De même en ce moment, me parlant.
Certainement. Le tempo de la phrase gouverne, le rythme des signes, et combien de fois ai-je été désolé de ne pouvoir retrouver celui de l’écriture en parlant, de la parole en écrivant. Soit, comprises, la position politique de l’un et de l’autre.
[1]
Dominique Meens, Aujourd’hui tome [Gudrum, Gudrum] deux
Le tempo disparaît, pour être, je compte là-dessus, remplacé par un autre. Remplacé est trop fort. Je veux bien dire toujours la même chose, mais je ne veux pas me répéter » [2].
Avec Aujourd’hui tome [Gudrum, Gudrum] deux, point de répétition en effet, comme nous l’allons voir tout à l’heure. Certes des personnages (Valentine Mérac, Lacan) des thèmes (séparatisme (Wolman) et disparatisme (L’école de Puerto López [3]) se donnent la main), des obsessions pourquoi ne pas employer le mot ? (Gisèle et Émile, poésie et roman contemporains), réapparaissent, cependant que surgissent traduction, critique (et de quelle volée !), et si pour le Père Duchesne quelques "foutre !" disaient une situation révolutionnaire (Barthes), « M’essuie-glaces » dit celle des corrections automatiques, l’heure de la prévenance numérique.
Aux pages 220-221, vient à point nommé une explication :
« Notre ami écrit, soutenu par l’École de Puerto López, un livre en continu, des « Aujourd’hui », publié en plusieurs parties. Aujourd’hui je dors (P.O.L, 2003) a fondé l’internationale disparatiste et son école. Matisse Andreas Gomez, ce compositeur mexicain originaire de Guadalajara (Mexique) dont tu sais qu’il a résidé quelque temps à Pacoa (Équateur), intervient dans Aujourd’hui demain (P.O.L, 2007). Notre ami disparate en vieux-qui-pu dans Aujourd’ hui ou jamais (P.O.L, 2009) et donne par ailleurs L’Hirondelle (L’Act Mem, 2009), ouvrage où disparatent de leur côté deux autres auteurs de l’école, Valentine Mérac et Harold Peterson. Dans Aujourd’hui rougie, l’internationale disparatiste rend hommage à l’internationale séparatiste fondée par Gil J Wolman [4], décédé en 1995. Si Matisse Andreas Gomez retrouve le vieux-qui-pu au départ de Aujourd’hui rougie, tu apparais plus tard, au premier mouvement du tome deux, avec Valentine Mérac. Enfin, découverte faite d’un auteur de la liste B, la liste de ceux qui ne savent pas qu’ils en sont, d’un auteur qui, en quelque sorte, formalise dans ses ouvrages la possibilité de l’école, tous ceux de Puerto López jusqu’alors plus ou moins secrets se déclarent clairement ». [5]
Ces « amorces » de Miguel Donoso Pareja, dans une note qui couvre les pages 203 à 225, nous conduisent tout droit à ce que d’aucuns se chargeront de nommer selon leur goût : emprunt, vol, imposture, détournement, passage du témoin, potlatch, ou disparatisme :
Miguel Donoso Pareja, Última canción del exiliado y Adagio en G mayor para una letra difunta
« Voilà un homme que l’histoire de son pays, l’Équateur, a déplacé, exilé près de vingt ans [6]. Alors voilà, il se jette. Tout entier, corps et âme disait-on quand on pouvait se permettre d’espérer. Corps et signifiant aurais-je pu écrire si le signifiant n’avait été inconsidérément déclassé. S’il se jette, c’est qu’il veut se retrouver, comme nous tous. Ce n’est pas l’eau qui le reçoit mais la page. La page éclabousse, les phrases sont bousculées, éclats de voix : éclat d’une voix. Ni l’océan ni la page n’auront rendu l’ours Donoso à lui-même, pas plus que l’amour à sa paire Pareja. Elle et lui nous auront donné de sa voix, de la voix de cet homme-là, où se vérifie entre autre que le singulier est encore possible. Bien, quelle est cette voix ? que lui ai-je découvert de si remarquable que je m’y sois ouvert ? C’est une voix d’ours, son nom veut ça, solide, rauque, et maladroite sans crainte : elle ne vise pas l’effet. C’est une voix douce, tendre, féminine, ironique : les deux font la paire, comme son nom l’indique ». [7]
Lleno de G, debilitado y solo, abierto en dos sobre la arena, oye Gudrum, Gudrum, busca los restos, el olor amarillo de su templo, sus desgarbadas piernas la cintura celeste, |
Empli de G, chancelant et seul, ouvert en deux sur le sable, l’homme se raconte des histoires, entend Gudrum, Gudrum, recherche son invention, l’odeur fièvre jaune de ce temple-là, ses cuisses provocantes, sa taille bleu ciel, |
el ojo pálido de dios burlándose, el cielorraso azul de sus caderas, su mirada burlona, la impudicia de su errar, la huella ahí, el testimonio de su paso. |
son œil de dieu éblouissant railleur, le ciel ouvert azur de ses hanches, son regard moqueur, son impudeur gaie, l’empreinte ici, le témoignage de son passage. [8] |
« Tout est là, hors semblant, vibrant sans mimer la vibration. Au plus près du sens, au plus près du rythme comme du vocabulaire, j’entends une voix que je n’ai jamais entendue, qui amène de quoi remoudre d’autres lectures, d’autres questions. La séparation Wolman est ici parfaitement visible, par exemple. La séparation que Mallarmé nommait retranchement. La séparation que Lacan nommait la barre. Celle qui permet Dionysos/Apollon, soit Orphée, soit le poème. » Dominique Meens dit cela de la Dernière chanson de l’exilé , cela vaut évidemment pour Adagio en G majeur pour une lettre défunte, rien qui joue à la poésie [9].
On aura ici saisi (à peine, mais au lecteur d’y aller) l’importance de l’un pour l’autre. Il est clair que si l’édition était ce qu’elle pourrait être, la version bilingue des pages 371 à 484, avec notes subséquentes devrait être illico disponible, et faire un livre à elle seule, et la Dernière chanson de l’exilé récitée dans toutes les écoles de province et de Navarre (admettons, dans ce qui reste de la série L, ne nous payons pas de mots). Lisez encore :
Le corps est un pays, là les eaux salent la rondeur du regard, la mer au miroir s’agite, goutte d’amour au pain que chaque vague renouvelle. |
Tout ce qu’il y a en toi tient de l’âme, de la solitude, de la craie, de la falaise, et les vagues, Gudrum, raclent la roche, viennent et vont en léchant la langue avalée du noyé. |
Et la noyade en toi, et si loin, et le plaisir et la quiétude du mort, et te regarder et te voir du cœur obscur de l’aveugle. [10] |
Vouy viendrez alors à : « Une vie devenue charpie ne se laisse plus vivre que par bribes, avec la mémoire pour en égrener les rares éclats : sur la division du sujet l’écrasement contemporain du singulier. Retournez-y, dès lors, sur la plage, arpentez-la une fois encore, une fois de plus, dans les traces à peu près d’autres déjà venus ou à venir. Allez-y, remuez ce peu que l’écraseur [11] et son coup de talon vous ont laissé, remuez discrètement la langue dans votre bouche, remuez-vous, soyez poètes » et vous serez mûr pour :
Tyrannie de Mémoire, dithyrambe
« J’ai fait commander par la librairie l’ensemble des ouvrages D.M. disponibles. C’est Parmi d’autres [12] que j’emporte aujourd’hui je dors. Les premières pages lues, je vais à la date de publication et me dis qu’il a mieux valu, pour mon compte, que je ne le lise à cette époque. Faux départ.
Que nous ne croisions pas D.M. à cette époque. Qu’aurait-on dit de l’École de Puerto López si le public avait applaudi D. M. comme il aplatit nos distingués Auteurs Français ? Sinon que nous plagiions son ouvrage, du moins que venait y couler la fonte de notre internationale disparatiste. Et nous en aurions été blessés. Faux départ. »
Ainsi (ou presque) commence le dithyrambe de Danielle Mémoire [13] par Dominique Meens, pages 227 à 272. Et comme nous les suivons (elle, lui) : lire les notes 12 & 13 ci-dessus en témoignera. On ajoutera pour ce chapitre d’Aujourd’hui, tome deux qu’il est scandé par de nombreux Faux départ. Bruit neuf. Affection nouvelle. parce que, à la fin : Ah ça ! Neuve issue !
Et pour une vision du « Corpus », façon Meens, ceci : « Placez un château, une maison de maître, une campagne, quelques villages, un bourg. Quoi que vous fassiez un jour ou l’autre, les gens du voyage débarqueront sous votre plume. C’est ainsi, vous n’y pouvez rien : c’est de structure. Robert Pinget ; Hergé ; Danielle Mémoire. Vous croyez avoir « placé », vous avez « dit ». La combinatoire telle que l’a décrite Lévi-Strauss pourrait s’écrire, à ce point : si « château, campagne, bourg », alors « gitans, manouches, romanos ». Comme le soulignait Héraclite après Hérodote, jour posé, vient la nuit, et inversement. Dès lors. (Dès lors !) Dès lors, Collège de France, chaires diverses ; dès lors, les dupes et les errants ; dès lors les imbéciles et la canaille. Quoi que vous fassiez, prétendais-je, la ligne de la plus grande pente vous rangera. Le bond hors du rang n’est pas gagné d’avance. D.M. s’y collent. Faux départ. »
Et pour la grammaire de texte, rien de tel qu’examiner avec lui l’incipit (délatiné) de Bis Repetita., de quoi plonger dans les profondeurs plates de son ordinateur portable, aux pages 265 à 273.
Le Tour de la Question Claude Ollier, apologie
Pour les majuscules, on lira l’incipit de ce « dossier », on ne croira guère à l’explication, on ne les comprendra qu’en revenant de sa lecture, celle d’Ollier, celle de Meens aussi. Chemin faisant, on y trouvera Jean Guéhenno admonestant l’auteur ou son double aujourd’hui je dors qui lui réplique par une fantaisie dînatoire [14], et lui administre une « leçon » de rousseauisme, relue façon sinthome, relative à l’écriture et son sujet, qui ne s’avère autre que biographique, quoi qu’on die. Oyez :
« Tout ce méli-mélo ne tient qu’à la façon dont on entend « écrire et vivre ». Aujourd’hui je dors ne craint pas ou s’exerce à ne pas craindre la doxa, le bon sens raplapla, quitte à se trouver minable, à s’étaler comme une crêpe. Le biographique, comme c’est écrit, c’est écrit. Du bio trafiqué d’écriture. [...] L’épisode Houdetot si bien dessiné par Jean Guéhenno que je ne lâche pas malgré mon renvoi de tout à l’heure montre comment l’écriture de La Nouvelle Héloïse enforme l’amour de Jean-Jacques. La vie Jean-Jacques emboutie d’écriture Héloïse est biotraphiquée. Fantasme, dit le psychanalyste. Symptôme dis-je, avec un reste, la part sublimée, la trace écrite, publiée, et applaudie. L’« écrire ou vivre » qui fait tant jaser d’écrits sur le vif comme du vif à décrire a de grandes chances d’être une vraie question soit une question falsifiée, de cette falsification dont, jaune à part, se monte en neige le blanc du vrai faux. Car la chance est suspecte, dite « sumptôma ». Voyez Rousseau M’essuie-glaces, puisque j’y suis. »
La majuscule en Question de s’y originer dans la rencontre entre Meens et Ollier,printemps 1984, et qu’une correspondance de la fin des années 80 redessine. On relira la savoureuse "lettre" d’Ollier, du 22 janvier 1986, la question : L’édition ? et sa réponse : Mirage... et ce « conseil » :
« Vos textes vivent avec vous, c’est bien. C’est ça qui vous fait vivre. Maintenant, si vous cherchez vraiment à les publier, puis-je vous donner un faible et présomptueux conseil ? Réduisez le décousu de leur « montage ». Moi, ils me plaisent comme ça, je les trouve originaux, d’une écriture nerveuse et drôle. Mais je suis certain que l’éditeur (le lecteur de l’éditeur) pense : pourquoi ne trame-t-il ( : vous) pas ça d’une façon plus cohérente, plus homogène, pourquoi n’en fait-il pas un « vrai » livre de 150 ou 200 pages ? L’idéologie passe par là, certes. Je vous dis cela, et aussitôt je pense que je me trompe. (Pourtant, les textes dits « brefs » n’ont pas bonne presse chez l’éditeur, j’en sais quelque chose.) » (183)
Reste ceci, vous savez ce qu’il vous reste à lire d’Ollier ! (195 [15])
Le Neveu, Théâtre
Dans sa contribution au collectif L’éclatement de genres au 20° siècle [16], Élisabeth Cardonne-Arlyck [17], examinant les écritures de Katalin Molnár et de Dominique Meens [18], les place sous cet intitulé : « Articles en tous genres : le composite ». Dans ce registre, rapplique donc, après un tour de chauffe préalable : J’aligne/J’amène/J’allèche : Le Neveu, théâtre, pp. 33-105. La scène, une ferme ; les personnages : le vieux (Guînes -un nom historique - Henri-François), la femme, le neveu, l’idiot, un visiteur, ex-gendarme (Verlincques, bien d’ichi) désormais employé du Syndicat des Planteurs de Betteraves, originaire d’un pays voisin : Fuques (Pas de Calais, ne faites pas une moue de veau).
Bien sûr, on s’embarque, dans cette visitation d’un genre particulier, et de hauts échanges tel :
LE NEVEU
Les évêques ont laissé tomber la bière / La bière a passé de mode / La bière n’était plus catholique / Fini la bière / Historique la bière / On devrait créer un centre culturel historique / Un musée de l’histoire de la petite bière / Briquer les cuves ranger les tonneaux / Placer des vitrines / l’orge / le houblon / l’évêque / Organiser des lectures / Bière et poésie / La moissonneuse-liseuse
LE VISITEUR
Je ne savais pas / Que les évêques aimaient la bière / Vous / vous m’avez l’air / d’en connaître un bout
LE NEVEU
Défroqué de père en fils / Monsieur Verlincques / À vous la betterave et la banque / à mon oncle la banque et le cochon / à moi la bière et les curés / Défroqué mon grand-père / défroqué mon père / et moi / défroqué / Très jeune / défroqué / mais défroqué quand même / historiquement défroqué
(ici Jacques Josse rencontre Lucien Suel, Meens offre la tournée, Thomas Bernhard, Charles Deulin, M. Coussemacq se marrent (ce n’est pas dans le texte).)
Reprenons (nos esprits) : Élisabeth Cardonne-Arlyck marque avec raison ceci : « l’horizon d’attente générique des livres de Meens [...] n’est pas, à mon sens, le récit ni l’essai, dont l’anatomie est en fait un hybride, mais la poésie. » Assurément, elle n’est « pas née dans les primevères quand même » (84) :
« C’est la chimie du cerveau / On n’y connaît pas grand-chose encore / trop de ceci / pas assez de cela / une molécule en trop ça ne passe plus / une molécule en moins ça ne passe pas (LE VIEUX)
Ce que je vois /ce que j’entends /c’est qu’il manque un mot / ou qu’un mot saute / quand le nom change (LE NEVEU ) » (89)
Bref : « Ne pas répéter l’histoire / la dire encore une fois, la dire autrement. », et ceci, non sans insistance : Avis aux acteurs-lecteurs !
Valentine à Paris
Valentine Mérac ! Les lecteurs de l’Hirondelle en rêvent encore ! Valentine à la plage proférait : « Combien ne laissent pas vivre le dieu qu’ils ont en eux ! Ce n’est pas une facilité de le laisser vivre. Il est déjà bien difficile de le découvrir, de le nommer, de savoir qui il est, dieu ou déesse. Je ne te dirai pas la déesse qui me hante. Devine, Harold ».
Harold ? ce surfeur-philosophe, fallait-il s’en douter, en était : de l’internationale disparatiste. (Ce que confirme Aujourd’hui, tome deux)
Revenons à Valentine, à Paris, cette fois, avec Amandine, l’une à Sciences-Po, l’autre à l’INALCO (Lang Zo pas très loin), en charge de "Tonton" Miguel (Donoso Pareja) opportunément secouru au Magasinprix (au rayon pâtes et sauce tomate), et dont elles seront anges gardiennes. À savoir aussi : « C’est le corps d’Amandine que Valentine a d’abord aimé. Amandine est si fine qu’elle évoque le pholque ou le phasme. » That’s all pholque !
Mais ne procédons pas comme l’auteur (p. 17) :
« J’amène l’enclencheur, j’amorce d’un bloc, je cause d’arrêt, je commence pour achever, je crée l’enclosure, je déchaîne la clôture, je déclique le conclu, je détermine le dénouement, j’entraîne la fin, j’entreprends le retrait, j’éveille les terminaisons, j’excite l’amarre, je lance l’arrêt de rigueur, je mets la demeure en branle, je meus le mouillé, j’occasionne l’immobilité, j’opère au pire, je produis stop- »
Car le chapitre sept de Valentine à Paris se clôt p. 202 (qui est aussi la fin du premier mouvement du tome deux d’Aujourd’hui je dors. Vous suivez ? il y a même un crochet par Solesmes et le dortoir des freux : « Qui nous désigne mieux le songe de la parence que les freux ? » (200)
Je vous égare ? entrer en disparatisme implique un certain nombre de choix. Essayons de les éclairer :
Du disparatisme élevé au rang des Beaux-Arts
Des tentatives disparatistes, on le sait, sous-titrèrent Aujourd’hui demain, 2007. Et d’y « découvrir » (d’emblée) Matisse Andreas Gomez et (un peu plus loin) l’École de Puerto López.
Dans un moment « glamour » (Miranda « reconnaît » Ulysse) s’intercalait :
« Il faut plaire », écrit Ponge, après La Fontaine et Quintilien, Platon lui-même ... Allons bon, Messieurs, vous me rappelez cette chanson d’un Avent, celui des années les plus bêtes qui furent, les yéyées : « Tu plais za mon père, tu plais za ma mère. » Elle a dû plaire. L’Homme du peuple, l’Homme de masse, l’Homme de merde, dans l’ordre, ne trouvent pas leur plaisir au même endroit, barricade, stade, décharge, avec un « plaisir » historiquement changeant. « L’artiste peut aborder le public [ ... ] », ajoute le parti prenant des choses. Le public ! Tournons la page. La feinte et la foi sont les deux sources. Le menteur ou l’imposteur se feinte lui-même, relisez Le Tartuffe. Autrement dit, il n’y a pas de second degré. La salade de fruits plaisait à Bourvil. Gisèle a trouvé son public. L’inondation lyrique se mire en son miroir, n’est-elle pas la plus belle Blanche-Neige traînée dans ses boues ? Que dire sinon : « Que cela vous plaise ou non, je reprends. »
Voilà pour l’éthique, et disons que de ce côté-là, rien n’a changé.
Pour ce qui est de la facilité de lecture nous n’en dirons pas autant, ce n’est pas dire que le poète, oui c’est bien un poète et pas seulement en Vers [19], aurait baissé la garde, mais quelques références précisées, au demeurant des plus justes si ce n’est passionnantes, certes on peut toujours chercher, voire trouver, n’auraient pas été un luxe pour saisir par exemple dans Aujourd’hui demain :
« Ce qu’aura vérifié la rencontre à la Puerto López : que Dominique Meens avait ses raisons de laisser là Convention et autres participations psychanalytiques [20], des raisons pas uniquement libidinales, une histoire de gonzesse avec une supposée Psyché, j’imagine ; et, ce pourquoi je raconte ce soir-là, qu’il y avait toujours chez ses amis la même inquiétude qui le réjouissait dix ans auparavant. » (77)
Si Dominique Meens ne se satisfait certainement pas du monde littéraire et du monde tels qu’ils sont, cet Aujourd’hui tome deux, qui est bien d’essence et de facture disparatistes se lira certainement plus aisément que les Aujourd’hui qui ont précédé, tout en étant riche de profondeur philosophique et de pensée de la littérature, incitant au surplus à la découverte : je vais de ce pas réviser ma physique avec Denys Ridrimont [21] sur les conseils de notre ami (aurais-je été coopté ? liste B ?).
[1] Aujourd’hui tome [Gudrum, Gudrum] deux, p. 304.
[2] Aujourd’hui tome [Gudrum, Gudrum] deux, p. 304.
Ce qui attire la remarque suivante :
Signale ton maître !
Pardon ?
Cette remarque est de Lacan ! Ne joue pas ce petit jeu avec moi.
Ce qui permet de signaler l’hommage de Dominique Meens à Jacques Félician, et cette brillante conférence : « Lacan fait ronce », qu’on n’hésite guère à imager.
[3] Disparates pouvant en espagnol signifier « chimères » (cf. les gargouilles de nos cathédrales), chimérique me paraît consoner avec ce qu’on pourrait entendre de la dite école.
[4] Incontournablement, aux éditions Allia, Défense de mourir, la notice du FRAC Bourgogne, pour les lacaniens comme pour les autres : Graciela Prieto, Gil Joseph Wolman, l’homme séparé, Champ lacanien, numéro 11, mai 2012.
[5] Je donne la bibliographie en une fois :
— voir le site des éditions POL.
— lire à propos de l’Hirondelle (et Quelques lettres à Lord Jim : Celle-là chante et je me tairais !
— consulter Assezvu, le site de Dominique Meens et Francis Gorgé
— Enfin le site de l’Association Autres et Pareils, offrira quelques videos de lectures.
Pour ce qui est du continu de l’histoire :
« On pourra considérer cette proposition une folie. Elle n’est pas nouvelle : l’enchâssement est une forme ancienne (Mille et Une Nuits ; Le Manuscrit trouvé à Saragosse) où des personnages de fiction racontent leurs propres histoires au sein d’une histoire racontée par un auteur fictionnel ou réel. Là, notre ami souhaite que le désordre du faux vrai soit porté au plus haut degré, que les auteurs réels interviennent comme fictions et vice versa. La question de l’authenticité des faits comme de ceux qui les décrivent s’en trouve comme écartée, sinon éliminée. Que tel ou tel fait soit prouvé ne lui ajoute rien, quand au livre[sic] ».
[6] Un portrait, un entretien : « Miguel Donoso Pareja : de la imposibilidad de volver ».
[7] Ce n’est pas une voix comme j’en entends beaucoup : ici, point de preuves, point d’exercices, point de démonstrations, point de brio ; ici, point. Donc, lecteur, la houle est à portée, mais sans gilet, ni bouée, ni canot de sauvetage. À vos risques et périls. Comme disait Ducasse, débrouillez-vous. Et si vous ne me trouvez pas encourageant, c’est à désespérer. (372)
[8] Miguel Donoso Pareja, Adagio en G majeur pour une lettre défunte, traduction D. Meens, p. 417.
Aux hispanisants recommandons cette étude de Martha Chavez, « El lenguaje del G-ismo, dans la revue Casa del Tiempo, avril 2003. ».
[9] Dominique Meens, Introduction à une voix, p. 371, introduction à Gudrum, Gudrum.
[10] Dernière chanson de l’exilé, p. 375.
[11] En l’occurrence, le roi de la banane, en ce qui concerne l’Ecuador.
[12] « Je n’ai jamais été formaliste. En quelque acception qu’aient songé à le prendre ceux qui, sans conteste à l’oreille que la susceptibilité exerce, ont usé du terme pour m’en adresser le reproche ou plus rares, les seconds, et plus généreux, qui m’en ont décerné l’éloge, je ne retiens rien pour mien qui y réponde.
Je n’entreprends pas ici de m’aliéner selon ni, un peu tard, de me conquérir l’estime des uns ou des autres : je raconte ma vie - ce versant du moins de ma vie, ce moment venu à sa fin, et qui se rapportait à l’écriture.
Je n’aime pas ce mot, son moderne usage, écriture. Disant littérature, on ne nomme rien peut-être de bien précis et sans doute se dresse-t-on, dresse-t-on la langue, ce disant, sur ses ergots. Il entre dans écriture une plus grande - une excessive, une fausse ? - modestie. »
Danielle Mémoire, Parmi d’autres, POL, 1991, p. 9.
Complétons allègrement cet incipit :
Cependant, pour ce qui est de moi, et que le mot me plaise ou non, je ne pourrais pas éviter de dire à quelles fins strictement pratiques et au rang de quel instrument j’en avais fini par réduire les livres (je parle des miens, ceux dont je suis l’auteur) ; s’il n’y a pas à revenir sur cela que j’ai écrit, je n’ai que trop écrit, il est beaucoup moins vraisemblable que la littérature, quoi qu’enfin on mette dessous de très noblement imprécis, ait jamais abaissé son noble regard imprécis jusqu’à moi.
Déjà, commençant d’écrire des livres, j’en avais fini avec quelque chose - avec la littérature, je suppose, qui est désintéressée, qui est de l’art ; commençant d’écrire des livres, j’avais tout à fait perdu l’art de vue. Et maintenant, c’est avec l’écriture que j’en ai fini de même.
Et, soit : qu’est-ce que je fais ici ? J’écris ? J’écris ces lignes ? Je me retourne, et le terme au-delà duquel je me trouve, je le marque. Puis je ne prétends à nulle exactitude : au souci de l’exactitude, j’ai, dans ce moment de ma vie que je quitte, que j’ai quitté, consacré une grande part de mes efforts, eux-mêmes étant de grands efforts ; cela ne m’a pas servi à grand-chose.
Je n’ai jamais été formaliste : je n’ai jamais cru voir dans ce à quoi il me faut bien donner néanmoins le nom de forme, ce dont il me faut de surcroît admettre qu’il a, sur la scène de mon affligeant petit théâtre intime, fait l’un des plus réguliers, l’un des moins évitables protagonistes, je n’ai jamais cru voir dans la forme rien à quoi il fallût de droit se plier ou bien tendre, je n’ai jamais rien révéré en elle, et maintenant même que je m’en remets pleinement à elle, je ne la révère pas, je lui sais gré -, je n’ai jamais admis qu’elle pût justifier quoi que ce fût, spécialement pas les efforts, ici encore trop grands, qu’elle n’en demandait pas moins de moi. Elle ne m’a jamais été qu’une nécessité, qu’une regrettable et rude contrainte, qu’un instrument elle aussi, et qu’un moyen.
La forme a été l’instrument de mes livres, et mes livres, je l’ai dit, n’ont été qu’un instrument. Ils ont été l’instrument, longtemps le seul dont j’ai disposé, par le moyen duquel je réussissais à ne pas écrire.
(Ibid. pp. 9-10) ; de Danielle Mémoire, tout lire, et pour « se couper en quatre », lectrice, lecteur, par dilection spéciale : Lecture publique suivie d’un débat (1994).
Ligne 13, la revue dirigée par Francis Cohen et Sébastien Smirou, offre à ses lecteurs en son numéro de printemps-été 2012, un entretien de Danielle Mémoire avec Lola Créïs. Un numéro précédent (3/2011), un exercice d’admiration de Pierre Parlant : « À l’infini, deux fois ». Il faut agrandir « Le Cercle ».
[13] Lire les quelques mots de Dominique Meens (En finir avec Ségur, en finir avec un « tu es un bon garçon », on va croire que je l’ai fait exprès.) : « Plus vous approchez plus beau c’est, plus c’est confidentiel. Qu’est-ce qu’une œuvre confidentielle ? Une œuvre au bord des lèvres. » à propos d’En attendant Esclarmonde, en attendant Aujourd’hui tome deux ; s’interroger avec Marie-Laure Picot à propos de Les Personnages, réapprendre le tressage d’une cordelière à quatre brins en compagnie de Danielle Mémoire, Marianne Alphant, Jean-Pierre Criqui et Michel Gauthier, au festival « Rosebud », mesurer avec Tiphaine Samoyault, qui comme toujours devance (une fois que c’est écrit par elle) ce que nous aurions aimé écrire, voici (je, souligne) :
« Dans les interstices du contre-monde évoqué ici, c’est un atelier d’écriture très spécial qui est donné à lire, avec versions successives, séances de lecture publique, amendements et transformations. Vie et littérature se trouvent aussi étroitement liées que monde et contre-monde, dans une dépendance exprimée de maniére neuve et sans aucun des stéréotypes habituels. Toutes les façons dont elles se conjoignent sont ainsi énumérées dans une liste troublante, où le sens se dessine en affleurant des phrases elles-mêmes : elles se conjoignent chez tous ceux dont la vie est littérature, chez tous ceux qui écrivent pour vivre (laquelle proposition se comprend bien entendu en deux sens), chez tous ceux qui vivent pour écrire ; « vivre pour écrire s’entend à son tour en deux sens au moins, assez largement exclusifs l’un de l’autre, sinon, pourtant, consécutivement : qu’il vit pour écrire s’entend de celui pour qui la vie n’est que du temps qui passe, lequel temps, lui-même ne le passe qu’à écrire [...] Qu’il vit pour écrire s’entend de cet autre [...] qui regarde sa vie comme réservoir de son œuvre. »
Vie et littérature ont encore bien d’autres façons de s’unir, toutes les fois où la littérature parle de la vie par exemple, « c’est-à-dire chaque fois qu’il y a littérature », ou encore toutes les fois où la vie fait surgir une influence décisive sur ce qu’on est en train d’écrire. L’ensemble de ces propositions forme une sorte de mode d’emploi du livre dans le mesure où celui-ci porte cette dépendance au point de ne plus pouvoir démêler la fiction de ce qui la fait naître et des modes grâce auxquels elle naît. »
(Contre-monde, Quinzaine littéraire, n° 823, 16-01-2002) à propos de Fautes que j’ai faites.
[14] Ici, comique de répétition dont Meens a le secret, art du pince sans-rire, pour mieux débusquer le vrai-faux sérieux.
[15] Voir la bio-bibliographie sur le site des éditions POL. Ne pas omettre le livre d’entretiens avec Alexis Pelletier : Cité de mémoire, 1996.
À la parution de Niellures et de la réédition de navettes (POL, 2002), Arno Bertina a donné une précise recension des ouvrages, étendant sa réflexion à « L’atelier de Claude Ollier », in Critique, 2003/10 (n° 677), pp. 737-746.
Ainsi débute-t-il :
« Depuis La Mise en scène, publié en 1958 aux Éditions de Minuit, Claude Ollier a fait paraître plus de trente livres. Si une œuvre ne se déploie pas dans le temps sans donner à ses lecteurs des clés pour l’appréhender, force est de noter que Claude Ollier aura toujours été soucieux d’échapper à cette logique. Paru en novembre 2002, Niellures confirme la règle : à l’instar de Navettes comme de Nébules, ce nouveau livre est un recueil de vers et de proses, celles-ci structurées en paragraphes ou éclatées : fictions, récits, commentaires sur la peinture, le cinéma et la littérature ; l’ensemble est difficile à figer dans les limites d’une synthèse, roman d’une forme en constant devenir qui se moquerait de définir une poétique - serait-ce en creux. De plus, à trouver dans Niellures des textes qui, dans leur forme, annoncent l’extraordinaire Préhistoire paru en 2001, le lecteur comprend qu’il est invité à visiter l’atelier de l’auteur - ce que chaque titre de cet ensemble indique avec certitude - au point de départ de différentes lignes, où tout est noué, difficile à démêler ».
[16] L’éclatement des genres au 20ème siècle, Marc Dambre, Monique Gosselin-Noat, Presses Sorbonne Nouvelle, 2001.
[17] « Il faut t’aimer pour te lire. » Cette remarque, qu’il cite d’un « Pilate », Dominique Meens la traduit en « Ils me haïssent », qu’il retourne en « je les hais ». Le livre et son auteur font un : qui pourrait ne pas aimer le premier doit détester le second, lequel, de toute façon, vous exècre. Comment, dès lors, lire Dominique Meens, sans se prendre dans pareil tourniquet ? A moins qu’il ne faille, justement, s’y laisser prendre, entrer dans le rapport passionnel, d’attrait et de répulsion, qu’il entend instaurer avec son lecteur. Aujourd’hui ou jamais « prétend écrire un livre illisible ». Nous voici prévenus. Faussement, toutefois, car tout ardu que le livre se veuille, il est lisible, et même souvent délicieusement. On oscille ainsi entre le défi ou l’imprécation (Meens se réclame de Wolman et de Lautréamont), et une attention onirique proche de Nerval. Aujourd’hui ou jamais reprend donc le projet de « grand livre » lancé par Aujourd’hui je dors et poursuivi dans Aujourd’hui demain. Grand comme un livre de compte, disait-il dans le premier – comptes à régler avec le monde littéraire et le marché qui le sous-tend : « je contre » en est la formule. Mais grand aussi comme un fleuve charriant dans son cours irrégulier des pans de culture gréco-latine ou d’observation locale, des humeurs amoureuses ou dépressives, des épaves d’expérience ou des pièces de vers et de fictions. Un livre expansif qui, d’un volume à l’autre, « muscle » la langue, à travers tous genres.
Élisabeth Cardonne-Arlyck, Cahier critique de poésie, 2009.
[18] Le composite de l’Ornithologie du promeneur (Allia) apparaît dans cette déclaration de l’auteur (quatrième) : "Assembler les discours, puis les coordonner et les mettre en place pour la comparaison, finalement les mouvementer pour entendre le jeu de l’oiseau, telles sont, chez le promeneur, les trois parties de sa tâche."
[19] Dominique Meens, Vers, POL, 2012 ; ce recueil paraît en même temps qu’Aujourd’hui, tome deux. De ce baromètre de l’âme, si souvent savant, ce simple coucou :
il pleut longtemps après l’orage en forêt
d’un seul coup la fougère suspend son monde
le regard vaque noyé dans la verdure
l’âme au sec se voudrait flaque au pied humide
toute en pleurs mais un coucou l’aura surprise
oubliés l’amour la tristesse et l’ennui
[20] Primo, lire, de Jacques Félician (in Clinique de la servitude) :
« A dire vrai ( !), c’était la seconde fois, où en pleine méconnaissance, j’étais plongé dans une histoire qui n’était pas la mienne mais celle de mon analyste de l’époque. En pleine méconnaissance de ce « pas grand chose » qu’évoque si bien Dominique Meens [Dans ce texte], ce « pas grand-chose » qui n’est pas rien et se réduirait à des données bien scabreuses si on voulait le résumer. Un « pas grand-chose » qui, si l’on ne parvient à le cerner, peut orienter différemment toute une vie. Dominique Meens ne nous en dit mot : il n’a pas cette impudence. Toutefois, on saisit bien, à le lire, que c’est son ancrage transférentiel qui l’a amené hors du leurre du « devenir-analyste » pour trouver sa voie propre. Ainsi, a-t-il cédé à l’appel de l’écriture et se voue-t-il à y poursuivre avec talent le plus insaisissable de l’oiseau de ses rêves dans ses métamorphoses langagières. Mais dans une paix silencieuse, en accord avec ce qu’il cherche : la quête du promeneur engagé. C’est tout au moins ce qu’induit sa lecture, car je doute fort que les aléas de l’écriture lui aient apporté la paix. Mais c’est sa voie, il l’a trouvée et son expérience de l’institution psychanalytique n’y a pas été, comme il l’écrit, pour rien. »
Deuzio, considérer ceci :
« Le discours, ça n’est ni un lexique, ni une rhétorique, ni une langue. Lien social répétait Dominique Meens. Et certes, ses amis prêtres auraient fini par reconnaître qu’ils entendaient par langue ce qui se dépose historialement dans l’articulation horizontale et verticale de la palabre. Que cet « historialement » est agréable, qui permet de clouer l’histoire. Si Granel ne pouvait supporter le moindre écho du discours analytique (et il l’ était, moindre ; que je sache, se disait Dominique Meens, vous ne l’avez pas accueilli sur vos divans, où il vous arrive de l’articuler), ce n’est pas qu’il était résolument du discours universitaire, mais qu’historialement, c’était la fin d’un quelque chose et le début d’un autre, dans la langue (toujours supposée).
Dominique Meens se répète lui aussi, j’entends bien que je le répète. C’est un parti pris que je ne crois pas celui du français. C’est le parti des anciens Grecs qui ne concevaient pas la langue autrement que comme discours (au sens linguistique), celui de Humboldt (il faudrait que je rouvre les livres pour être exact), qui ne la considérait que « dans un ensemble civilisationnel » (très mauvais mais à Gquil les livres ne sont toujours pas disponibles), celui de Benveniste et de Wolman : la langue est dans la bouche, pour le second ; entre les hommes, pour le premier ».
Aujourd’hui demain, p. 75.
[21] Aux éditions Allia, Lettre à Anne, aux éditions de l’Éclat, La naissance de la nature, Éthique à S.