignant : « Coeur vide, pur battement qui précède l’écriture. Et qui fait que l’écriture est d’abord une affaire d’appels et de réponses, d’envois, de lettres d’amour ». Et plus loin : « Écrire : poursuivre simplement cet entretien. »

Écrites à l’invitation d’Isabelle Howald, ces pages peuvent figurer le pendant poétologique de l’Ange nu, et tâchent de décrire le secret sans secret qui fait le commun, en recourant à quelques auteurs élus, discrètement mentionnés pour ce qu’ils ont relancé ou relancent la question de la communauté, de son devenir. En voici (en partie) le manifeste, pour ce qui est de la manière de le dire :

« Quoi garder, de la poésie ? Quoi suffit, pour qu’elle tienne et nous fasse tenir ensemble debout ?
Trop d’images et trop de mots. Trop d’effets. Trop beau, trop brillant, trop bruyant, trop savant. On en fait toujours trop. On veut toujours passer en force et s’imposer.
C’est le contraire, je crois, qu’il faut : réduire, baisser le ton plutôt qu’élever la voix et multiplier les effets. C’est le ton et l’intention de la confidence, celui qu’on emploie la nuit, dans la solitude à deux ou à plusieurs, quand il n’y a plus rien à perdre ni à prouver, quand il ne s’agit plus de discuter ni de disputer, de convaincre, de séduire, de déclamer, quand il n’est plus question de faire des belles phrases ou de se raconter des histoires, mais seulement de dire, de se confier sans rien attendre en retour, de s’abandonner, de se remettre à l’autre comme un dont l’écoute est alors le seul secours. »

Ajoutons juste, que la publication en forme de chapbook, n’en présente pas moins un design épuré, très beau, qui respecte l’intention du poème et du texte qui l’accompagne. La publication est trilingue : français, allemand, anglais. À l’origine : Edition Solitude, à Stuttgart. Les trois couleurs, qui sont aussi celles du ballon, en couverture, comme pour sépare/relier chacune des versions, vous accompagnent, comme le geste d’offrande de la petite fille à qui veut. Pour poursuivre et relancer le jeu.


Roberto Juarroz, Dixième poésie verticale  [22]

Los nombres no designan a las cosas :
las envuelven, las sofocan.

Pero las cosas rompen
sus envolturas de palabras
y vuelven a estar ahi, desnudas,
esperando algo mas que los nombres.

Sólo puede decirlas
su propia voz de cosa,
la voz que ni ellas ni nosotros sabemos,
en esta neutralidad que apenas habla,
este mutismo enorme donde rompen las olas.

Les noms ne désignent pas les choses :
ils les enveloppent, ils les étouffent.

Mais les choses brisent
leurs enveloppes de mots
et de nouveau sont là, nues,
en attendant un peu plus que les noms.

Seule peut les dire
leur propre voix de chose,
la voix que nous ne savons ni elles ni nous,
dans cette neutralité qui parle à peine,
cet énorme mutisme où se brisent les vagues.

Et de nouveau, la vie défossilisée du langage, la poésie selon Roberto Juarroz, avec la traduction par François-Michel Durazzo de Dixième poésie verticale aux éditions José Corti, dans la collection « Ibériques » [23]. Il est frappant comme un lecteur de Blanchot et de Lacan puisse entendre énoncés dans un poème aussi simple d’apparence que celui proposé ci-dessus, le 57° du livre, des thèmes majeurs de leurs œuvres. Et qui abordera cette nouvelle parution, après les traductions de Fernand Verhesen, Roger Munier, Silvia Baron Supervielle, Jacques Ancet, Jean-Yves Masson, sera à nouveau médusé par l’évidence tranquille avec laquelle sont déployées des formes aphoristiques aux moyens d’images d’un quotidien dès lors transfiguré.

À qui souhaiterait accompagner ce livre d’un commentaire à la hauteur (profondeur serait plus juste, la verticalité s’exerçant dans les deux sens), il y a bien sûr les essais du poète (par exemple Poésie et réalité [24], des entretiens (Poésie et création [25]), mais aussi des rencontres : ainsi le "Pour Roberto Juarroz" de Martine Broda, d’ineffaçable mémoire, un essai littéralement porté, à preuve cette phrase d’incipit en prologue : « Ce livre me fut difficile, comme aucun autre à écrire, mais il y eut, de la rencontre bouleversante d’une œuvre, suivie de celle de la personne, comme un impératif catégorique qui a surgi ». [26]

Puisse la lecture de Dixième poésie verticale être un impératif catégorique pour beaucoup !

© Ronald Klapka _ 5 décembre 2012

[1Bernard Baas, Y a-t-il des psychanalyses sans-culottes ?, « Tombeau de Sade » p. 239.

[2Bernard Baas, Y a-t-il des psychanalyses sans-culottes ?, éditions Érès/Arcanes, 2012.

[3Bernard Baas : « De la chose à l’objet. Essai d’interprétation transcendantale de la théorie du désir de Jacques Lacan (1960 - 1965) » Thèse, Strasbourg 2, 1996, notice Sudoc.

[4Le site professionnel de Bernard Baas, énumère et décrit succinctement les ouvrages parus. Du premier au dernier, on notera la confrontation avec la pensée de Jacques Lacan. On aura eu grand plaisir à présenter La voix déliée, chez Hermann.

[5Vitalité est peut-être le maître-mot, non seulement de la présentation « De la dissertation », mais aussi celui qui parcourt un ouvrage à paraître ces jours-ci aux éditions H&K, certes prioritairement destiné aux étudiants préparant les concours — Bernard Baas a été professeur en khâgne — et dont voici la table : 1. La transparence. - 2. Commencer. - 3. Respecter l’autorité. - 4. L’ironie du sage. - 5. Le sens commun. - 6. Le plaisir est-il une illusion ? - 7. Servir. - 8. Le secret. - 9. Concourir. -10. La puissance des mythes. - 11. Répondre. - 12. Les limites de l’expérience. -13. Qu’appelle-t-on condition ? - 14. « La honte est dans les yeux ». - 15. Les œuvres.

[6« Ces interpellations, explicites ou implicites, que ne cessent de s’adresser philosophes et psychanalystes sont autant de provocations à penser, qui composent ainsi une correspondance infiniment ouverte et donc inachevable. Entretenir cette correspondance fait leur commune responsabilité. Car ni les uns ni les autres ne peuvent se tenir pour quitte du devoir de questionner l’abîme qui fait le fond sans fond de l’existant-parlant ». Bernard Baas, dans son Avant-propos, p. 17.
Je note parmi les remerciements, outre ceux au directeur de collection et ami, Jean-Richard Freymann (v. note infra), au préfacier Jean Vanier, ceux adressés à Franz Kaltenbeck. C’est mentionner Aleph et la revue Savoirs et Clinique.

Un récent numéro de la revue, le n° 15 (2012/1), publie les actes du colloque « Dessins de lettres - Psychanalyse, littérature, théâtre, cinéma », mai 2010. Bernard Baas y travaille « l’antipathie » entre psychanalyse et philosophie de la façon suivante :

« Afin de faire apparaître l’étroitesse – mais aussi la radicalité – de la ligne de fracture entre philosophie et psychanalyse sur la question de leur rapport au poétique, on s’essaie ici à conférer Jacques Lacan (« je suis un poème ») et Philippe Lacoue-Labarthe (« j’aurai été une phrase »). L’enjeu de ce rapprochement n’est rien moins que « l’existence littérale ». » — Voici la conclusion de son intervention :

« Voilà qui me permet de préciser la différence que j’avais annoncée. Si j’ai pu dire que la littérature, donc la poésie, est "entre" philosophie et psychanalyse, toutefois, malgré toutes les analogies rencontrées, leurs rapports à la poésie ne sont pas symétriques. Dans l’écriture théorique, la psychanalyse vient au poétique dans l’après-coup de l’expérience – l’expérience analytique de l’impossible à dire – pour tracer le bord, le contour de ce dont se soutient cette expérience. En revanche, dans la philosophie exposée à l’épuisement de la theoria et donc du discours métaphysique, le poétique advient comme expérience, comme épreuve du danger de l’existence littérale. Se risquer dans cette expérience (Erfahrung), c’est partir (fahren) pour le grand large, pour la haute mer, sans savoir à quelle terre on est ainsi destiné, ni même s’il y aura une autre terre que celle de la sépulture. Rien de tel dans « l’écrit du poème » dont se revendiquait Lacan dans la Postface au Séminaire XI. Au contraire même, puisqu’il enchaînait aussitôt par cette sorte de prophétie quasi biblique, voire mosaïque : « Ceci ne vaut-il pas la peine d’être construit, si c’est bien ce que je présume de terre promise à ce discours nouveau qu’est l’analyse ? »

Et pour ce qui est du littéral, on n’aura pas tort de voir une allusion à l’ouvrage d’André Hirt, Un homme littéral, Philippe Lacoue-Labarthe.

[7Message bien reçu par le préfacier, Jean Vanier, psychanalyste, dont je relève : « Dire de la psychanalyse qu’elle est une praxis, une méthode ne suffit pas à régler la place de la théorie. Tout le mouvement de l’œuvre de Freud comme de celle de Lacan en témoigne. Il ne faudrait pas que, la mort ayant mis un point final à son enseignement, le dernier Lacan fonctionne comme une machine totalisante assurant la complétude de l’ensemble » (11).

[8D.A.F. Sade, « Cinquième dialogue », dans La philosophie dans le boudoir, Paris, éd. Gallimard, coll. « Folio », édition de 2010.

[9Jacques Lacan, « Kant avec Sade », Écrits, Le Seuil, 1966, p. 768.

[109. Les rats n’ont pas peur de parler. 10. Pauvreté et amour du prochain. 11. L’érection du citoyen et les bandes politique. 12. Les psychanalystes sans(-)culottes.

[11Voir ce titre Clinique de la déshumanisation, dans la collection Hypothèses (Érès en coédition avec Arcanes-Apertura), dirigée par Jean-Richard Freymann, dans lequel fut publiée une version résumée de « Pauvreté et amour du prochain ».

[12Bernard Baas de conclure : Ce que nous visons dans cette forme spécifique de déshumanisation qu’est la pauvreté, c’est précisément cette part de nous-mêmes devant laquelle nous ne pouvons que reculer. La question - peut-être la question éthique ici la plus pertinente - est alors de savoir comment, dans ce recul, nous pouvons échapper à cette haine dont parlait Lacan lorsqu’il disait : « La haine suit comme son ombre tout amour pour le prochain qui est aussi de nous ce qui est le plus étranger. »

[131. Les pulsions des philosophes. 2. Freud et la tentation du transcendantal. 3. Philosopher à l’épreuve du semblant. 4. La psychanalyse dans le « conflit des facultés ».

[145. Peur, angoisse, effroi. 6. La loi sans Dieu. 7. Le regard de Pygmalion. 8. Du commandement d’amour à la guerre inhumaine.

[15Bernard Baas, Ab-sens du politique, Champ lacanien, Lacan, psychanalyste. Témoignages, N°11, mai 2012 (recension). Que le conférencier présente ainsi :
« Ab-sens » du politique : c’est évidemment un titre risqué, tant le concept lacanien d’ab-sens est délicat à manier. Et - il faut bien l’avouer -l’usage qu’on en fera ici sera un peu frivole. Mais l’appel à ce concept se justifie par cette intention : on voudrait interroger deux formules d’Arendt, qu’on peut lire dans son ouvrage posthume Qu’est-ce que la politique ? : soit la question qui domine tout cet ouvrage : « La politique a-t-elle finalement encore un sens ? » ; et la réponse à cette question : « Le sens [de la politique] a viré en absence de sens. » Bien évidemment, ces deux formules requièrent qu’on détermine ce qu’Arendt appelle « sens » du politique, et donc qu’on définisse - si toutefois cela est possible - le sens du sens.

Autant dire que la« frivolité » est toute relative, un bel exercice pour lever (au sens de lever un lièvre) l’équivoque de : principe, but, fin et sens...

[16Collectif (dir. Isabelle Alfandary, Chantal Delourme, Richard Pedot) Lire (depuis) Le Malaise dans la culture, éditions Hermann, 2012 ; recension, 08/06/2012.

Nous écrivions : « Ce dialogue, poursuivons-le, avec un philosophe, Bernard Baas, Unbehagen & Krisis, j’en cite l’introduction, et donc la problématique : « Il y a dix ans de cela, Jacques Derrida prononçait la conférence inaugurale aux États généraux de la psychanalyse, conférence dans laquelle le Malaise dans la civilisation de Freud constituait la principale référence, voire l’objet textuel de sa réflexion. Indépendamment de l’enjeu de cette adresse aux psychanalystes - c’est-à-dire la question de « l’impossible [et toutefois nécessaire à ses yeux] au-delà d’une souveraine cruauté » -, on peut remarquer que Derrida en annonçait l’urgence par une « parodie » - il le dit explicitement - de la rhétorique husserlienne de la Krisis, plus précisément de la Conférence donnée par Husserl, à Vienne en 1935, sous le titre : La Philosophie dans la crise de l’humanité européenne ».
Après avoir opposé un Husserl aux accents héroïques et un Freud sans illusions, l’auteur conclura, citant à nouveau Derrida, en appelant philosophes et psychanalystes à penser ensemble la possibilité d’un « au-delà » du malaise qui affecte aujourd’hui la psychanalyse ».

[17Et l’auteur de rappeler ses propos sur le nouage des motifs de l’angoisse, de la dette et de la voix, in La Voix déliée, op. cit., p. 123 à 195.

[18Conférence, à Bruxelles en 1960. Bernard Baas ajoute que l’explication en est donnée dans cette remarque du Séminaire sur L’éthique de la psychanalyse (p. 219) :
« Qu’est-ce qui m’est le plus prochain que ce cœur en moi-même qui est celui de ma jouissance, dont je n’ose approcher ? Car dès que j’en approche [...], surgit cette insondable agressivité devant quoi je recule, que je retourne contre moi, et qui vient, à la place même de la loi évanouie, donner son poids à ce qui m’empêche de franchir une certaine frontière à la limite de la Chose. »

[19Gérard Haller, L’ange nu, Edition Solitude, Stuttgart, 2012. Trilingue : Français, allemand, anglais.

[20Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007.

[21Gérard Haller, Météoriques, préface de Jean-Luc Nancy, Seghers, 2001, p. 12.

[22Roberto Juarroz, Dixième poésie verticale, José Corti, édition bilingue, traduction de François-Michel Durazzo, 2012.

[23À consulter, la page (avec ses liens), consacrée par le site Corti à Roberto Juarroz.

[24Roberto Juarroz, Poésie et réalité, traduit par Jean-Yves Masson, aux éditions Lettres vives en 1987, toujours aussi prenant, à la relecture

[25Poésie et création, Roberto Juarroz s’entretient avec Guillermo Boido, éditions Unes, réédition José Corti 2010, témoignage : Lorette Nobécourt.

[26Martine Broda, Pour Roberto Juarroz, José Corti, 2002.