Interroger la formation du lien de l’homme au monde,
avec Alain Boureau, médiéviste, Élisabeth Wetterwald, critique d’art

21/02/11 — Alain Boureau, Penser/rêver, Élisabeth Wetterwald, Vincent Pécoil, Lili Reynaud Dewar, Mario Garcia Torres


On ne se formalisera pas du rapprochement des travaux d’Alain Boureau de ceux d’Élisabeth Wetterwald.
L’un se passionne pour le XIII° siècle et la scolastique, tout en fréquentant assidûment la psychanalyse, l’autre nous donne à discerner ce qui vaut, fait sens, dans l’art contemporain.
Deux écritures vives, une rigueur sans défaut, qui questionnent la formation du lien de l’homme au monde, chacune dans son aire de spécialité.

Verdier publie donc En somme, un ouvrage bref, dense, en forme de manifeste, non seulement pour la scolastique en tant qu’objet d’historien, mais aussi comme style de pensée pour aujourd’hui (v. note 2 ; quelques articles d’Alain Boureau dans Penser/rêver ne pourront manquer de prolonger la réflexion).
Les Presses du Réel, ont publié naguère Rue sauvage, et s’apprêtent à le faire pour un récit Il neige. On trouvera la signature d’Élisabeth Wetterwald dans maint catalogue, dont A moitié carré à moitié fou (les "héritiers" du minimalisme à la Villa Arson).
Subjugué par What happens in Halifax de Mario Garcia Torres (v. note 17), je l’ai été aussi par l’étude d’Élisabeth Wetterwald, pour la revue annuelle 20/27 (n°2/2002).


Bref, il suffit d’entrer dans cette auberge scolastique pour en devenir l’hôte.
Alain Boureau [1]

Because you’re mine, I walk the line
Johnny Cash

Alain Boureau, En somme ; Pour un usage analytique de la scolastique médiévale

« Souvent les fortes pensées restent latentes et se manifestent là où on les attendait pas. » Suit : « Pour un travail en cours sur la scolastique ... »

Ainsi débute un article d’Alain Boureau, médiéviste, directeur d’études à l’EHESS, fondateur du Groupe d’anthropologie scolastique, dont le travail sur La Légende dorée fit date, et qui se poursuit par la publication aux Belles-Lettres de recherches sur La Raison scolastique [2]. Il s’agit de l’incipit de « Vouloir l’amour et l’abandon du Père » pour le recueil de mélanges en l’honneur de Jacques Le Brun, publié par la revue Le Genre humain (n° 48, 2009 [3]) sous le titre « L’impensable qui fait penser ».

Alors, en effet qu’il tâchait à trouver une traduction adéquate pour caritas, et que lecteur des Sentences de Pierre Lombard [4], il envisageait l’emploi de l’expression pur amour, parut justement le maître-livre de Jacques Le Brun Le Pur Amour de Platon à Lacan.

Et d’écrire : « [...] les trois traits essentiels du pur amour, le désintérêt, la passivité et la désappropriation, notions dégagées et mises en interaction par Jacques Le Brun, trouvaient une illustration précise dans les débats scolastiques sur l’amour de Dieu ; bien plus, ces débats s’en éclairaient. Le seul exemple des exigences religieuses du franciscain Pierre de Jean Olivi (vers 1250-1297) le montre bien, avec son rejet savant et argumenté de la plupart des grandes questions théologiques de son temps, avec sa conception forte du vœu comme renonciation à la volonté propre et avec le refus absolu de toute possession, si fortement marqué dans le débat sur la Très Haute Pauvreté, dont il a été le centre. » (21-22)
Voilà donc pour le concept, la période historique, ajoutons l’épistémè, sa vie intellectuelle, et apparaît un des « héros » de l’auteur, qui nous précise à son propos : « Nous n’allons pas suivre toute une argumentation complexe et minutieuse (dix neufs points d’opposition, réfutés un par un, trois arguments inverses, une réponse ... » (26)

Ce n’est pas toutefois à un travail de théologien que nous convie Pierre Boureau, mais d’historien et d’anthropologue, qui plus est dans la dynamique de « l’Alter-Histoire » [5], celle qui pourrait avoir pour affiche « Exalter l’imagination libre de l’historien ». Mais ce n’est pas tout ! Qui a le bonheur de fréquenter la revue Penser/rêver, et pour d’autres de la première heure le Fait de l’analyse (1996-2001) qui la précéda [6], celui-là a découvert qu’une recherche originale était en résonance avec les préoccupations d’un groupe d’analystes et d’autres, venant de diverses disciplines des sciences humaines, et de la création littéraire, se reconnaissant dans leurs interrogations [7]. Avec quelques découvertes fascinantes : Trouver le logiciel de la puissance avec Hugues de Saint Victor [8], L’analgésique de Pierre Le Borgne [9], Huit siècles dans l’arbre de l’avidité que recoupe partiellement le chapitre 4 de En somme, qui se clôt par un rêve de Winnicott et l’appel aux solutions de Pierre de Jean Olivi [10], cette conclusion : « Aragon s’est trompé : c’est l’individu qui est l’avenir de l’être humain, dans le dur désir de durer, avec la mortelle incertitude qui s’ensuit et qui fait histoire et des histoires. Que veut une femme ? Ce que veut aussi un homme : être et ne pas être dans le désir. Tâche difficile ... » (après être passé par Thomas, Olivi, et la dévotion à Guillelma organisée par Maifreda de Pirovano (vers 1300) [11]. On découvrira un Paul en piètre arboriculteur (olivier franc et olivier sauvage) dénoncé, cela va de soi, par Olivi [12]. A été gardée pour le fin de l’énumération : Un nom affirmatif [13], qui pourrait être celui de Thomas, adolescent inadapté, ne supportant pas la règle du silence, et la part qu’il prit à la révolution scolastique, dont la culture fondée sur la dispute et le débat privilégia l’oralité, mais une oralité qui absorbait et dominait l’écrit. « Elle passait à l’acte de parole » avec cette (forte) conclusion :

« L’adaptation a été recherchée avec obstination dans la parole authentique, lieu de formation personnelle et d’autoréglage permanent, de travail de soi, dans une interaction de la généralité et de la subjectivité. La seule adaptation véritable vise le soi, toujours en fuite. On s’arrange du reste. »

Il faut ici ajouter deux choses :

— L’article fait partie d’une livraison de la revue, intitulée : « L’inadaptation des enfants et de quelques autres » ; le contexte est souligné en quatrième de couverture : une place significative est accordée à la destruction en cours de l’Éducation nationale.

— Son auteur ajoute en guise de conclusion une précision personnelle, un accident l’ayant conduit à un réapprentissage des gestes élémentaires.

Ainsi lira-t-on en post-scriptum du premier chapitre de En somme, un rapide témoignage qui, nous dit l’auteur, ne relève ni de la fiction, ni de la distance critique. « Pendant cinquante-huit ans, j’ai été un être rationnel ; en tombant dans un escalier il y a quelques années, j’ai attrapé un doute sur la réalité : ce que je vis tient à des sensations, non à des opinions ni à des postures culturelles. Je ne peux les mettre entre parenthèses. » De quoi effectivement revisiter conformisme et désorientation, du commentaire (des Sentences) de Bonaventure à Michaux, en passant par Siger de Brabant et ses questions impossibles, Zénon ou Descartes relu par Ian Hacking... la tonalité de l’ensemble étant ainsi donnée :

« La scolastique constitue un art et une technique de la digression. La solidité du cadre général du travail spéculatif, l’abondance de l’espace réflexif, le renvoi possible à des prédécesseurs permettent une divagation systématique, un loisir de l’exploration. Et ces embardées offrent un lieu parfait de projection actuelle : comme on ne discerne pas la nécessité interne ou circonstancielle de tel ou tel discours, on peut tenter d’y loger le sien, d’en observer la dynamique. Rien ne garantit la réalité de l’analogie, mais rien ne l’interdit. Cependant la projection peut rapprocher davantage des sujets distants de huit siècles. »

Dans un article donné au Monde des livres (06/03/09), Nicolas Offenstadt lui-même historien, concluait en ces termes : A l’évidence, tous ces débats (il venait d’évoquer La religion de l’Etat [14]) sont aussi riches qu’ardus. Mais, que l’on se rassure : Boureau prépare un volume qui sera une forme de « Scolastique pour les nuls ».

Autant dire qu’avec En somme, il n’en est rien, quoi que pourrait en dire le petit nombre de pages (96), on a surtout à lire un manifeste passionné, argumenté, s’attachant à quelques points bien précis, en les reliant selon la méthode décrite plus haut, et qui constituent une vivante interpellation à se défaire de préjugés, avec parfois des hardiesses qui surprendront : au chapitre 4, La scolastique et nous, au paragraphe une pensée de la croissance humaine : « Désormais la croissance fut rêvée comme matière d’une gestion politique, durant huit siècles, du XIII° siècle jusqu’en octobre 2008. » (et d’y relier : concupiscence, populations et missions...)

Les Histoires de Thomas au chapitre 3 (Formes démonstratives et inconscient) retiendront l’attention, en particulier Thomas et les femmes, là où celui-ci se montre exceptionnellement virulent contre Pierre Lombard (45-54). On comprend alors pourquoi Alain Boureau donnait p. 10 cette définition : « Par scolastique, je désigne les archives anciennes (1150-1350) d’une activité commune et singulière d’explication du monde à partir des structures familiales. » En effet, nous sommes amenés à découvrir, que « Thomas d’Aquin est à la fois un théoricien et un sujet, et que, croit Alain Boureau, le scénario de la vie fantasmée a trouvé un écho dans l’élaboration de son anthropologie, de sa mise en situation du for intérieur ». Laissons au lecteur le plaisir de l’enquête, comment un oblat bénédictin fait profession chez les dominicains, avec en arrière-fond trois personnages : Landolfo, le père, Theodora la mère, et une Jeanne, supposément mariée (en premier et répudiée) vouée et décédée, avec, au surplus des histoires de voile relevant d’une casuistique très élaborée [15].

En quatrième de couverture, Alain Boureau, avait prévenu : « Depuis vingt cinq ans, je charge obstinément de scolastique tous les thèmes psychanalytiques possibles ».

Le cinquième et dernier chapitre, L’institution scolastique, commence par une vigoureuse affirmation, qui n’a pas trait uniquement à la période considérée, mais concerne bel et bien la nôtre, en particulier pour ce qui est d’une communauté de savoir : « la scolastique, pour moi, est l’occurence rare d’une science de l’homme. Ce qu’on nomme actuellement les sciences humaines ne s’intéresse qu’aux manifestations de l’homme, qu’à son être dans le monde. L’homme est déjà là. La scolastique et la psychanalyse s’interrogent sur la formation même de ce lien au monde (je souligne). »

Les interrogations et les recherches d’Alain Boureau sont des plus stimulantes, elles concernent autant son objet d’étude que la formation d’un esprit ouvert sur le monde qui nous environne et qui n’est pas moins que son homologue lointain l’objet de quaestiones disputatae, la scolastique, nous dit-il, offre un champ de pertinence, et non d’identité. Donc le champ est libre : prata rident.

Élisabeth Wetterwald, critique d’art, écrivain, pédagogue

Aura confirmé la vive impression ressentie à la lecture de son article dans la revue 20/27 [16] relatif à l’oeuvre de Mario Garcia Torres : What happens in Halifax [17], celle de Rue sauvage [18], recueil de textes analysant une dizaine de travaux d’artistes, du parti pris d’Élisabeth Wetterwald [19] : « tenter d’élaborer une pensée sur l’art contemporain qui privilégie l’éclat plutôt que l’effet masse, la liberté plutôt que les regroupements autoritaires ou consensuels, et l’accompagnement plutôt que l’instrumentalisation ».

Si, En somme — la minuscule vaut à elle seule programme, et manière de procéder (j’insiste sur l’infinitif !) — peut être lu comme un manifeste en faveur d’une attention renouvelée à la scolastique (et bien davantage, il y va d’une définition de la recherche, comme renouvellement de perspectives, labeur patient et persévérant, levée de censures toujours à l’oeuvre), le livre publié en 2003 par Élisabeth Wetterwald précise avec fermeté et sans une once de pose, le cahier des charges qu’elle s’assigne en matière de critique d’art contemporain, je souligne ce que j’ai lu (et aussi vu [20]) :

« En commençant ce livre [En 2002], je n’avais aucune intention de démontrer quoi que ce soit : je n’avais que des questions, des doutes et des inquiétudes — qui d’ailleurs persistent aujourd’hui, même si c’est sous des formes différentes — ; d’autre part, guidée par mon seul désir, je souhaitais me pencher de très près sur des œuvres et des artistes avec lesquels j’avais décidé de « faire alliance » ... [...] J’ai [...] pris le parti de ne pas me plier au traitement tyrannique de ce qu’on appelle l’« actualité » (ne pas chercher à dénicher le dernier jeune talent à tout prix, ne pas m’embarrasser avec des considérations qui relèvent finalement plus de la consommation, de la sociologie ou des statistiques — vu/pas vu/trop vu ; connu/pas connu/trop connu — que de la critique), pour revenir aux bases, aux faits précis, aux œuvres dans leurs détails, aux démarches dans leur histoire et non dans leur apparition intempestive. Quant au choix des artistes, je ne peux le justifier autrement qu’en parlant de « sympathie » et d’ « intelligence réciproque » ; de même que je ne peux justifier ma démarche critique autrement qu’en parlant d’un « accompagnement ». Aller avec. Écrire avec — et non pas sur. Partant, j’assume le fait que ce choix ne ressemble à rien ... »

Cette même démarche est à l’oeuvre dans des écrits récents : Smith+Smithson+Simpson, en postface du catalogue de l’exposition A moitié carré A moitié fou (Villa Arson, Nice 2007) [21], dont Élisabeth Wetterwald a été l’une des commissaires avec Lili Reynaud Dewar [22] et Vincent Pecoil), la même limpidité, la même rigueur (dans la conception comme dans la documentation), la même netteté de l’intention, la même clarté dans l’exposition :

« On l’a vu, la position historique singulière du minimalisme [23], son ambiguïté, son caractère fondamentalement problématique inspirent encore fortement les artistes aujourd’hui : cette instabilité foncière s’avère source de digressions multiples. Mais cette génération [24] l’aborde par l’oblique, sur le mode de mises en relation indirectes et subtiles entre d’une part, ce que revendiquaient les artistes minimalistes, ce qu’ils voulaient que soit leur art, et ce qu’il était de fait. Et d’autre part, entre leurs aspirations (souvent idéalistes) et ce à quoi elles ont abouti aujourd’hui ; l’art minimal, le formalisme en général ayant été intégré, voire exploité maintes et maintes fois par les sociétés contemporaines. Les œuvres présentées dans l’exposition sont heureusement et consciemment abâtardies par ce qui n’est pas l’art, par le dehors, la culture, l’industrie, le design, l’entertainment : elles sont déjà complètement« dévoyées ». Elles accomplissent ainsi l’hétéronomie non assumée mais pourtant inhérente à l’art minimal. »

Et lorsqu’Élisabeth Wetterwald donne "quelques exemples", sa manière de décrire est si congruente à l’objet, que l’aller-retour entre l’oeuvre photographiée (à défaut de la ressentir in situ) et ce qui en constitue la notice, "justifie" (est-ce le verbe adéquat ?) tout autant l’oeuvre que son commentaire (je prends à dessein ce terme de la scolastique évoquée plus haut) : éprouver par exemple la vitalité des sculptures de Delphine Coindet. On ne s’étonnera guère qu’elle ait rédigé les notices [25] des oeuvres de Pierre Ardouvin dans la monographie qui vient de lui être consacrée : Eschatologic Park [26], et qu’elle y figure aux côtés de Guillaume Désanges [27], et de Céleste Olalquiaga (conversation avec Pierre Ardouvin autour de la notion de kitsch [28]).

J’ai la faiblesse d’imaginer que l’attention dirigée vers la composition des textes (en ce qui me concerne, les oeuvres plastiques en sont, certes d’une écriture et d’un déchiffrement autre, tactile par exemple), dans leur formalité plus que dans leur contenu, telle que l’évoque Alain Boureau, pourrait ne pas être étrangère à de nouvelles façons d’analyser l’environnement qui est nôtre en ses formalités diverses.

Ce n’est sans doute pas un hasard que les Presses du réel annoncent à paraître : Il neige, « un récit inclassable, fragmentaire et elliptique, fictif et autobiographique, hanté par la figure bienveillante de Roland Barthes, dans lequel s’entrecroisent réflexions et anecdotes sur l’art, le cinéma, l’écriture, la littérature et l’isolement » [29].

© Ronald Klapka _ 21 février 2011

[1Alain Boureau, En somme, sous-titre : Pour un usage analytique de la scolastique médiévale, éditions Verdier, 2011.

[2
— Alain Boureau au GAS, Groupe d’anthropologie scolastique, à l’EHESS.

— La Légende dorée, Le système narratif de Jacques de Voragine († 1298), aux éditions du Cerf, ouvrage salué par Jacques Le Goff. Alain Boureau est aussi l’éditeur et le préfacier de l’édition Pléiade de 2004.

— De vagues individus, La condition humaine dans la pensée scolastique. La Raison scolastique III souligne : « Aucune interrogation ne fut aussi riche et radicale avant la psychanalyse. Cet ouvrage se veut aussi le récit d’une lutte contre l’aliénation de soi, contre les doubles qui ne cessent d’étouffer l’individu. »

De l’introduction de cet ouvrage, il me faut souligner quelques phrases indicatrices :

Pourquoi la raison scolastique nous parle-t-elle toujours, en dépit de son exclusion de l’histoire du savoir, des moqueries et des rejets, du désintérêt progressif et continu pour les questions théologiques ? Ce ne sont pas les amateurs d’exotisme spirituel, d’étrangetés religieuses qui assurent sa survie chez ses lecteurs : ils ont d’autres pâtures. Non, ce sont plutôt les passionnés de logique, de linguistique, de métaphysique, de politique qui y cherchent matière, car le savoir scolastique a largement débridé les curiosités et poussé les enquêtes, bien au-delà de ce que des savoirs désormais domestiqués et bien délimités, depuis la Renaissance, peuvent offrir.
Ce qui manque dans notre univers de connaissances, c’est une audace ou une ingénuité qui puissent oser parler sans retenue des problèmes violents et insolubles de l’être humain, tout en usant d’une formalisation qui fasse passer d’un langage de savoir à l’autre. On veut connaître avec certitude l’incertitude. Les sciences humaines actuelles ont spécialisé, fragmenté et rendu techniques les interrogations essentielles. Mais il ne s’agit pas de traiter le passé scolastique en âge d’or de la conscience humaine ; les savoirs se répartissent historiquement. Dans l’histoire contemporaine, c’est une littérature et une psychanalyse qui se chargent de l’interrogation radicale ; en disant cela, je ne fais pas allégeance : on peut évaluer comme on voudra les acquis littéraires et analytiques, en discuter les principes et les moyens, il n’en reste pas moins que les questions sur les conduites humaines, dans leur variabilité inquiète, passent actuellement par ces champs.
Le sujet constitue, pour moi, l’horizon de la précarité existentielle, non une notion à définir et expliquer. On peut me reprocher une lecture naïve, directe et littérale des problèmes philosophiques, alors qu’ils ont leur propre histoire autonome, qui requiert la connaissance d’une tradition longue et complexe. En bien des cas, sans suivre les routes sinueuses et jalonnées, je prends des chemins de traverse : je prétends le faire ni par ignorance, ni par suffisance, ni par simplification, mais afin de suivre mon parcours propre, autour de la dualité et du double.

[3L’attention a été (trop) brièvement attirée sur ce numéro aux riches contributions, dans cette lettre « atopique ».

[4D’inoublieuse mémoire, je veux citer Libres commentaires de Stanislas Breton, que j’entendis un jour, présenter comme le dernier des thomistes, et dont la quatrième de couverture du livre se réfère explicitement aux Sentences :
« Au Moyen Age on commentait le Lombard et le livre de ses sentences. Je reprends volontiers le terme "sentences", non pour m’attarder au "sentencieux" qui rime souvent avec "ennuyeux", mais parce que, dans "sentences", il y a surtout, lorsque cela vous donne à penser au moins un commencement de pensée, le verbe sentir, l’émotion d’un certain sens et, en profondeur, la vibration d’une sensibilité. Je commente à mon tour, sans me lier toutefois à la continuité de la lettre qui obligeait le commentateur à suivre pas à pas le cheminement d’un auteur jusqu’au terme de son œuvre. Je prends mes libertés, tout d’abord en détachant de son texte et contexte la "sentence" que j’ai choisie .... »

[5Alain Boureau, Daniel S. Milo, Alter histoire., Essais d’histoire expérimentale avec H. Le Bras, P.-A. Rosental, A. Rousselle, Ch. Jouhaud, M. Soo Kang.

[6voire de la Nouvelle Revue de Psychanalyse.

[7« Penser/Rêver : le jour et la nuit. Leur rencontre, leur séparation quand la longue pensée du jour prend le relais de la réalisation brève, hallucinée du désir du rêve. Leur voisinage, au coucher, quand la pensée se déshabille. Une pensée, consciente et inconsciente, modifiée par le rêve, et qui y retourne comme à sa source ignorée. Le jour dans la nuit (la découverte freudienne est découverte des Lumières), mais aussi les ombres que L’Interprétation des rêves jette, toujours aujourd’hui, dans la pensée.
Penser rêver le fait de l’analyse, c’est retourner au peu correct programme des réunions de la Société psychanalytique de Vienne où, au début du xx’ siècle, on discutait du capitalisme et des bonnes d’enfant, de la taille supposée des organes génitaux de Swift ou de la pulsion de mort, de « la question du père » ou de ce qu’on pouvait apprendre de Kleist, de la vénération des seins ou des révolutionnaires russes, de l’hérédité, du sourire, du réflexe « psycho-galvanique », du vagabondage, de la vie pulsionnelle ... Penser/Classer, écrivit Perec : le désordre de la pulsion et de ses objets inclassables peut-il être pensé s’il n’est aussi dé-figuré et délocalisé par le rêve ? C’est, comme au temps de la découverte, une question de méthode, où il s’agit de penser à partir de ce qu’on ne connaît pas. »

A cet argument des premiers numéros a succédé celui-ci :

« penser/rêver : pour entrer dans le trouble de la réalité intérieure, dans la déraison du monde, voir ce qu’il est en nous. »

Site de la revue, dirigée par Michel Gribinski, publiée aux éditions de l’Olivier, ainsi que la collection d’essais qui l’accompagne

[8P/R n°15, « Toute-puissance », pp. 159-163

[9P/R n° 2, « Douze remèdes à la douleur », pp. 88-96

[10P/R n° 16, « Un petit détail comme l’avidité », 2009, pp. 111-120.

[11P/R n° 12, « Que veut une femme ? », automne 2007.

[12P/R n° 11, « La maladie chrétienne » printemps 2007.

[13P/R n° 14, « L’inadaptation des enfants et de quelques autres », automne 2008.

[14Alain Boureau, La Religion de l’État, La construction de la République étatique dans le discours théologique de l’Occident médiéval (1250-1350), Belles Lettres, 2006.

[15Pour le lecteur qui n’en aurait pas idée, consulter Wikipedia, ou mieux les pages du Prologue de la Première partie aux éditions du Cerf (le feuilletage du texte en ligne, un peu long).
Mentionnons juste le rythme donné à la pensée par la forme récurrente d’une question disputée. Après son intitulé : objections, sens contraire, réponse, solutions.

[16Cette revue critique annuelle sur l’art contemporain, publiée par M19, est disponible aux Presses du réel.

[17

— L’article d’Élisabeth Wetterwald : Mario Garcia Torres : Some places to which we can come (20/27, n° 2.

— L’oeuvre a été présentée récemment dans l’exposition Prospective XXI° siècle au Plateau (FRAC Île de France), elle le fut à la Biennale de Venise en 2007.
L’artiste enquête sur une oeuvre tenue secrète, conceptuelle, sans réalité matérielle, n’existant qu’entre quelques étudiants du Nova Scotia College of Art and Design de Halifax, sur l’initiative quelques trente ans plus tôt, de Robert Barry.
Les noms, de Borges, Blanchot, Perec (celui de W, des Récits de Ellis Island), Derrida (« On ne saura jamais depuis quel secret j’écris »), voire Quignard (la mise au silence) viennent spontanément à l’esprit pour évoquer cette mise en oeuvre d’un désoeuvrement, oeuvre secrète dont le secret et le désoeuvrement produisent l’oeuvre-même ! Cette recension : Mario Garcia Torres : A Fascination with Nothingness pourra en suggérer l’idée, voir/vivre l’oeuvre — la projection d’une cinquantaine de diapositives en noir et blanc, sous-titrées — est une expérience irremplaçable (et ineffaçable).

— Un entretien avec l’artiste à partir de cette oeuvre existe en anglais : avis aux traducteurs !

— Autre suggestion, concernant le travail de Mario Garcia Torres, cette présentation d’Élisabeth Wetterwald, dans une conférence à destination de professeurs d’arts plastiques afin de préparer leurs élèves à la visite de l’exposition : What Doesn’t Kill You Makes You Stronger.

[18Élisabeth Wetterwald, Rue sauvage, Presses du réel, 2003.

[19Bio-bibliographie succincte ; site personnel en cours d’élaboration.

[20Une attention toute particulière pour Tatiana Trouvé (et son B.A.I., bien avant le prix Marcel Duchamp) — v. la notice d’Eric Mangion —, Alain Bublex (un entretien qui resitue Glooscap), Boris Achour (« Il ne peut rien pour vous »). J’apprécie que la référence philosophique (Deleuze, De Certeau) ou littéraire (Édouard Glissant) ne présente jamais un caractère décoratif ou connivent ; la note de bas de page indicatrice pour ainsi dire superfétatoire, tant les discours se fondent (homophonie qui va ici à ravir).
Une attention non moindre aux autres démarches interrogées : des singularités se croisent, communiquent sans se confondre. Une acceptation assumée de la contingence s’y fait jour. Une manière donc de faire lien (fût-il conflictuel, décalé) avec le monde tel qu’il se donne, au niveau des signes, en son apparence de « plein ». A cet égard, « Emmêler le monde », à propos de Bruno Peinado, en donne le .

[21A moitié carré à moitié fou, Les presses du réel, 2007, un catalogue aussi beau qu’intelligent.

[22Dont l’installation Antiteater au FRAC de Reims fit impression, et qui développe ici son point de vue : Survie minimale, selon deux axes : 1. Le Temps, 2. La Tangente.

[23Vincent Pécoil (Le minimum, un maximum travesti ?) indique :
« A moitié carré, A moitié fou n’est pas une note de bas de page à l’histoire de l’art minimal. Le propos de l’exposition n’est pas tant l’art minimal que ce qu’il est devenu, au travers du prisme d’un certain nombre d’ œuvres récentes. Ces œuvres ne sont ni minimales, ni néo-minimales. Il est bien question ici d’un héritage, mais le tout est de savoir ce sur quoi il porte. » Il conclut ainsi :
C’est une politique des formes (allusion au communisme formel de Nicolas Bourriaud), et pas un formalisme. Changer nos relations aux formes (je souligne), à notre environnement visuel en général, est d’une importance vitale, dans la mesure où nous ne percevons le monde que par les formes, qu’au travers d’elles ; elles constituent notre environnement, celui où nous évoluons en plein jour, comme celui auquel nous rêvons les yeux fermés. [...] S’ils ne sont pas quantifiables, les effets de l’art n’en sont pas moins considérables. L’intérêt que lui portent les différents domaines d’activité que l’on a regroupés ici sous le terme d’industrie culturelle en est un indice non négligeable. Nous ne percevons et ne comprenons le monde qu’au travers des formes et des couleurs, et l’art en procure une expérience de première main, plus intéressante que celle de ses produits dérivés.

[24Elle précise :« Les artistes qui nous intéressent sont au contraire polyglottes, jonglent avec des langages différents, mixent les sources et y prennent visiblement un certain plaisir. Refusant les spécificités tout autant que l’universalité et les positions, ils évoluent délibérément dans des situations - mouvantes, hétérogènes, ambivalentes et irrésolues - qui les préservent des « autorités » de toutes sortes. »

[25Trop tard. En voici une.

[26Eschatologic Park, Pierre Ardouvin,
Les presses du réel, 2011.

[27Lire son texte sur le site de Pierre Ardouvin.
Un quatrième épisode du programme Érudition concrète, est annoncé au Plateau, et attendu.

[28A cet égard, v. l’article de Guillaume Désanges, A propos du livre de Céleste Olalquiaga, Royaume de l’artifice : l’émergence du kitsch au XIXéme siècle, paru aux éditions Fage (2008)

[29Voilà qui donnera de lire et de penser hors pistes ...