06/04/2001 (notes & « mots-clés » 2012) — Philippe Jaccottet
un pas
au-delà des dernières larmes [1]
« Les "beaux chemins" de Philippe Jaccottet sont des chemins de vie. S’ils ne consolent pas, s’ils ne guérissent rien de nos malheurs, ni de ceux, effroyables, de ce monde, au moins mènent-ils "un pas / au-delà des dernières larmes". »
Ainsi se conclut une très belle étude signée Hans Freibach [2] parue dans la revue Sud, et dont il faut remercier Serge Bonnery de l’avoir mise en ligne pour consultation sur « Lieux dits » son très beau site personnel (à recommander pour le centre Joë Bousquet, lectures de Butor, Simon etc.) [3].
L’avant-propos de Patrick Née et de Jérôme Thélot au Cahier Quatorze du « Temps qu’il fait » consacré à Philippe Jaccottet cite plus longuement le poème d’Après beaucoup d’années [4] :
on offre ce feu de braises
qui tiendrait presque dans la main.
(« Cela ne veut rien dire », diront-ils,
« Cela ne guérit rien,
ne sécherait même pas une larme... »)
Pourtant, voyant cela, pensant cela,
le temps d’à peine le saisir,
d’à peine être saisi,
n’avons-nous pas, sans bouger, fait un pas
au-delà des dernières larmes ?
Alors, à la manière d’André du Bouchet, qui inaugure le recueil : « faites passer... » [5]
Poèmes (Anne Perrier, Jacques Dupin, Jean-Pierre Lemaire, études (Jean-Michel Maulpoix, Judith Chavanne, Michaël Edwards...), dessins (Gérard de Palézieux), peintures (Anne-Marie Jaccottet, Nasser Assar) vous feront faire ce pas.
[1] Cette notule, « historique », signe un pas dans l’internet « littéraire » autre qu’institutionnel (un dossier Dohollau en 1997, à la suite du colloque de Saint-Brieuc). Pas effectué, suite à la rencontre de François Bon, le défi relevé d’une formation de formateurs aux ateliers d’écriture créative, les multiples échanges qui s’ensuivirent, une communauté de lectures, et l’évidence, cf. le texte de Du Bouchet, indiqué ci-après, qu’il y aurait à « faire passer ». En effet, première « chronique », en vérité, première « magdelaine ». Cette note comme les suivantes, est ajoutée après beaucoup d’années.
[2] Ce beau pseudonyme, quasiment accordé à la rivière échappée, je l’appris bien plus tard, l’acronyme d’Alain Freixe et Jean-Marie Barnaud.
[3] Ce site a pris pour nom Chantiers, « beaux chemins » y figure en bonne place. Sur ce même site, comme un écho, de "la poésie pour apprendre à vivre" (cf. « l’écriture poétique et la justice »), le dialogue Simone Weil/ Joë Bousquet, une conférence de Jean-Marie Barnaud, qui croisait, pour notre part, la lecture de La Poésie précaire, recueil d’essais de Jérôme Thélot (PUF, 1997).
[4] Ils écrivent : « Qu’il nous soit permis en guise d’épigraphe de reproduire un poème, un de ces poèmes si simplement beaux qu’on les dirait tombés du ciel. Il est extrait du recueil Après beaucoup d’années ; il indique un peu ce qu’aura visé notre volume ».
[5] Je reproduis un large extrait de ce texte, dans lequel se reconnaît, nachträglich, comme un rêve de littérature***.
faites passer... mais quoi ? chose à peu près impossible à penser et à dire
celui à qui pareille consigne doit s’adresser, et qui, au demeurant, l’aura formulée lui-même, ne peut, s’il y cède, répondre qu’en se dérobant, et se voir emporté sans conclure avec les mots d’une invite qui se décompose dans le temps même où elle vient à l’esprit
la sommation imparfaite reconduit incessamment à un point de départ
faites passer... le mot d’ordre réitéré du rêve auquel a pu sans le vouloir collaborer un lecteur de peu de mémoire invite qui écrira, pour peu qu’il veuille faire passer, d’abord à passer lui-même... l’impératif se trouve renversé en latitude consentie au passage de l’inconnu, tant auteur du texte que premier lecteur venu à pareille mutation tient la beauté de ces pages
le rêve en question qui sur le moment n’a pas eu à s’inscrire, poursuit son cours jusqu’à interruption aussi librement que peut le faire une lecture pas moins insistante pour être à l’occasion distraite, rêveusement, ignorant consigne et recommandations, sommation sur le moment sans objet, ou bien les reprenant à son compte sous une forme défectueuse qui les rend inopérantes, alors même que l’écart intermittent de réveil à sommeil qui tient lecteur inattentif autant que poète éveillé, rendormi, en éveil, demeure, avant de les absorber l’un et l’autre, tracé fermement
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*** Cf. Et ( la nuit, dont le commentaire dans la revue de François Rannou [ses endurants travaux donnèrent lieu à la somme publiée dans « l’étrangère » à La lettre volée, t. 1 et 2.], comme par hasard La rivière échappée (1997), donna la ligne des chroniques (la magdelaine en étant la reprise en avant) intitulées la poésie, pour apprendre à vivre, elles-mêmes préfigurées par des lignes de vie qui reprenaient elle-même vie sous formes de lignes adressées...
La seconde des chroniques, de l’une à l’autre, Maldiney fit lien : André du Bouchet, "Que tout déchirement...", l’atteste.
Nachträglich, aussi, car ici (dans la langue du muet) menèrent les beaux chemins et autres lignes de vie.