André du Bouchet, "Que tout déchirement..."

25/04/2001 — André Du Bouchet, Henri Maldiney


"Que tout déchirement refasse noeud aux lèvres qu’un mot avant de se dissiper figurera" - André du Bouchet


Ni "Le Monde" ni "Libération" n’ont fait mention d’Henri Maldiney pour parler de l’oeuvre d’André du Bouchet († 19 avril).

Voilà qui sera réparé, en citant la fin d’un des chapitres de
"l’art, l’éclair de l’être" (éditions Comp’Act, 1993).
Le chapitre, intitulé : naissance de la poésie dans l’oeuvre d’André du Bouchet, se clôt (est-ce le bon mot ?) ainsi :

C’est le propre de la poésie d’en (les mots) susciter la rencontre au lieu même de leur naissance, qui est aussi le sien, comme il l’est du monde : au vide auquel elle s’ouvre.

Du vide que fait-elle ? Elle en transforme la béance en patence, en une ouverture qui est sa propre éclaircie. C’est le sens des blancs dans la poésie d’André du Bouchet. De ces interruptions, de ces failles surgit, engloutissant en lui leurs limites, ce grand blanc, unique support de tout avenir. Ces blancs interstitiels ne sont pas lacunaires ; ils sont autant de "vides médians", dont les peintres chinois disent qu’ils doivent être assez étroits pour qu’on ne puisse pas s’y glisser,même de profil, mais assez ouverts pour que des troupes de chevaux puissent y évoluer à l’aise. Le "grand vide", initial et final, se retrouve non seulement dans le regard externe qu’est l’espace blanc de la page, sous-jacent à tous les autres, mais dans l’espace intérieur à toute parole, par laquelle l’oeuvre se parle en parlant le monde.

Voilà qui définit au plus près l’oeuvre d’André du Bouchet : des paroles d’ouverture. Le passage de la rupture à l’ouverture constitue l’existence de cette poésie, en laquelle s’accomplit l’essence de toute poésie. Elle réalise une mutation du plein et du vide qui renaissent l’un de l’autre à même l’existence de la parole. Chaque mot a sa tenue hors de soi dans un vide en attente, dans un ouvert, dont il est l’ouverture et que le mot suivant nouera, un instant, en configuration passagère. "Que tout déchirement refasse noeud aux lèvres qu’un mot avant de se dissiper figurera"

Ce qui fait la dramatique de cette poésie : d’avoir à disparaître, à chaque mot, dans l’éclat du vide qu’elle éclaire. Elle naît, à chaque fois, comme celle de Hölderlin, de la faille dans laquelle elle est mise en demeure... d’elle même.

"Tout est intime
Cela sépare
Le poète garde"

*

PS : des amis bretons (François Rannou, Nathalie Brillant), ont dans leur superbe revue "La Rivière Echappée" n° 8-9 novembre 1997, rendu un bel hommage au poète. Parmi les tous les textes et poèmes (de Salah Stétié, Anne de Staël, Jean Baptiste de Seynes, Jean-Claude Schneider...), j’élirai ce commentaire aussi beau que savant de Elke de Rijcke :

comment la poésie nous apprend à vivre
Ouverture d’une parenthèse sur les questions posées et les réponses données dans Et ( la nuit d’André du Bouchet

Et ( la nuit appartient au recueil Qui n’est pas tourné vers nous , Mercure de France , 1972, pp. 119-175 [1]

Ces amis bretons ont domicile à Kernaléguen, 35440 Dingé, où on peut se procurer la revue ; qu’on se le dise !

© Ronald Klapka _ 25 avril 2001