Ivar Ch’Vavar, Cadavre Grand m’a raconté & au Jardin Ouvrier

11/08/2005 — Ivar Ch’Vavar (et ses hétéronymes...)
14/12/2012 — révision et ajouts



Un livre inclassable, une revue peu ordinaire...

amiteus’mint à ter’tous !

Il arriva un jour qu’une revue des revues du bulletin Infonet (Atelier de l’Agneau) signale :

LE JARDIN OUVRIER N° 31. Pierre Ivart, 185 rue Gaulthier de Rumilly, 80000 Amiens. Abonnement 12 €.

« Bien sûr voici des originaux ! La plupart Fous Littéraires. Dédié frôle l’art brut par son écriture phonétique ( "il faut retirer toutes les vièlles fleurres/et graté les hétrons des moinots" ), Gaëtan Lecherf la comptine (des cantonniers), Olivier Domerg continue à travailler le texte et le paysage avec enthousiasme, sondant les pourquoi de l’écriture, Louis-François Delisse poursuit sa traduction de Gongora (1612) en vers arithmonymes, Christophe Manon publie par petites bouffées " Partisans". Lucien Suel republie " Sombre Ducasse" en vers justifiés et une liste de courses avec rythmique imposée. Paul Rameau nous donne "Gris" en séquences. La plupart, vous l’aurez compris s’impose une règle, c’est le point commun de l’ensemble, son cachet. Autant dire une revue très personnelle, menée de main de maître par Ch’Vavar. Sa grande originalité en même temps que son travail acharné de remise en ordre de l’ordre mondial des textes en déroute, lui vaut une attention particulière. Personne ne devra l’ignorer. Elle devrait rester dans l’histoire littéraire. »

Une présentation qui fleurait bon la main de son maître, (non, non, Ivar, tu [1] ne sens pas le géranium — c’est pas comme Robert)

C’est fini, maintenant Le Jardin Ouvrier [2], et vive L’Enfance ! [3] (même adresse, même porion). Un beau concours de circonstances : le signalement par Jacques Josse de la revue La Passe, et un numéro spécial de Plein Chant « Un horrible travailleur », [4] tandis que Nathalie Quintane insistait fortement, sur l’événement de la réédition [5] substantiellement augmentée de Cadavre grand m’a raconté - la poésie des fous et des crétins dans le Nord de la France [6] , tout ceci et notre lecture tant soit peu hallucinée, jouissive, jouisseuse, pour vous dire qu’il n’est guère possible de passer à côté d’un pareil monument (j’emploie ce mot à dessein, pensant à ce « Cadavre Grand » -qui comme disait François Bon, remue encore, celui de la littérature, et à ce « Tombeau de Tarkos » [7] , qu’Ivar (je note que dans sa dernière lettre à Christophe pour lui demander de participer au numéro de Plein Chant et de faire du Ch’Vavar qui serait signé Tarkos, en guise de date, Ivar indique en ce dimanche de la Résurrection, lui qui se dit hétéronymiquement poète dominical, cela donne à penser quand bien même s’exprime à ce moment-là (2001) l’affectueux souhait, désir que Christophe s’en sorte), bref, nous cèderons avec lui revue Plein Chant, à l’incision suave des inscriptions.

Et tout d’abord, celle-ci :

« Ce livre est un tout, constitue bien une oeuvre, une oeuvre complexe, foisonnante, pleine d’échos, et partout marquée de signes de reconnaissance, oeuvre labyrinthique, égarante au possible, mais une, et d’une grande force et invention.

Et cette oeuvre forme un univers. L’univers fantasmé du Nord, mais fantasmé jusqu’à sa plus grande réalité, jusqu’au moment où sa réalité profonde se dévoile et apparaît dans une évidence crue et bouleversante.
Ce livre monstrueux, totalement inclassable, ne ressemblant à rien de connu, c’est encore, même obliquement - un livre sur la poésie, ses trucs et ses prestiges. Sur la force de l’imaginaire, aussi, qui, pour Ivar Ch’Vavar est ce qui peut nous rapprocher le plus du réel... Et c’est ce qui frappe le plus en définitive, à la lecture de Cadavre grand, c’est, paradoxalement, l’extraordinaire impression de réalité, de véracité, que nous ressentons. »

Je contresigne sans barguigner ces lignes d’Ivar reconnaissables à leurs savantes virgules (relisez et vous verrez) surtout pour ce qui est de l’effet de réel, le plausible sans doute renforcé par la variété infinie des récits de vie des "auteurs" (les lister ferait assurément poème) en présentation de leurs textes, leurs noms ressemblassent-ils à quelques potacheries (Elie Minet ! et autres amenés "en douce") mais qu’un art savant dissimule [8] ; effets de réel liés aussi à la connaissance empathique d’une culture orale avec ses joutes verbales, ses "minteries" qui atteignent au fantastique, où l’éclat de rire déjoue le douloureux.

Cette grande Picardie mentale [9] est à déguster « brut de littérature », elle pose comme l’a fait Tarkos "en poète déséquilibriste" et quelques "irréguliers du langage" qu’affectionne Prigent, la question de la littérarité : une belle énergie n’est-elle pas parfois mésestimée par ceux dont on attend qu’ils encouragent l’innovation ? Il se dit que les aides attendues, [10] on a peine à le croire, pour aider à la diffusion de l’ouvrage, n’ont pas été attribuées pour cause d’OLNI sans doute, Objet Littéraire Non Identifiable, pourtant Dieu sait (et d’autres aussi, ses anges peut-être, M. l’Abbé Lepécuchel, ou nous qui nous comptons au nombre des poètes nuls, naïfs ou tordus, dont on sait que l’abbé les tenait pour saints sacrés, « oints et glaireux de tout le doux Amour du Père ») si cet ouvrage est entièrement poésie.

A l’heure, où une édition refondue de Tous les mots sont adultes [11] est en librairie, on pourra constater que le livre de l’Amiénois de Berck (et vice-versa) est à lui tout seul un atelier avec ses vers arithmonymes, ses poésies justifiées, ses patchworks de mots ( ah ! « Un séjour à Souchez » ! de Gabrielle Haudiquet : en plus, je peux vous le dire tout est vrai ! beau, émouvant, fabuleux, étymologiquement, voilà la fable des lieux, la geste des "petites gens" (les “braves gens” comme aurait dit l’autre venu discourir à Liévin, qui nous prenait pour des babaches), ou les “vraies gens” que nous miroitent et façonnent les étranges lucarnes).

Et Lucien Suel..., naguère animateur de la revue THE STARSCREWER (Le Fouteur d’étoiles ; en plus c’est instructif) : son Candélabre pour Benoît Labre, Le Mastaba d’Augustin Lesage [12]. A parcourir, dans l’ordre alphabétique de Rolande A., le mystérieux auteur de Cadavre Grand : 133 octosyllabes monorimes à Alex Wattebled (on prononce Ouatt’blé) qui voulut toujours être boucher et poète, et qui compose « À ma bouchère », avec en exergue Angèle de Foligno !

Ou en musardant au hasard des noms puisés dans la liste : la surprise sera toujours au rendez-vous ! l’émerveillement aussi devant tant d’inventivité, et aussi cette émotion appelée poésie (pas besoin de donner de nom j’espère !)

P.S. : "l’illustration" d’alors, de Konrad Schmitt, le jeune oncle d’Ivar, s’intitule hommage à Millet ; sa "notice" rappelle qu’il a brandi très haut le double étendard de la crétinerie et de la ruralité, et a appartenu comme Ivar au groupe surréaliste de Montreuil sur Mer (section de Beaurainville). C’est très important.

© Ronald Klapka _ 14 décembre 2012

[1in s’ tutoie, li i est d’Berck, mi su d’Liévin !

[2Mais quelques numéros restent disponibles, demander L’Autocatalogue n° 2, avril 2005.

Le lecteur de 2012, sait sans doute, qu’une anthologie 1995-2003, a été publiée dans la collection Poésie chez Flammarion, suivi par Le Marasme chaussé.

[3Et déjà, Claire Ceira nous dit tout le bien qu’on peut en penser.

Depuis, Claire Ceira a publié un recueil, très personnel, très pur, Aquilin, aux éditions Les Vanneaux, qui ont aussi publié Travail du Poème, d’Ivar Ch’Vavar, ainsi qu’Ichi leu.

[4Ivar Ch’Vavar, « Un horrible travailleur », revue Plein Chant, n° 78, 2004..

[5Lire de Nathalie Quintane, cette recension enthousiaste sur Sitaudis.

[7À lire, les circonstances de l’écriture d’un poème d’Ivar Ch’Vavar, à partir d’un des derniers textes de Christophe Tarkos, dont le numéro 0 de La Passe, une revue photocopiée, nous parvint grâce à Jacques Josse, passeur, s’il en est !

[8Cf. la lettre à P. sur le Tombeau de Tarkos et la "duplicité".

[9Et au-delà, voir la curieuse carte de la région donnée en début de l’ouvrage, cette Picardie là a absorbé le Nord et le Pas de Calais !

[10C’est ainsi que l’éditeur aurait laissé chez Ch’Vavar, des caisses de Cadavre Grand. Il sera loisible de se procurer le livre moyennant un chèque de 35 €, à adresser à Pierre Ivart, 185 rue Gaulthier de Rumilly 80000 Amiens. On espère que comme pour la première édition, vite épuisée, le bouche à oreille, le mel à mel fonctionnera efficacement !
Des échos, de Phil Fax (la revue moderne) ! ont précisé le discord ; ajoutons qu’Évelyne « Salope » Nourtier, un des hétéronymes de Ch’Vavar ! le fit suspecter de misogynie, contresens complet par méconnaissance d’une culture dont les finesses et les pudeurs demandent des yeux et des oreilles avertis pour lire par exemple « Le Poème de Berck » ainsi que Didier Morel (une parfaite recension).

[11Et c’est heureux, cela veut dire que cela avance, car il s’agit d’un livre exigeant (lire cet extrait), vecteur d’une véritable rencontre et d’un travail littéraires.

[12Sur ce mineur devenu peintre-medium, consulter, non pas une voyante, mais les pages que lui consacre un site d’art brut.