26/07/10 — (avec Claude Rabant) L’étrangère (25), Bourdieu (et la littérature), Ludovic Degroote
Assembler à clins, ce que m’a appris un livre de Claude Rabant : clins, aux éditions Aubier-Montaigne (1984).
Voici donc une barque de mots dont les bords se recouvrent !
Chargée de : L’étrangère n°25. La revue publiée aux éditions La lettre volée tient particulièrement le fil du réel : poètes, penseurs, artistes y ont mis du leur, l’ange de Wallace Stevens (celui de la réalité, nécessairement) y ayant veillé, avec le relais de Pierre-Yves Soucy, maître d’oeuvre d’une livraison réussie, tandis que Cécile Defaut, éditrice nantaise en sciences humaines nous offre un Bourdieu et la littérature sous la direction de Jean-Pierre Martin, roboratif et nullement nostalgique et que, poétiquement, Ludovic Degroote, nous désigne Le début des pieds (Atelier La Feugraie) : rien de tel pour l’été en marche !
Je suis l’ange de la réalité
Aperçu un moment au cadre de la porte.
Wallace Stevens [1]
Tu as pris une lampe et tu ouvres la porte,
Que faire d’une lampe, il pleut, le jour se lève.
Yves Bonnefoy [2]
Les opérateurs de la psychanalyse tiennent à la fois du discontinu et de l’assemblage. D’où ces clins.
Claude Rabant [3]
L’étrangère, revue de création et d’essai, n° 25
Ce nouveau numéro de L’étrangère donne de revenir sur L’Ange nécessaire, qui s’annonce — c’est un ange — en même temps être l’ange de la réalité. C’est la thématique de cette nouvelle livraison, telle que l’énonce la contribution en forme d’éditorial de Pierre-Yves Soucy, son directeur : Le réel... l’irréductible [4]. Et c’est l’essai solidement documenté et empathique de Léopold Peeters : Lire Wallace Stevens (pp. 75-110) qui m’y reconduit.
Ce n’est pas au recueil d’essais réunis en 1951 par le poète américain (et accessible en français en 1997) que Leopold Peeters consacre son étude. Le lecteur de L’Ange nécessaire ne manquera pas de trouver dans sa manière quelques analogies, recours aux textes expliqués, c’est à dire lus pli selon pli ; ici : Palace of the Babies, The doctor of Geneva ou encore Tea at the Palaz of Hoon, tous poèmes propres à répondre au reproche d’obscurité(s) adressé par une lectrice, Mrs Henderson (1922), pour ceux qui allaient figurer bientôt dans Harmonium [5] Faut-il résister à cette tentation : Stevens informe sa correspondante, c’est une manière de réponse, qu’il est en train d’écrire une « chose » appelée : Palace of the Blondes Who Read Books of Moonlight. Avis aux généticiens ! qui seront donc curieux de la métamorphose en Palace of the Babies [6].
Le commentateur prévient : « pas de réduction arbitraire consistant à transformer le poème en serrure pour que sa propre clé puisse lui donner l’impression de l’ouvrir » ! Je le suis volontiers en ce qui concerne l’analyse rythmique du poème, j’acquiesce moins pour quelques points de traduction (induits par le fractionnement) : les assonances internes au poème lui confèrent son allure et son équilibre : marcheur (du clair de lune comme du clair de terre), Stevens prouve son mouvement (de pensée) en marchant (sur ses deux ïambes).
Le court poème retenu en guise de conclusion conduit au bon port :
To the Roaring Wind
What syllable are you seeking,
Vocalissimus,
In the distances of sleep
Speak it.
Avec cet avis : « le poème prend ainsi l’air » — plutôt deux fois qu’une ajouté-je — « d’une espèce de manifeste sous forme de conseil que le poète se donne à lui-même ». Comment l’entendez-vous ?
Presque aussi longuement développé, le propos de Michel Pagnoux : Regards (1ère partie, pp. 113-139), retient également l’attention. L’ancien directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Quimper (lecteur des poètes : Du Bouchet, Ponge, Mandelstam, des philosophes : Maldiney, Merleau-Ponty) est attelé (chantier démarré il y a huit ans) avec Gilbert Delcroix à un Matière à peindre, dictionnaire de l’oeuvre peinte et de ses composants matériels et immatériels, ce qui vaut dans le corps de l’article appel à quelques unes de ses définitions [7] dont celle, congruente avec le titre de l’ouvrage, de dépiction, puisque cette forme de la description porte prioritairement (l’)attention à la matière peinte, avant toute(s) considération(s) sur les significations que l’oeuvre permet et abrite.
Qui aura lu, mis en relation (on n’ose dire en regard) les chapitres Regarder (121-123, avec les définitions des espèces impresses, des images éidétiques) et Trajet du regard (135-137) — je passe sur L’Annonciation à l’escargot, suivez mon regard —ne lira (ou ne relira) peut-être pas de la même façon : Un paysage objectif ? de Michel Collot. Cette question que traite l’auteur de Paysage et poésie [8] prend appui sur l’exploration d’une poétique moderne du paysage par Michaël Batalla et Olivier Domerg dans une dimension objective et critique.
Michel Collot observe que dans Poèmes paysages maintenant [9] qu’aussi objectives soient-elles (le compte tenu des mots), les descriptions de Michaël Batalla soulignent qu’un payage est un ensemble de circonstances en attente de la circons-/tance qui fera de lui une impression[...]/il est comme une rencontre/de là vient le plaisir (le marcheur au clair de vignes y reconnaît avec plaisir Vallée de la Marne et autres brouettes à feu). Quant à celles d’Olivier Domerg, Le Rideau de dentelle [10] permet de voir que « La fiction est tombée, le décor itou. Désormais le payage est au centre. » Et que si le lecteur/poète/promeneur risque de « s’abîmer dans tout ce qu’[il a] vu », c’est seulement au sens d’une mise en abîme [11] : le paysage « le traverse de part en part ».
Le glissement possible du paysage au poème est aussi noté par Pierre Chappuis (Ce qui vient d’en dessous, pp 13-17 [12]), marcheur s’il en est et poète et lecteur, pour nous assurer qu’il revient au poème, « mené à son plus haut point sans souci de mimétisme, de sonner juste, donner à entendre, à voir ».
Ce que nous accordent les textes de création qu’accueille la revue : quelques uns des Exercices d’évasion (extraits d’un livre à paraître d’Hubert Antoine, à faire « fondre la nudité dans les joues du vent » ; pour François Amanecer, qui s’appuie en cela essentiellement sur les derniers poèmes de Sylvia Plath, ce qui se joue entre poésie et mystère se révèle lorsque l’on examine affrontement (de face et dans l’instant) et évitement (l’avant et l’après), concluant avec Creeley :
Over the unwritten/and under the written/and under and over/and in back and in front of/or up or down or in/or in place of, of not,/of this and this, of/all that is, of it. [13]
Jean-Pierre Burgart est peintre, poète et essayiste [14]. La suite de poèmes Vitesse du rêve, immobilité du sommeil (pp. 63-72) met en évidence l’acuité du regard, de l’intelligence et de la main, telle que la repéra d’emblée (De toute évidence) un Pierre Chappuis [15].
Avec cette question qui ouvre autant qu’elle clôt La banalité enchantée, je voudrais saluer tant le poète et l’artiste (c’est tout un), mais aussi le maître d’oeuvre [16] de cet ensemble solidement ajointé à clins :
« vestiges d’un récit dont le sens m’est fermé, souvenirs imprévus, peut-être rêvés par le double qui dort au fond de moi - d’où me vient la certitude absurde qu’en ce jeu sans fin de cartes dépareillées est à l’œuvre une constellation unique, une même pensée indéchiffrée qui se poursuit nuit et jour sans livrer son chiffre ni sa figure initiale ? »
Bourdieu et la littérature ; collectif, dir. Jean-Pierre Martin
Découvrir ce titre : Bourdieu et la littérature sous la couverture blanche des éditions Cécile Defaut [17] , avec cette théorie de noms : Pierre Bergounioux, Pierre-Marc de Biasi, Anna Boschetti, Jacques Dubois, Annie Ernaux, Michel Jarrety, Bernard Lahire, Marielle Macé, Pierre Macherey, Jean-Pierre Martin, Jérôme Meizoz, Hélène Merlin-Kajman, Dominique Rabaté, Gisèle Sapiro, Dominique Viart, Fatima Youcef (ordre alphabétique) n’est pas sans provoquer émotion. A la liste aurait pu s’ajouter François Bon — mais Dominique Viart y pourvoit [18] — , un mien quelconque biographème le rappelle [19].
Belle occasion pour l’auteur de ces lignes, non pas de se remémorer quoi que ce soit, la preuve par corps (v. Annie Ernaux pp. 23-27) suffit, mais de questionner sur la trace d’une oeuvre : " Il y a trois choses qui sont au-dessus de ma portée/ Même quatre que je ne puis comprendre : /La trace de l’aigle dans les cieux, /La trace du serpent sur le rocher,/ La trace du navire au milieu de la mer, /Et la trace de l’homme chez la jeune femme. " indique le livre des Proverbes (30 : 18-19.) [20]
Selon Jean-Pierre Martin (mais faut-il s’en étonner ?) elle est nulle chez les apprentis-lettreux du jour (Propos introductif, p. 7 ) ; question de génération, c’est heureusement moins vrai chez quelques autres, et qui ont encore les moyens de se faire entendre ...
Si je lis sans grande surprise (le contraire serait inquiétant), dans l’affection et le bruit toujours neufs, les contributions d’Annie Ernaux [21] ou de Pierre Bergounioux [22] , je suis vivement intéressé par ce qu’en relève Dominique Viart :
« De fait la question de la langue : non seulement celle des milieux sociaux et géographiques évoqués mais aussi celle dans laquelle on les restitue est une préoccupation constante de ces textes : on sait combien Annie Emaux y insiste en décrivant la sienne comme une langue « plate ». De même tout lecteur aura noté l’hypercorrection de Bergounioux, l’« hypocorrection contrôlée » de Michon ou de Bon, qui contestent ce qu’il y a de rappel à l’ordre dans l’observation stricte des règles de syntaxe et des niveaux de langue au profit pour l’un d’une liberté affichée d’écrivain, pour l’autre d’une attention plus fine aux intensités des parlers désocialisés. J’ai proposé la notion de « fiction critique » pour désigner le triple exercice critique auquel se livrent aujourd’hui nombre d’ œuvres littéraires, qui sont à la fois critiques envers leur objet, critiques envers les anciens modèles littéraires voués à traiter de ces objets et critiques envers leur propre écriture dans le moment même où celle-ci se déploie : il me semble à cet égard que bien des écrivains pratiquent déjà cette « réflexivité critique » que, dans L’Esquisse d’une auto-analyse, Bourdieu reproche aux intellectuels de ne guère exercer envers eux-mêmes. »
Oui, oui et oui ! pour avoir été dirigé vers le travail et la rencontre de Pierre Bourdieu, par l’expression Ce que parler veut dire [23] , j’acquiesce mille fois, et dans la mesure où Wittgenstein (Thomas Bernhard tout proche !), juste une définition ostensive, vous voyez, telle que donnée par un artiste : Raymond Mason, et ressaisie par un poète des plus humanistes, Yves Bonnefoy, corroborera mon propos, allez donc à Liévin ! [24]
Quant à l’écriture de Pierre Bourdieu et à sa réflexion sur la littérature je retiens spécialement la contribution de Marielle Macé. Certes, c’est son champ : voyez le récent Du style !, coordonné par elle pour la revue Critique [25] , ou encore « La valeur a goût de temps », Bourdieu historien des possibles littéraires [26] ; je vous livre sa conclusion :
« Mouvement d’écart distinctif, dialectique de relance, protestation d’une manière « bien à soi » : voilà au moins trois « genres de style », trois logiques pour rendre compte des gestes ou des œuvres, qui ne travaillent pas toutes dans le même sens. Je m’autoriserai de la dernière phrase de l’Esquisse pour me réapproprier cette hétérogénéité et cette concurrence de logiques du style, en faire un outil de pensée dans mon propre champ : Bourdieu explique que ce qui le rendrait heureux, c’est que les lecteurs tirent de leur identification réaliste à lui, « qui est tout à fait à l’opposé d’une projection exaltée, des moyens de faire et de vivre un tout petit peu mieux ce qu’ils vivent et ce qu’ils font » [27] . Autrement dit, des possibilités de ressaisie individuelle de formes nécessairement partagées, par la pratique de petites différences activement introduites dans nos façons d’être ce que sont aussi tous les autres : des promesses de style. »
Andiamo ?
Pour conclure [28], j’indique la reprise d’un entretien du "sociologue énervant" (et énervé par la génétique textuelle) avec Pierre-Marc de Biasi, mais aussi le relevé par Fatima Youcef des références littéraires dans l’oeuvre de Bourdieu (index, pp. 291-304). Pour ce qui est du registre oral, est-ce le moindre ? j’aime à souligner l’affection de Pierre Bourdieu pour l’oeuvre de Nathalie Sarraute, ça vous étonne ? et ses "impondérables de la conversation" (correspondance personnelle, 1983).
Envoi : Ludovic Degroote, Le début des pieds
« mets un petit pansement
ça ne t’empêche pas de parcourir le monde
emmène tes petits pansements
j’aimerais bien pouvoir écrire que le petit pansement
c’est l’écriture ou que l’écriture en ôtant le panse-
ment met le monde à nu plaie du monde plaie de soi
écrire quelque chose qui active son petit symbole et
apporte sa grandeur au poème j’aimerais bien écrire
une petite obscurité populaire en achevant le torrent oh
rail du peuple libre incendie le froid chambranle des
montagnes
mais j’en reste à la vie qui nous ronge
j’ai emmené mes petits pansements
je vis dans l’attente qu’ils me servent puisque
la vie ne saurait tarder »
Ce poème de Ludovic Degroote, conclurait pour un peu Le début des pieds, recueil paru aux éditions L’Atelier La Feugraie. En vérité celui-ci s’achève par :
« j’essaie de faire attention un peu à tout
j’aimerais tellement nous rendre la vie plus agréable et légère »
Vous soit viatique cette poésie pensive (coïncidence de la poésie/voilà qui me montre le monde en m’ouvrant à moi-même), souvent drôle (je vérifie mes pieds en comptant mes orteils), toujours grave (je suis pressé de vivre/à cause de la peur de ne pas durer) !
[1] Wallace Stevens, Ange entouré de paysans
Pour ce poème, le texte d’une part de Angel surrounded with paysans et la traduction de Gilles Mourier* d’autre part. Quant aux liens avec le tableau de Tal Coat ** et le poème qui clôt Auroras of the autumn, les explications de Claude Mouchard, traducteur avec Sonia Bechkah-Zouechtiagh de L’Ange nécessaire, éditions Circé, 1997 :
« A neuf lecteurs sur dix, l’ange nécessaire paraîtra être l’ange de l’imagination et, neuf jours sur dix, cela est vrai, même si c’est le dixième jour qui compte. »
Cet ange, Stevens l’a d’abord fait surgir - dans le titre qu’il donne au tableau de Tal Coat ou dans celui de son recueil- comme une figure où l’imagination nécessairement ramène à la réalité*** . Il est cette effectuation imaginaire à travers laquelle seule la réalité, la transissant, peut rayonner.
Avant de se nommer lui-même comme « l’ange nécessaire de la terre », celui qui, dans le poème, apparaît comme une figure, une silhouette survenant parmi - ou pour - des paysans, a déclaré :
Je suis l’ange de la réalité
Aperçu un moment au cadre de la porte
Par lui en effet - à travers lui comme dans la lumière affluant par la porte - la réalité peut, dans sa simultanéité latérale, dans son ampleur évasive, se donner. L’ange, en tant que répondant à l’imagination des hommes (en particulier des paysans du poème), doit toujours retrouver son effectivité propre ; il faut qu’il soit reconnu comme partie de ce qui est là, de tout le divers, choses et êtres : je suis l’un d’entre vous. Mais cette part est spécifique en tant qu’accès : chacun par elle s’ouvre à la réalité ; elle est comme une porte pleine de clarté, elle est cette "vue" par où tout le réel, soudain comprenant les productions des hommes mais les redébordant toujours -, s’offre dans son éclat horizontal et vital :
Je suis pourtant l’ange nécessaire de la terre puisque, à ma vue, c’est la terre que vous revoyez... (pp. 157-159.)
Prolongements : Why "Angel Surrounded by Paysans" Concludes The Auroras of Autumn par Charles Altieri ; napkin surrounded by bottles is an angel surrounded by peasants par Al Filreis ; le site de Gilles Mourier, la page Wallace Stevens chez José Corti.
Est-il excessif de percevoir — Stevens étant un lecteur assidu de la poésie française de ce moment — quelques résonances de ce poème final d’Aurores de l’automne, avec Adieu de Rimbaud : automne, ange, paysan, réalité... ? est-il possible de l’assurer ?
* Le numéro 80 de Po&sie (2° trimestre 1997) offre un substantiel dossier "Wallace Stevens" (près d’une centaine de pages), grâce aux soins de Gilles Mourier : traduction de poèmes : Les Aurores de l’automne, de Lettres, d’une étude de Franck Kermode.
** le poème, a été inspiré par une nature morte de Tal Coat acquise par W. Stevens. Dans une lettre à Paule Vidal le 5 octobre 1949, il déclare : « L’ange est le bol de verre vénitien qui, à gauche, contient une gerbe de feuilles. Les paysans sont les terrines, les bouteilles et les verres qui l’entourent. » (d’après Claude Mouchard, op. cit., pp. 157-158.)
*** Le sous-titre de L’Ange nécessaire : Essais sur la réalité et l’imagination
[2] Yves Bonnefoy, Du mouvement et de l’immobilité de Douve, in Poèmes, Poésie/Gallimard p. 106.
Du "plus petit poème" d’Y. B., Jérôme Thélot a écrit :
« Ce poème, voici plus de vingt ans qu’il est actif dans ma mémoire, où il ressemble un peu à la lampe dont il parle. Si limpide en est le rythme, si pacifiant pour les mauvais moments de panique ou d’angoisse, si toujours là dans le cœur, amicalement, pour aussi les moments heureux, qu’on ne voit pas d’abord ce qu’on va gagner à l’encombrer d’une glose, à travailler sur lui comme sur une chose, plutôt que de se laisser, comme il le conseille, conduire par lui jusqu’au jour, jusqu’à cette lumière du jour qui n’est pas un spectacle, qui n’est ni le théâtre des éclairages ni l’espace des perspectives, n’étant rien que le mystère de l’évidence, c’est-à-dire l’évidence du rien et comme telle la joie. » Le plus petit poème d’Yves Bonnefoy, Le temps qu’il fait, Cahier onze, 1998, pp. 215-218.
[3] Claude Rabant, Clins, Aubier-Montaigne, 1984. La quatrième de couverture précise :
En termes de marine : disposition de madriers qui, se joignant à recouvrement forment le bordage d’une embarcation. Mais aussi bien l’acte d’incliner, clin de tête ou de volonté, où l’oeil vire à l’instant, voire au tranchant de la décision d’amour.
Manière de saluer un bel essai dont la problématique n’a pas pris une ride :
« La psychanalyse parle de choses simples et radicales : le plaisir, l’amour, la mort. Elle en parle en leur donnant une dimension devenue irréversible dans notre culture : celle de l’inconscient. C’est là son avenir. Mais quel est son enjeu réel aujourd’hui ? Ne serait-ce pas de donner raison à la folie ? Nous ne sommes pas fous d’un pur non-sens mais d’une raison de langage. Dès lors c’est de ce désordre que peut venir au rationnel un souffle de vérité. D’une part, la psychanalyse ne peut que reconnaître les impasses les plus cruelles où la science plonge la société. D’autre part, les désordres du sujet ne sont pas forcément subsumables dans une rationalité d’ensemble. Quels rapports établir entre ces désordres et ces impasses ? »
La lecture de Métamorphoses de la mélancolie (éd. Hermann), aura provoqué un un retour amont sur les ouvrages (et le parcours) antérieurs : depuis Clins à Inventer le réel en passant par Délire et théorie, sans omettre la lecture exacte de Louis Bernaeirt , Aux frontières de l’acte analytique (Le Monde, 15.05.87).
[4] Et en cela des plus fidèles à la ligne de la revue : tout reste à dire de l’étrangeté du réel, d’autant que la parole qui exprime ce qui n’a pas encore été exprimé demeure étrangère à elle-même.
[5] Recueil publié en 1923, chez Knopf. Pour la bibliographie en français, cf. supra, note 1.
[6] Palace of the Babies
The disbeliever walked the moonlit place,/
Outside of gates of hammered serafin,/
Observing the moon-blotches on the walls.//
The yellow rocked across the still façades,/
Or else sat spinning on the pinnacles,/
While he imagined humming sounds and sleep.//
The walker in the moonlight walked alone,/
And each blank window of the building balked/
His loneliness and what was in his mind ://
If in a shimmering room the babies came,/
Drawn close by dreams of fledgling wing,/
It was because night nursed them in its fold.//
Night nursed not him in whose dark mind/
The clambering wings of birds of black revolved,/
Making harsh torment of the solitude.//
The walker in the moonlight walked alone,/
And in his heart his disbelief lay cold./
His broad-brimmed hat came close upon his eyes.
Le lecteur pourra comparer les traductions de Gilles Mourier, de Claire Malroux (Corti, p. 189), et celle, expliquée de Leoplod Peeters pp. 85-94, dans son article de L’étrangère. Au lecteur donc de ressentir ce qui « frappe ses nerfs »
[7] « Grappe de raisin. Expression d’atelier. Terme exhumé. Expression propre au Titien, devenue terme technique de la peinture... » est un régal pour l’esprit (lire pp. 114-115) ...
[8] Michel Collot, Paysage et poésie. Du romantisme à nos jours, José Corti, 2005.
[9] Poèmes paysages maintenant, aux éditions Jean-Michel Place, 2007.
[10] Bibliographie, détails sur le site Autres et pareils, dont Olivier Domerg est l’un des responsables.
[11] Les deux orthographes sont valides.
[12] Dans un second texte, Mesurer l’obscur, qui en quelque sorte ferme la marche de la revue : qu’un ange défait guide les pas et les pas/les paroles muettes soient l’unique certitude, Pierre Chappuis rend un hommage amical et sensible à la poésie de Pierre Voélin. (pp. 141-145)
[13] Robert Creeley, Just in time, 2001.
[14] Essai aux éditions Sens et Tonka : Le tain des choses :" Ecrivant ou peignant, je ne parviens à percevoir une organisation qu’à partir de la diversité du réel ; je n’ai pas de plan dans l’esprit, ni de cahier des charges, pas de dessein articulé ni de structure préalable.
Je découvre mon projet au fur et à mesure que j’avance. Puis le chemin se dégage, du divers à la structure, s’inverse : peu à peu, c’est la structure qui envahit tout : le divers se confond avec elle ; tout est structure, rien n’est plus que structure. "
[15] Pierre Chappuis "Le dessin musical des fumées, les contours de l’air bleu sur l’épaule des champs." Pas question, plongé dans le présent, de rien situer ; si tout participe d’une même plénitude, nous voici, d’une manière quasi somnambulique, promus dans un espace non déterminé, plénifiant dont les correspondants sont nombreux, du visage sans traits à la mer vue du haut de la falaise ("vitre impalpable et dansante") ou à la page blanche. Le moindre détail - mais y a-t-il des détails ? - parle pour l’ensemble ; il s’impose de toute évidence et tout à la fois semble n’être que l’écho d’une impression venue de plus loin, invérifiable. Qu’importe, pourvu que tout instant soit commencement (ou recommencement). Image et réalité, présence et absence se confondent. "J’ai cru me souvenir, mais non,je ne me souviens de rien, c’est ma vie tout entière qui se souvient de moi. C’est le présent, la résurrection d’une sensation première dont il est impossible d’avoir souvenir : elle est enfouie dans l’avant-mémoire ; elle est la condition des souvenirs futurs. Ce qui permet de reconnaître ne peut pas être connu ; ce qui donnera un nom n’a pas de nom, n’appartient pas au passé, mais habite, reconnu ou non, chacun de nos instants. Enfance, véritablement infans, « sans parole », qui continue en nous sous-jacente et demeure notre unique accès à la réalité, elle recèle dans leur fraîcheur entière « ces sensations confuses que nous apportons en naissant »" (La ressemblance, c’est-à-dire l’oubli).
Pierre Chappuis, Tracés d’incertitude, éditions José Corti, livre dont rendit compte Marc Blanchet.
[16] Pierre-Yves Soucy indiquant en conclusion de son avant-propos :
Cependant que la parole aura fait son travail, celui d’intensifier, par les mots, par l’expression, non seulement le rapport qui nous attache au monde, mais le réel lui-même qu’il recouvre et son infini inachèvement.
[17] Les éditions se sont dotées désormais du site qui permet d’en mesurer la catalogue et le projet.
[18] « L’illusion biographique » ou Bourdieu après la bataille ? pp. 207-235.
[19] Cette quelconquerie est manière de fidélité : en 1983...
[20] Cette rédaction est assurément à reprendre, il faudra secourir le sapientiel énonciateur ...
[21] Pour les postulants capésiens de Martin et les autres :
« Il devient possible d’affronter et de comprendre des scènes lourdes d’émotion, vite chassées auparavant quand elles refaisaient surface. Celle-ci par exemple : stagiaire d’agrégation dans un lycée de filles cossu de Bordeaux, je fais aux troisièmes un cours intimidé, qu’elles n’écoutent pas, sur les Mémoires d’Outre-Tombe. À la fin de l’heure, en tête à tête avec la conseillère pédagogique, je pleure et je lâche « professeur, je ne vais pas y arriver, c’est trop haut pour moi », au bord d’ajouter, mais peut-être l’ai-je fait, « pour moi qui suis de milieu modeste ». Je pars du lycée, moins humiliée, en colère, d’avoir raté mon cours que d’avoir livré à une inconnue ce que je considère alors comme mon infériorité native, d’essence génétique, ayant fait mien le cri de Rimbaud, « je suis de race inférieure de toute éternité ». La preuve par corps, c’est cela, la ratification de la théorie par la mémoire la plus enfouie et la plus douloureuse. Mais aussi, tout autant, par le mouvement de soudaine libération qui accompagne et suit durablement le déchiffrement du monde proposé par Bourdieu. Je pose la question : est-ce que la vérité d’une théorie ne se mesure pas à son pouvoir de libération, de défatalisation, sur les individus ? »
[22] De là, dit-il, deux caractéristiques de l’oeuvre qu’il a laissée : la science de l’expérience sociale (et PB renvoie ici à un livre majeur, insuffisamment reconnu comme tel) - et sa théorie de la littérature comme champ.
[23] Limoges, 1977 : Congrès de l’AFEF, texte toujours accessible.
[24] Il fallait en effet un Yves Bonnefoy pour porter au-delà de son lieu la vérité de parole de Une tragédie dans le Nord. L’hiver, la pluie, les larmes . Les propos consignés dans le catalogue de l’exposition de 1985 (Centre Pompidou) ont été heureusement repris chez Galilée : Raymond Mason, La Liberté de l’esprit, réédition 2007. Voir aussi : « Une tragédie dans le Nord », la providence artistique de Mason, in Liévin-infos.com ; pour l’amitié (qui possède visage) de quelques-uns qui disparurent le 27 décembre 1974, providence sera délesté, sans retour possible, de toute connotation providentielle.
[25] Qui sonne comme Du nerf ! (Pinget), qui épate par son éclectisme : l’article sur le théologien Christoph Theobald, mérite "extension typologique" ! à découvrir....
[26] Contribution à Fabula« LHT »
[27] Je souligne la fidélité d’un projet : voir les mots adressés d’emblée aux instituteurs de Saint-Amand :
Dans ma vision, la sociologie [...] est plutôt un instrument par lequel on cherche à comprendre ce que l’on est, un instrument parmi d’autres bien sûr ; avec la psychanalyse, la psychologie, l’épistémologie, etc. Toutes ces sciences que l’on appelle : « sciences de l’homme » ont à nos yeux la même fonction : permettre de savoir un petit peu mieux ce que l’on fait, ce que l’on est
[28] Conclure à demi, puisque dans le sillage (l’esprit) des méthodes d’enquête initiées par Pierre Bourdieu, impossible de ne pas signaler la découverte récente, grâce à l’émission La suite dans les idées (Sylvain Bourmeau, France-Culture) de danser, enquête dans les coulisses d’une vocation, de Pierre-Emmanuel Sorignet, aux éditions La découverte ; à croiser (titre oblige) avec la réédition révisée de La Vocation chez Hermann, de l’ouvrage de Judith Schlanger, paru autrefois chez Hachette en 1992.