Exposer Beckett

20/03/07 — Samuel Beckett, Henri Hayden, Hélène Cixous, Didier Anzieu, Thierry Beinstingel


« comme un écho de cette folle sagesse »


Bien chère Magdelaine,

Il y a de cela une quinzaine d’années, mon attention avait été attirée sur un cahier Henri Hayden [1], dont je ne savais guère qu’il avait été comme Avigdor Arhika, Geneviève Asse, Bram Van Velde et quelques autres artistes un fidèle ami de Samuel Beckett. [2]

Le dactylogramme dont figure ci-dessus le début de la frappe, avait succédé à un premier jet d’une belle fluidité, sans ratures, ni rajouts.

Quelques jours plus tard, le mercredi 23 janvier 1952, Samuel Beckett adressait à son ami les mots suivants :

« Mon pauvre Henri,

Vous voici bien arrangé, comme convenu. Si ça
vous dégoûte trop, adressez-vous à un sain d’esprit,
je ne m’en formaliserai nullement.

Si vous pouvez l’encaisser et qu’il
faille mettre tout ça pâtées sur blanc, dites-le
moi. Je vous l’ideographierai avec soin. »

Je ne te mettrai pas l’exposition pâtées sur blanc, elle est à vivre, voir, lire, entendre, contempler, méditer.

Juste dire que la scénographie, l’ordonnancement, les huit étapes proposées : Voix, Restes, Scènes, Truc, Oeil, Cube, Bram, Noir, y conduisent le plus justement.

L’idéal, sans doute, voir une seconde fois cette exposition en ayant établi son propre parcours, revisionné le videogramme "How far is the sky" [3] de Pascale Bouhénic, approfondi les ouvertures proposées par le catalogue "Objet Beckett", feuilleté, relu à cette aune quelques unes des oeuvres.

Tu sais à quel point les oeuvres dites de jeunesse, les textes en anglais me passionnent, et aussi combien je suis convaincu du bénéfice de la rencontre de Beckett avec Bion ; Anzieu dit ça à sa bien intéressante façon ...

Pour la circonstance, Tom Bishop a insisté auprès d’Hélène Cixous pour qu’elle nous donne "son" Beckett, et voici chez Galilée Le Voisin de zéro, Sam Beckett ; t’en donnerai des nouvelles. Pour le moment, juste la première page de la prière d’insérer :

« Pourquoi, Beckett, je peux l’aimer, un peux précieux, rare, moi qui ne suis pas du côté du noir gris, je peux l’aimer lui figé en perte d’équilibre, moi qui préfère le bond, traverser toutes les zones opaques, épaisses, paresseuses, luxurieusement paresseuses de son brouillard, pour venir l’aimer quand même, donc comme mon prochain ? À cause de l’insistance à être lui-même d’hier à l’au-delà, dès aujourd’hui, lui-même fidèle à lui-même, à être inflexiblement, si cassé, rompu soit-il, le même lui-même, sans adultération, à avoir toujours été celui qu’il serait et inversement à devenir sans fin celui qu’il aura toujours déjà été incorruptiblement, l’être devant la fin, toute la vie et tout le temps des temps à jamais devant la fin. Il doit la fin, il se la doit, il nous la doit, toute sa vie rampée devant la fin, sans mort, à vamper la fin, en vain, à camper dans le voisinage de zéro. Rêvant de zéro, à cause du croassement-vagissement-râle de sa voix belacquienne [4], parce qu’il aura fait le tour du monde purgatorial purgeant-purgé, clopant-clopé pour revenir réduit à presque rien, le même sur les mêmes semelles élimées par les temps. »

Voilà. C’est parti pour 82 pages de bonheur.

© Ronald Klapka _ 20 mars 2007

[1Revue L’Autre, numéro 3, 1991

[2J’avais noté que le "Paysage et portrait en pied de poule" de Thierry Beinstingel, avait quant à lui "couvert" l’événement de cette rencontre

[3la palette s’enrichit d’un gris Beckett, que mettent en évidence un Federman, Ph. Beck, Pierre Zaoui ou encore Echenoz

[4En savoir plus sur Belacqua ? voir la mention de Bande et Sarabande.