texte du 9 août 2006
As kingfishers catch fire, dragonflies draw flame ; [1]
Jour de novembre, faste, où un martin-pêcheur a pris feu dans les saules. [2]
Gerard Manley Hopkins : Jean Mambrino peaufine sa traduction ; la troisième, publiée chez Arfuyen.
Piolé. - Adj. A Montaigut-en-Combrailles, on appelle avoine piolée celle dont les germes commencent à se montrer et forment sur les grains comme des taches et bigarrures.
Dans la Satire X de Mathurin Régnier, le mot piolé est employé dans le sens de bariolé, bigarré.
ex : Des rubans piolés s’agencent proprement [3]
Jean-Georges Ritz traduisait par bigarrée, René Gallet par diaprée, le recours au piolée du XIX° siècle s’assonne à merveille.
Mais à quoi donc ? à ce poème de Gerard Manley Hopkins (1844-1889), jésuite et poète qui rend grâce à la Création (Glory be to God) pour toutes choses tachetées, les cieux aux couleurs mariées comme tavelures de vaches, ou encore Les braises vives des châtaignes chues (Fresh-firecoal chestnuts-falls).
C’est dire qu’autant que possible, malgré les prodiges des traducteurs, il importe de recourir à la version bilingue qui permet de jouir plus pleinement des innovations linguistiques audacieuses, des assonances hardies, et du fameux sprung rythm, le rythme bondissant de l’oeuvre en sa toujours saisissante nouveauté.
L’une des toutes dernières, celle de Jean Mambrino, aux éditions Arfuyen, une reprise de celles déjà données aux éditions NOUS (Caen) en 1999, et Granit en 1980. Des traductions portées pendant une cinquantaine d’années, qu’ont pu de temps à autre lire les lecteurs d’Etudes : Jean Mambrino, poète [4], est aussi jésuite, chroniqueur de théâtre, et il a été à Metz le professeur de Bernard-Marie Koltès.
De cette tout dernière traduction, on trouvera une recension passionnée de Pascal Aquien dans la Quinzaine Littéraire , n° 901 1er au 15 juin 2005. Grandeur de Dieu ? -c’est le titre d’un des poèmes et du livre - s’interroge-t-il. Sans doute, mais plus encore grandeur de la poésie et force incandescente du verbe.
Je n’insisterai pas sur la biographie de Hopkins, ses dons poétiques précoces, son passage de l’anglicanisme au catholicisme (influence de Newman), le bonheur pour nous que son ami Robert Bridges ait gardé copie de tous ses poèmes (brûlés lors de son entrée en religion).
Le poème " Le Naufrage du Deutschland" composé à la demande son supérieur, [5], une ode de 35 strophes est une véritable révolution poétique, avec son battement musical, son énergie et ses solutions linguistiques toujours aussi frappantes que justes (assonances, allitérations, paronomases, enchâssements de noms et d’adjectifs, ex : How a lush-kept plush-capped sloe (Telle une pelucheuse, toute savoureuse prunelle).
Les chronologies, notes, la précieuse correspondance de GM Hopkins, les éclairages savants (le scotisme, l’« haeccéité » de Hopkins versus l’évolutionnisme [6]) enrichissent à n’en pas douter la perception que l’on peut se faire de l’oeuvre. Il est imposible ici de ne pas citer le travail du musicologue François Nicolas, qui outre qu’il exemplifie les notions d’inscape-inspect, d’instress-intension, de sprung rythm-rythme bondissant, les met en rapport avec la spiritualité du poète.
De nouvelles tentatives comme celle de Fabien Vasseur Po&sie n° 105, richement annotées, avec des partis-pris, la comparaison entre diverses versions : qui nous traduira exactement fallowbootfellow de Tom’s garland ?
Les lecteurs de l’Animal numéro 16, auront remarqué la traduction de Tom’s garland par Benoît Casas, la couronne de Tom (sous-titre Sur les chômeurs) de Gérard Manley Hopkins, avec un net parti-pris de traduction (éloignement de tout maniérisme), dont la visée aura été de rendre le poème plus direct, en tentant de restituer sa frappe ou son impact (ce sprung ryhtm que François Nicolas, dans sa conférence Horlieu, traduit très justement par rythme abrupt).
(l’éditeur de NOUS - cf supra- 4, chemin de Fleury, Caen, nous a donné il y a quelque temps une nième traduction de Jean Mambrino, s.j. sous le titre Grandeur de Dieu et autres poèmes)
notule : voir aussi les traductions de Pierre Leyris, de Jean-Georges Ritz, récemment Fabien Vasseur (Po&sie, n° 105, 2003)
Emmanuel Laugier quant à lui, nous entraîne dans un brillant commentaire de ce poème de 1887 : « Hopkins forest », "l’image joue, et l’on dirait dans tous les sens ;[...] pour ce qu’elle fait entendre du densifié de sa parole, masse verte touffue haute, à faire tourner la tête, où la lumière ne perce pas, où la lumière perce d’autant que violemment c’est clairière devant ouverte et, d’un coup, la pacification..."
Mais on y croise aussi le Paul de la première aux Corinthiens, 3, 9, le communisme de pensée, Badiou, et aussi comment la force vive déchue se transforme en « manwolf », car de cet homme abandonné (le chômeur) :
« De lui, le désespoir fait un chien de potence, la rage
Pire : un loup ; et leurs meutes dévastent l’époque. »
(This, by Despair, bred Hangdog dull ; by Rage,
Manwolf, worse, and their packs infest the age)
Pour conclure (très provisoirement) :
To what serves mortal beauty - dangerous ; does set danc-
ing blood - the O-seal-hat-so feature, flung prouder form
Than Purcell tune lets tread to ? See : it does this : keeps warm
Men’s wits to the things that are ; to what good means - where a glance
Master more may than gaze,
A quoi sert la beauté mortelle - en ses dangers, sa danse donnée
Au sang -, les traits Ô-à-sceller-tels, la stature affirmée plus fière
Que le pas auquel se prête un air de Purcell ? A ceci elle avive
En l’esprit la présence des choses, le sens du bon ; un coup d’oeil
Découvre alors plus qu’un lourd regard,
cité par Adrian Grafe, la profusion ténébreuse
[1] Comme le martin-pêcheur prend feu, comme la libellule s’enflamme ; trad. Ph. Jaccottet Et, néanmoins, Gallimard, 2001
[2] ibid. p . 36 ; on aimerait reproduire le poème d’Hopkins (1881) ; on aimerait donner le texte de Jaccottet ; on ne peut qu’inciter à les lire, pous saisir ce et néanmoins, qui souligne que s’il n’y pas ou plus la jubilation de la foi, il arrive que la nuit ne soit plus opaque ni définitive
[3] Francisque Mège, Souvenirs de la langue d’Auvergne, 1861
[4] Nombreux recueils publiés chez José Corti ; grand lecteur également : cf. Lire comme on se souvient et La Patrie de l’Âme (Phébus) ; a reçu le prix Nathan Katz en 2005
[5] traduction de René Gallet et présentation de Geoffrey Hill collection Orphée La Différence ; aux éditions Alidades, Bruno Gaurier s’est lui aussi attelé à la traduction du poème
[6] Voir dans Conférence, l’article de René Gallet, G.M. Hopkins et la terre singulière