magdelaine à la campagne : Mascolo, Guattari, Nancy

23/01/2012 — Dyonis Mascolo, Maurice Blanchot, Félix Guattari, Liane Mozère, Jean-Luc Nancy, Ginette Michaud, et les contributeurs de Spirale Magazine


« Langage admirable, qui ne s’est jamais soucié de beauté d’écriture, parole de solitude, qui n’a jamais manqué d’être parole de communication ; parole anonyme qui désigne et rend possible une parole plurielle parole où le poète et le philosophe, tous les "genres" abolis, sont enfin une seule personne. Tout au long des écrits de Blanchot, s’ajoutant à la littéralité du texte, au discours impeccable de la raison, se tient, visiteuse superbe, modeste, comme confuse d’être là — peut être de trop ? ou craignant de faire peur — amicale, la vérité même. » [1]


Dionys Mascolo, « Sur le sens et l’usage du mot “gauche” » [2]

Signalant dans la Quinzaine littéraire, le numéro de Critique en hommage à Maurice Blanchot (1966), Dionys Mascolo ne manque pas de préciser :
« On se borne à signaler ce phénomène : une oeuvre que les lecteurs évitent, mais dont se nourrissent les auteurs des oeuvres que les lecteurs lisent. Telle que parler d’elle dans un journal semble paradoxal ».

Récemment, la lettre de la magdelaine [3], signalait celle de Dionys Mascolo à Philippe Lacoue-Labarthe, à l’occasion du projet de Cahier de L’Herne (en 1984), initié avec Jean-Luc Nancy. Relativement à la « conversion » de Maurice Blanchot : « S’il y eut conversion, je crois qu’elle fut, de l’écriture à la pensée. Après quoi l’écriture, une toute autre sorte d’écriture cependant, reprit ses droits et de plus belle, mais, cette fois, celle d’un Blanchot en possession de son langage propre. » écrit-il [4].

« La campagne pour l’élection présidentielle de 2012 est déjà le théâtre de nombreux conflits de propriété lexicale-politique, en particulier à gauche. Ce livre (1955) projette loin devant lui des définitions non seulement utiles, mais peu sujettes à contestation – le ton en est à tout instant sans concession. » Voilà comment les éditions Lignes présentent la réédition de l’ouvrage.

Et voici le style (d’écriture et de pensée) de Mascolo :

« Chacun peut avoir ses raisons de rester à l’écart de l’entreprise communiste. Mais en théorie, si l’on excepte les théologies, il n’y a pas de pensée non communiste [5] possible. Que les idéalistes de gauche cessent donc d’accuser les révolutionnaires de n’être pas de gauche : ils ne font ainsi que leur reprocher de n’être pas idéalistes. Qu’ils comprennent que les révolutionnaires peuvent bien préférer un idéalisme de gauche à un idéalisme de droite dans l’action politique, mais qu’en théorie, pour eux, l’un et l’autre se valent. Et qu’ils comprennent en outre qu’un peu moins de rigueur suffirait à faire disparaître en peu de temps tout semblant d’action révolutionnaire. Qu’ils sachent enfin pourquoi ils peuvent s’allier aux révolutionnaires et dans quelle mesure, au lieu de ne s’allier jamais à eux que par malentendu ».

Qui conclut avec : « C’est à réduire de tels malentendus que tendaient les réflexions qui précèdent. »

Quant au second texte qui lui est adjoint, il est de la même veine discursive, j’en relève :

« La fidélité à mai ne s’en impose pas moins, pour la simple raison que le travail de métamorphose alors amorcé se poursuit. Elle est donc moins fidélité que présence. "Rien n’est comme avant" et " tout est comme avant" sont deux illusions. On peut bien dire que, philosophiquement, mai n’a rien apporté de nouveau. Aucune idée, aucun concept politique inédit n’en sont sortis, notre outillage conceptuel n’a pas changé, nos" idées" sont les mêmes. Sartre a donc tort. Mais Pingaud, qui lui donne tort, infiniment plus. Car, historiquement, la nouveauté de mai est inépuisable. Ces « idées » (c’est-à-dire des rêves, des désirs, des besoins conceptualisés), l’événement est venu leur redonner une actualité, les remettre en vigueur comme jamais (leur redonner vigueur de besoins, de désirs...). »

L’article, paru dans la Quinzaine littéraire en décembre 1970, répondait, on l’aura compris, à un entretien de Jean-Paul Sartre, un article de Bernard Pingaud, sur le rôle de l’intellectuel.

Aussi, n’est-il guère difficile de saisir qu’en même temps, les éditions Lignes aient publié d’Olivier Jacquemond, Le juste nom de l’amitié, sous-titré Pour une amitié sans visage [6] et qui confirme le statut philosophique de celle-ci à l’« école » de Blanchot, et avec lui, après lui, Deleuze, Mascolo, Lyotard, Derrida, Foucault, etc.

Un bel essai, pour lequel on précise : « l’amitié blanchotienne n’est plus amitié pour l’ami, mais amitié pour l’amitié, pour son juste nom qui, au-delà de la figure familière et désormais inquiétante de l’ami, se projette vers l’inconnu. En proposant une amitié affranchie du cadre du visage, du piège de la personnification, Blanchot crée les conditions concrètes pour que la pensée puisse se déployer à nouveau au-delà de sa propre finitude. »

Félix Guattari, De Leros à La Borde ; Écrits pour l’anti-Œdipe ; Lignes de fuite, Pour un autre monde de possibles

Les deux premiers ouvrages viennent de paraître aux éditions Lignes, le troisième il y quelque temps à celles de l’Aube. Leur parution quasi simultanée est des plus opportunes, pour rappeler quelle fut la figure du psychanalyste et penseur atypiques que fut Félix Guattari, sa fibre militante, son intense curiosité intellectuelle, sa générosité et sa manière de la dispenser en de multiples dispositifs de pensée, dont quelques formulations paraîtront à certains aujourd’hui signer l’époque où elles s’exprimèrent cependant que le recul et la situation présente pourront pour d’autres les revivifier, leur faire retrouver une vigueur nouvelle.

Une des chances offertes par la toile est de pouvoir documenter de manière significative, contextualiser l’oeuvre aujourd’hui revisitée, d’en percevoir le toujours devenir. C’est parce que fut hasardée une notice Wikipedia — Hélène Pétry, [7]) en lance une en 2010 sur le CERFI, plutôt fautive, imprécise, qui ne tardera pas à s’attirer les foudres des anciens, [8] que se trouvèrent réunis naguère [9] les membres du Centre d’études, de recherches et de formation institutionnelles. On apprendra ainsi que le ministère de l’équipement commanditait Recherches, la revue d’une sorte de laboratoire en sciences sociales version SCOP initié par Félix Guattari, que Michel Rostain récent Goncourt du premier roman [10] en faisait partie, tout comme Liane Mozère qui pour pour avoir appartenu à ce groupe fut tardive maître de conférences à l’université de Metz, où par la suite professeur émérite elle provoqua en 2006 le colloque : « Gilles Deleuze et Félix Guattari : Territoires et devenirs » [11]. De l’histoire du CERFI, l’économiste et universitaire François Fourquet a donné une synthèse qu’il précise personnelle et qu’héberge le site de la revue Multitudes [12].

Disons-le, pour le lecteur contemporain des expérimentations de la pensée qui se traduisirent en livres de grand retentissement, la rencontre entre Félix Guattari et Gilles Deleuze, donnant lieu à des ouvrages désormais classiques, faut-il rappeler L’Anti-Œdipe, le subjuguant Mille Plateaux, Kafka, Rhizome et Qu’est-ce que la philosophie ? [13] ces retrouvailles sont aussi passionnantes que les livres qui paraissent aujourd’hui et font mieux que d’en compléter la lecture.

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De Leros à La Borde [14], rappelle si besoin était la rencontre princeps avec Jean Oury, l’histoire d’un lieu dont Marie Depussé, préfacière indique que Félix Guattari ne l’aura jamais quitté [15]. Quant à Leros, où Guattari se rend en 1989, c’est la relation, journalistique (Libération) de la visite de deux hôpitaux psychiatriques en Grèce après que furent révélées, les innommables conditions faites aux personnes qui y étaient internées. C’est avec un regard professionnel que Guattari procède, sans s’en laisser conter, mais non sans discerner les changements initiés au niveau de de quelques unes des unités en place, tout comme Franco Rotelli à l’initiative de l’intervention internationale, pas de position jusqu’auboutiste.

La seconde partie, pour laquelle une mention manuscrite apparaissait sur le tapuscrit en première page, se voulait d’une portée plus générale, avec cette orientation : « Pratiques analytiques et pratiques sociales. » Un écrit de présentation, rédigé au présent, à propos duquel Marie Depussé a ce paragraphe éclairant :

« Le rapport au monde de la psychose, dévoilé par La Borde, est dans ce texte l’élément qui impose sa loi. On reste toujours pris dans ce présent étonnant : « Je travaille depuis 1955 à la clinique de la Borde ». Félix partira de là, en tirera les conséquences, y reviendra, même quand il évoquera sa conception de la psychanalyse, qu’il nomme « schizo-analyse », terme irritant, si l’on entend « schizo » comme une abréviation désinvolte, provocante, assez vulgaire, d’une forme de folie dont il a tout de suite reconnu la grandeur.
Lire ce texte dans sa trajectoire donne au terme de schizo un autre sens possible, celui de projeter sur la psychanalyse l’ombre de la psychiatrie. »

En effet, se précise le projet, à lire : « Organiser une coopérative comme cela se fait à Trieste ou un club des pensionnaires comme cela se fait à La Borde, c’est aussi faire œuvre de psychothérapie. Symétriquement, une prise en charge psychothérapique ne devrait jamais se couper des problématiques micro et macro sociales inhérentes à son contexte. Il convient de déjouer le piège qui consiste à réduire la portée du travail social à une simple animation, une ergothérapie ou un boy-scoutisme de bonne volonté. L’analyse des formations de subjectivités conscientes et inconscientes n’est pas l’apanage de quelques spécialistes ; elle est l’affaire de tous. »

Avec cette conclusion, belle :

« Dans ces conditions, la formation ne peut être uniquement théorique ou simplement relever du récit. Elle requiert une sorte d’initiation à l’expérience singulière, au vertige de l’irréversibilité. »

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Des Écrits pour L’Anti-Œdipe [16] déjà publiés, agencés en 2004, je souligne, comme l’indique Stéphane Nadaud [17], que le livre est réédité tel quel, la présentation (Les amours d’une guêpe et d’une orchidée) qu’il en donne exceptée qu’il conclut ainsi :

« Gilles Deleuze et Félix Guattari ont peut-être tout simplement écrit ensemble L’Anti-Œdipe parce que, seul et chacun de son côté, ils n’auraient pas pu le faire. Guattari-Deleuze concluaient ainsi Rhizome-Introduction : " Soyez la panthère rose, et que vos amours encore soient comme la guêpe et l’orchidée, le chat et le babouin ". »

Comment le chantier de « l’Anti-OEdipe » a été préparé par le psychanalyste, Robert Maggiori en pointait alors l’apport décisif [18], et c’est sans doute un des voeux de Stéphane Nadaud, dans sa précise préface, de le mettre en évidence.

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Lignes de fuite, Pour un autre monde de possibles, aux éditions de l’Aube [19], est, quant à lui, un inédit. C’est un rapport de recherches du CERFI (voir supra), rédigé par Félix Guattari, en parallèle avec l’écriture de Mille plateaux, ainsi que le précise Liane Mozère qui en est la préfacière.

À lire, l’avertissement, « cette étude présente trois séries de questions concernant » :

1. les modes de sémiotisation mis en jeu par les formations de pouvoir et en particulier par les Équipements collectifs ;
2. la critique de certaines conceptions sémiotiques actuelles en tant qu’elles freinent, selon nous, l’essor de la recherche dans ce domaine ; et en annexe,
3. l’exploration d’une composante sémiotique « infra-individuelle » dite de traits de visagéité, à titre d’exemple des paramètres « moléculaires » qu’une analyse institutionnelle devrait prendre en compte pour aborder le fonctionnement de l’inconscient dans le champ social.

le lecteur pourrait, qui sait, avoir quelques appréhensions quant à la lisibilité. Mais en dehors de quelques appellations sui generis, qui deviennent vite familières, la méthode d’écriture s’avère elle-même rhizomatique : greffes, repiquages et autres marcottages, disent la démarche et son sens, avec souvent un grand souci pédagogique, avec un certain nombre de tableaux explicatifs [20]. La première partie traite d’une manière large du rhizome des agencements collectifs, l’analyse y est plus particulèrement politique (cf. Micro-fascime, Autogestion et politique du désir  ; la seconde, plus brève, aborde essentiellement « l’analyse pragmatique de l’inconscient social » ; la dernière plus brève encore, décrit un exemple de composante pragmatique : « les traits de visagéité », avec pour ainsi dire, ce morceau de bravoure final : La petite phrase de la sonate de Vinteuil.

C’est de cette dernière étude, que je voudrais donner le goût ; Guattari écrit par exemple :

« Swann n’a pas « construit » son amour pour Odette de Crécy à partir d’entités intra-psychiques relevant de la psychologie générale ou de la psychanalyse. C’est toute son existence, dans ses aspects les plus spirituels mais aussi les plus sociaux et même les plus matériels, qu’il y a « misée », dans une de ces sortes d’escalades que les joueurs de casino appellent une « montante » et qui lui fera s’écrier, au comble du désarroi : « Je sens que je deviens névropathe... » (l, 317.)
Deux composantes non linguistiques (et a-signifiantes à des titres divers) tiendront un rôle de premier plan dans cet agencement passionnel : une courte séquence de musique contemporaine - « la petite phrase de Vinteuil » - et un portrait de femme reproduit à partir d’une fresque de Botticelli. La première, en raison d’une matière d’expression déterritorialisante, fera fonction de composante de passage ouvrant de nouvelles connexions, transformant les coordonnées du monde quotidien de Swann ; la seconde, à l’inverse, tendra à rabattre, à reterritorialiser l’agencement passionnel sur des icônes et des territoires affectifs se refermant sur eux-mêmes. Amour d’esthète, objectera-t-on ? Mécanisme de sublimation ? Nous essaierons de montrer, au contraire, que cet amour de Swann avant de s’« humaniser » en se réagençant sur le visage d’une femme, relevait, bel et bien, au départ, d’une sexualité non humaine. » (p. 303)

Ce sera donc invitation à vérifier, pp. 301-325, si "ce qui intéresse fondamentalement Proust, ce n’est pas le résultat, mais le machinisme créateur qui est mis en jeu à cette occasion."

Jean-Luc Nancy, « Lignes de sens — philosophie, art, politique », dossier de la revue Spirale (Montréal)

A lire le sommaire du dossier central [21] de cette dernière livraison du magazine Spirale (n° 239, hiver 2012 [22]), le lecteur de cette lettre devrait se trouver en pays familier. L’immense avantage du travail de Ginette Michaud, aura été de nouer les traits pertinents des récents ouvrages de Jean-Luc Nancy, ou des ouvrages qui les concernent, et avec un brin de recul d’en dégager fermement « les lignes de sens », et il me semble bien que toutes se rapportent en définitive à ce que l’on nommera à la suite de Nancy, politique, sans article, défini ou indéfini, ainsi que le marque l’entretien initial : « Politique tout court et très au-delà » qui renvoie à Politique et au-delà, et peut-être à son Post-scriptum :

« [Un] concours de circonstances me met [...] sous les yeux une phrase prononcée par Derrida il y a environ vingt ans : « Le "politique" lui-même est un philosophème et finalement très obscur. » Elle figure dans un entretien avec Michael Sprinker [23]. L’obscurité ainsi désignée éclaire, si j’ose dire, les réticences de Derrida à manier la déclaration politique et plus encore à fonder une pensée politique qui eût été « sienne ». Pour autant, il a laissé en filigrane la tâche de dissiper cette obscurité. Il l’a laissée sans doute parce qu’il expérimentait quelle domination sourcilleuse (pour ne pas dire policière !) pouvait exercer l’impératif latent d’« être politique » à tout prix, impératif appuyé sur la conviction que « tout est politique » ou que tout doit l’être. Non : tout doit être tout, c’est-à-dire multiple. »

Ce la est donné, avec ses harmoniques, tout au long de cet entretien entre Ginette Michaud et le philosophe.

Ce que corrobore l’approche de Danielle Cohen-Levinas, ainsi souligne-t-elle : Tout d’abord, il convient de préciser que Nancy ne conçoit pas la question du contrat comme le tout de l’humanité, « l’être-en-commun » en assomption ou partageant une substance commune. La référence à Rousseau est entendue dans sa pleine singularité politique, dans la violence faite au sens justement accordé à la question de l’antériorité. Qui précède qui, ou qui précède quoi ? Ou encore, selon la formule de Nancy : « comment le commun précède le particulier et comment le particulier précède le commun » ? Si Rousseau n’est pas fréquemment cité par Nancy, Danielle Cohen-Levinas n’en débusque pas moins : « Comme Rousseau, Jean-Luc Nancy (s’il m’autorise ce parallèle) n’est pas loin de sentir le retrait de ce qu’il appelle un « se sentir exister » : « C’est pourquoi Rousseau herborise, fait de la musique, écrit les Rêveries et demande une “religion civile”, à la fin du contrat, pour rendre “sensible au cœur du citoyen” tout le dispositif issu du contrat. » Magnifique perception d’un « sentir » qui n’est pas tout à fait, pas encore, une « levée », mais qui est déjà en soi le dépassement des formes du monde devenues incompatibles. Je me surprends à imaginer un Jean-Luc Nancy « herborisant », faisant ou écoutant de la musique, rédigeant des rêveries ou autres divagations narratives. On touche ici, au plus près, à ce qui n’est ni « interior intimo meo » (Augustin) ni « humanisme substitué à la théologie ». On touche ici à la vie. »

Dans son autre contribution qui concerne Maurice Blanchot, passion politique, dont elle décrit parfaitement tant le contenu que les circonstances qui président à cette édition aujourd’hui, Danielle Cohen-Levinas, ajoute ceci au questionnement qui demeure ouvert :

« Je me risque à avancer que la « conversion » blanchotienne qui participe, comme le montre très bien Nancy, d’un mouvement interne au christianisme ne relevant plus de la logique binaire athéisme/théisme, fut aussi liée à une prise de conscience définitive de ce que représente
l’histoire du peuple juif au moment où ce dernier fut confronté à l’horreur de l’extermination, dont une certaine communauté, inavouable, fut le témoin. De sorte que perdure une interrogation restée muette : qu’est-ce qui se dérobe encore aujourd’hui sous le nom de communauté ? »

Y manqueraient-ils, le souffle, l’énergie dont la métaphore affleure à tous les carrefours, écrit Georges Leroux, convoquant à propos de l’essai de Nancy commémorant mai 68, dans un même souffle Rousseau, Pascal, Nietzsche et Marx (principes d’égalité, recours à l’infini, dépassement des valeurs, énergie révolutionnaire) ? Pierre-Philippe Jeandin, voit dans l’Adoration, la recherche de l’enthousiasme véritable, sous les décombres du religieux, une tension qui ne se confondrait pas avec une intention.

Du "Désir du dessin" (Ginette Michaud) (à propos de Le plaisir au dessin et de Lignes de chance, je retiendrai très modestement Dessin : ce qui pense entre les lignes pour mener à Pensée du plus vif, pour ce qu’ils ravivent en effet, la lecture du texte paru intialement dans le catalogue de l’exposition aux Beaux-Arts de Lyon, dont Nancy fut le commissaire. De là prolonger avec Isabelle Decarie avec une recension du Journal of visual culture, consacré à Nancy, et qu’elle intitule Un regard sur l’art, où Ginette Michaud publie un article sur une phrase de jean-Luc Nancy : « L’art est toujours l’art de faire un monde ».

Quand ceux-ci sont plus d’un (ou moins d’un), c’est Jean-Manuel Garrido qui s’interroge sur le livre co-écrit avec Aurélien Barrau, et c’est trouver une problématique, celle de la « nature » dont l’examen mériterait comparaison avec l’essai, Les brisures du réel [24] et le poème qui l’accompagne : Mythe le rythme, d’Éric Clemens [25]. Ce qui revient à lire les Chances de la pensée, pour de nouveaux déploiements (Georges Leroux), y percevoir les figures réticulées de notre être-ensemble (Marie-Ève Morin commentant Philip Armstrong). Corollairement, on apercevra ainsi La Ville au loin (neuf textes écrits entre 1987 et 2010, dans lesquelles les mutations de l’espace à Los Angeles préfigurent les changements en cours.

On saura gré à la maîtresse d’oeuvre du dossier, d’avoir donné place à la recension d’une nouvelle "Petite conférence" (par Jérôme Lèbre), cette fois, après Dieu, l’amour, la justice, le désir, la beauté, il s’agit de partir, du désir d’un retour en enfance, et de l’envie et de la peur de partir, et de ce sentiment "qu’une part de moi-même reste quelque part".

Allons-y, allez-y. Les ligne de sens passent très certainement par là.

© Ronald Klapka _ 23 janvier 2012

[1Dyonis Mascolo, Hommage à Maurice Blanchot, Critique n° 229 (Juin 1966) Quinzaine Littéraire n° 12 parue le 15-09-1966.
Ne nous privons pas d’ajouter :

C’est qu’il s’agit d’une oeuvre dont aucun "monde" officiel, culturel, littéraire ne pourra jamais s’emparer, à laquelle il ne sera pas fait d’avances, qui contient en elle tout ce qu’il faut pour tenir en respect les "grands réducteurs de la culture". [...] « Oeuvre qui n’apprend rien, qu’il n’est possible d’approcher vraiment que si l’on cherche au contraire à retrouver, dans les oeuvres abusivement annexées à la "culture" (étudier Baudelaire, lire Rimbaud, pour devenir saint-cyrien ou ministre !), la passion première, criante, de la pensée. » (je souligne)

[2« Sur le sens et l’usage du mot “gauche” », de Dionys Mascolo est paru dans Les Temps modernes, en 1955, est suivi de : « Contre les idéologies de la mauvaise conscience », paru une première fois dans La Quinzaine Littéraire n° 107 (1-15 décembre 1970).

[3Lettre du 17/03/2011, Jean-Luc Nancy ; Maurice Blanchot Passion politique.

[4in Jean-Luc Nancy, Maurice Blanchot, Passion politique, Galilée, 2011, p. 67 ; la lettre manuscrite de Dionys Mascolo y est également donnée en fac-simile.

[5Faut-il rappeler que Dionys Mascolo (1916-1997) fut démissionnaire du parti communiste en 1949, et rédacteur avec Maurice Blanchot et Jean Schuster du « Manifeste des 121 » ?
Proche de ce dernier, il est l’auteur de À la recherche d’un communisme de pensée, aux éditions Fourbis.

[6Olivier Jacquemond, Le juste nom de l’amitié, sous-titré Pour une amitié sans visage, éditions Lignes, 2011.

[7La fille de Florence Pétry (éditions Recherches, où l’on trouvera par exemple La révolution moléculaire, ou encore La force du dehors.

[8Elle est aujourd’hui dûment amendée :CERFI

[9L’initiative d’Hélène Pétry, à la source de l’émission de France-Culture Les barricades mystérieuses

[10Réédition en version poche (Pocket) de Michel Rostain, Le Fils ; un article rédigé en 1977 avec Numa Murard, disponible en ligne, indique ce qui fut le commencement de la fin pour le CERFI.

[11La revue Le Portique, a publié en ligne les contributions « Gilles Deleuze et Félix Guattari : Territoires et devenirs » ; Liane Mozère en signe la présentation, et livre un article très fort d’engagement personnel « Devenir-enfant » (lui fera écho : « On n’apprend pas à un enfant à marcher » ; une autre publication (2004) de la revue Le Portique, pointe la rencontre entre Michel Foucault et le CERFI ; enfin Liane Mozère a été l’invitée de François Noudelmann pour la préface de Lignes de fuite, aux éditions de l’Aube.

[12François Fourquet, Histoire du CERFI sur le site de Multitudes et le numéro 34 de cette revue « l’effet Guattari » est disponible grâce au site Cairn.

[13Tous livres aux éditions de Minuit, dont voici la notice.

[14Félix Guattari, De Leros à La Borde, préface de Marie Depussé, post-scriptum de Jean Oury.

[15« Félix termine son livre par un retour à la psychiatrie, qu’il n’a jamais vraiment quittée, et à La Borde, où il s’est arrêté. Comme ils se le disent, dans un dialogue avec Oury : « Nous on reste ; il faut qu’on reste. C’est nous, les chroniques. Eux, les fous, ils passent, il faut qu’ils passent. » Malgré ses multiples voyages, Félix n’a jamais quitté La Borde. » écrit-elle, pp. 22-23. « Pour un minimum de "tonus" » (p. 22), de Marie Depussé, le livre écrit avec Jean Oury A quelle heure passe le train aux éditions Calmann-Lévy, où la figure de Félix Guattari est bien présente, et concernant La Borde Dieu gît dans les détails aux éditions POL.

Cette préface redit toute l’amitié (cf. supra) de Marie Depussé, le côté acéré de l’analyse, et l’humour, qui évoque par exemple les veste incroyables de Jacques Lacan, confectionnée par le tailleur des gangsters !

[16Écrits pour l’anti-Œdipe, préface de Stéphane Nadaud.

[17Stéphane Nadaud, pédopsychiatre et philosophe, est rédacteur-en-chef de la revue Chimères.

[18« Guattari, homme d’affluences , » Libération, 20 janvier 2005.
À lire également, « Secret de fabrication : Nous deux », Libération du 12 septembre 1991.

[20Ainsi la cartographie en rhizome des agencements collectifs des pages 109 à 118, qui est un véritable modèle méthodologique, fait jouer les niveaux, macro et micro, les agencements d’énonciation, et les équipements de pouvoir.

[21Spirale Magazine, n° 239, sommaire du dossier Jean-Luc Nancy, « Lignes de sens — philosophie, art, politique » — dont hormis celui de la présentation, les liens sont ceux de l’éditeur (Galilée)et/ou (de la magdelaine) :

1.« Présentation », par Ginette Michaud.
2.« Politique tout court et très au-delà. Entretien avec Jean-Luc Nancy », par Ginette Michaud.
3. « Ni un "tout" ni un "destin" », par Danielle Cohen-Levinas (sur Politique et au-delà. Entretien avec Philip Armstrong et Jason E. Smith, de Jean-Luc Nancy, Galilée, 2011).
4. « Pascal avec Rousseau », par Georges Leroux (sur Vérité de la démocratie, de Jean-Luc Nancy, Galilée, 2008).
5. « Figures réticulées de notre être-ensemble », par Marie-Eve Morin (sur Reticulations : Jean-Luc Nancy and the Networks of the Political, de Philip Armstrong, Minnesota University Press, 2009).
6. « Destin et chance du politique », par Danielle Cohen-Levinas (sur Maurice Blanchot. Passion politique, de Jean-Luc Nancy) — voir lettre du 17/03/11.
7. « Le monde éclaté », par Juan-Manuel Garrido (sur Dans quels mondes vivons-nous ?, d’Aurélien Barrau et Jean-Luc Nancy, Galilée, 2011).
8. « Disparitions de la ville », par Isabelle Décarie (sur La Ville au loin, de Jean-Luc Nancy, La Phocide, 2011).
9. « La chance de revivre », par Georges Leroux (sur Chances de la pensée. A partir de Jean-Luc Nancy, de Juan-Manuel Garrido, Galilée, 2011) — voir lettre du 17/03/11.
10. « L’adoration : à même le monde », par Pierre-Philippe Jandin (sur L’Adoration (Déconstruction du christianisme, 2), de Jean-Luc Nancy, Galilée, 2010) — voir lettre du 15/03/10.
11. « On arrive quand ? Le départ expliqué aux enfants », par Jérôme Lèbre (sur Partir - Le départ, de Jean-Luc Nancy, Bayard, 2011).
12. « Désir du dessin », par Ginette Michaud (sur Le Plaisir au dessin, de Jean-Luc Nancy, Galilée, 2009 et Lignes de chance, 2010) — voir lettre du 09/12/2007.
13. « Un regard sur l’art », par Isabelle Décarie (sur Journal of Visual Culture, « Regarding Jean-Luc Nancy », 2010).

[22Distribution en France : Librairie du Québec.

[23Publié en anglais en 1993, il paraît aujourd’hui en français, par les soins de Pierre Alferi (Politique et amitié, Paris, Galilée, 2011), voir la lettre du 17/03/11.

[24Éric Clemens, Les brisures du réel, aux éditions Ousia. À lire cette conférence, sur le site d’Etopia.

[25Éric Clemens, Mythe le rythme, éditions Au coin de la rue de l’enfer, 2011.