Cartes postales d’un voyage en Pologne

21/01/2005 — Giorgio Caproni, Philippe Lacoue-Labarthe, Patrick Kéchichian


Ce « billet » à l’occasion de l’édition récente de ces « Cartes postales d’un voyage en Pologne », de Giorgio Caproni, chez William Blake and Co. Edit. [1]

Le nom de l’auteur du Gel du matin [2], nouvelles traduites par Bernard Simeone chez Verdier éveille l’attention, et on sait que Le Franc-tireur [3] a obtenu coup sur coup les prix Feltrinelli et Montale (Philippe di Meo a assuré la traduction pour Champ Vallon). Un bandeau jaune décline sobrement : Auschwitz ou la banalité du mal.

Ces cartoline sont traduites de l’italien par Philippe Lacoue-Labarthe et Federico Nicolao. On ne s’étonnera pas à leur lecture de l’intérêt de l’auteur de La Poésie comme expérience (Bourgois).

En 1948 Caproni avait été invité à un congrès à Wroclaw, à l’initiative du Mouvement pour la Paix. Le journal qu’il tenait (publication en 1995) s’interrompt brusquement après le 29 août, au lendemain de la fin du congrès. C’est qu’à cette date Caproni s’est rendu en « excursion » à Oswiecim (Auschwitz). Ce n’est qu’en 1961, dans trois livraisons au journal La Giustizia, qu’il consentira à relater ses Cronache e racconti di un viaggio in Polonia. De la « parole suffoquée » nous donnerons ce bref extrait :

« La Croce Rossa non ha mai notato il funzionamento e lo scopo vero delle lavanderie ? », prova a domandare qualcuno. « In effetti ha visitato alcune volte il campo. Ma ignoro il resto. Da questa parte, prego. »

« La Croix Rouge n’a jamais remarqué le fonctionnement ni le véritable but des laveries ? se risqua à demander quelqu’un.
« En effet, il leur est arrivé de visiter quelquefois le camp. Mais j’ignore le reste. Par ici, s’il vous plaît. »

Lire également en page IX, de l’édition du 21 janvier 2005, du Supplément du « Monde des Livres » [4] l’article de Patrick Kéchichian, dont voici un extrait :

« Oh, que je n’ai jamais été aussi honteux de me savoir “humain” ! »

Que disent ces textes ? La « honte » d’abord, celle de visiteurs insouciants, « la langue déliée et prêts à la boutade et à l’anecdote ».

« Honte » surtout « pour les nazis »... « Mais, en fin de compte, les nazis ne sont-ils pas également partie intégrante de nous-mêmes (aberrante, mais toujours intégrante, hélas) ?... » A partir de cet instant, le visiteur n’est plus exempté, protégé : « Oh, que je n’ai jamais été aussi honteux de me savoir “humain” ! » A la fin de ce parcours, une fois passées les vitrines pleines d’objets familiers, de cheveux ou de boîtes de zyklon, le guide (un ancien déporté, « catholique convaincu », précise Caproni) tient ce propos, qu’entendra parfaitement le poète : « Ici, nous sommes dans le climat de tragédie pure, où la vérité a tout à perdre et rien à gagner, tant par elle-même elle est tragiquement horrible, à une quelconque adjonction de passion ou, pire, de rhétorique inutile. » — P. K.

© Ronald Klapka _ 21 janvier 2005

[1Giorgio Caproni, Cartes postales d’un voyage en Pologne, William Blake and Co., 2004.

[2Giorgio Caproni, Le Gel du matin, éditions Verdier, 1985.

[3Giorgio Caproni, Le Franc-tireur, éditions Champ Vallon, 1989.

[4Ce « Monde des Livres » toujours disponible en ligne