écrire, lire : sait-on jamais

09/04/10 — Cécile Guilbert, Lucette Finas, Marc de Launay, Jean Rodier, Jean Frémon, Louise Bourgeois


Mais comme disent les écrivains anglo-saxons, « writing is writing » et cette forte sentence fait tomber la question des genres, question d’ailleurs dépourvue d’intérêt puisque, tout comme la vérité s’oppose à l’erreur, seuls existent les livres qui s’opposent aux non-livres.
Cécile Guilbert [1]

Il y a des gens (je ne saurais dire s’ils sont nombreux ou pas) qui en lisant un texte, sentent qu’ils auraient pu l’écrire. Mais ils ont surtout le sentiment que le texte est puissamment enfoui, car, pour la plupart, ce n’était pas la première fois qu’ils le lisaient. L’on écoute rarement l’autre. Et plus rarement encore, l’on comprend la pensée de l’autre.
Une pensée mal comprise est une pensée mal énoncée. Mais lorsque le contraire se vérifie, il se produit un choc d’énergies, qui est très caractéristique. Il se crée alors une alcôve fragile d’écriture commune.
Maria Gabriela Llansol [2]


« Sait-on ce que c’est qu’écrire ? » Lucette Finas à propos de Cécile Guilbert

Lucette Finas, dans un récent numéro de la revue Critique [3], fait de la question de Mallarmé [4] le fil rouge de sa libre réflexion, sa propre « causerie » sur les livres et le style de Cécile Guilbert. A propos du dernier en date, elle écrit : « Moins roman que jamais, cette suite de textes est tour à tour une vitrine de luxe, calme et volupté qu’irradie l’éloge du porte-jarretelles » ... [5] qui dans l’ouvrage en question se conclut ainsi :

« Qui veut la fin veut les moyens. De jour comme de nuit. Car n’en porter que le soir, c’est révéler une intention spéciale, une insistance déplacée, un côté tralala d’exception. Sans être contre le « grand jeu », je suis plutôt pour le jeu tout court, à tout moment. Si la nuit est une fête, n’importe quelle heure de la journée peut l’être aussi. Question d’improvisation, c’est-à-dire d’instant et d’instinct. » [6]

Lucette Finas ne s’y est pas trompée : pas de solution de continuité entre cette affirmation, qui n’est nullement de frivolité, et l’énergie de l’écriture décelable dès le premier essai publié, dont les pages qui suivent valent d’être rappelées pour ce qu’elles disent de la manière et du projet :

“Saint-Simon n’est pas écrivain au sens de la position symbolique occupée dans le champ social, mais il en est un authentique dans la mesure où il sait précisément à quoi s’en tenir sur la réalité sociale. Contre les oripeaux du littérateur, souvent perçu comme un laquais du Prince, il fourbit la machine de guerre de la littérature.
On simplifie toujours trop hâtivement la vie des mémorialistes, comme si le temps de l’écriture succédait à celui de l’existence, comme si écrire n’était pas vraiment vivre, comme si la « vraie » vie n’était pas la littérature.
L’image de Saint-Simon [...] semble fixée dans une séquence convenue. Courtisan avide d’honneurs, jaloux de son influence et de son rang, prêt à toutes les imprudences pour le défendre [...] mettant de l’ordre dans ses papiers afin de rédiger ses Mémoires, comme par une inversion de la vie. Comme par compensation. Autant dire pour s’en venger.
Ainsi court la vulgate, façonnant cette image complaisante d’un vieillard tout droit sorti d’une vanité jonchée de crânes et de fleurs pourries. Or, l’écriture est d’un bout à l’autre une affaire de vivant, celle d’un corps scripteur crypté de vie, immergé dans le temps qu’il innerve en retour.” [7]

Une affaire de vivant. J’ai une faiblesse pour L’Écrivain le plus libre [8], souscrivant tout à fait à ces propos de Lucette Finas :
« Certes, le livre que Laurence Sterne a fait, Tristram Shandy, est de lui, mais L’Écrivain le plus libre qu’elle en fait est d’elle. En choisissant cet ouvrage de Sterne, elle prend l’exemple d’un roman hardi et hautement complexe dont la narration, remuante au possible et secouée de vents contraires, propice aux apparitions, se voue au spectre de l’auteur et au diabolos de sa lectrice et interlocutrice. »

Peut-être n’est-il pas exagéré de la part d’Éric Naulleau de voir en Cécile Guilbert, « l’essayiste la plus libre » [9], Lucette Finas se sera ici, elle aussi, employée à le suggérer, et nous amène ainsi à y souscrire possiblement.

Marc de Launay, Lectures philosophiques de la Bible, Babel et Logos

Marc de Launay [10], posait, dans un précédent essai, la question : « Qu’est-ce que traduire ? » [11]. Un de ses derniers livres, chez Hermann [12], s’ouvre par celle-ci : « Comment lire ? »

Ce qui se précise ainsi : « [...] l’hypothèse qui a guidé ici le travail de parerméneute [13] dont on présente divers résultats partiels est que [l]es auteurs bibliques ont fort bien pu être animés par des réflexions d’ordre philosophique ante litteras même si leurs techniques discursives et argumentatives sont loin d’être « grecques ». L’extrême attention qu’ils portaient à leur propre langue, et qui se manifeste dans le raffinement des techniques d’exposition auxquels ils ont eu recours montre qu’ils s’appuyaient sur des anticipations propres à un « logos », et qu’ils étaient à cent lieues de donner dans la nostalgie ou la confusion de Babel. » (20)

De cette introduction, ajoutons : « Cette dynamique du texte joue également le rôle d’une leçon, donnée en seconde voix, sur la nature du langage qui, précisément, n’est pas d’origine divine et ne peut donc qu’être lui aussi soumis aux mêmes bornes de la finitude que ceux qui le parlent ou, en l’occurrence, l’écrivent sans se placer hors de lui ou au-dessus de ses limites. On le verra encore mieux dans l’épisode de Babel où toutes les ressources d’une langue sont mobilisées, de manière virtuose, pour dire et le pouvoir qu’offre la maîtrise d’un art langagier et l’aberration de ceux qui voudraient nier cet art au profit d’un sens immédiat, d’une transparence totale. » (18)
et c’est renvoyer au chapitre V : La régression de Babel, et à l’éblouissante démonstration qu’« il s’agit de s’arracher à la mythologie qui régnait partout, afin de tout reconquérir, et d’abord la terre rendue à l’histoire indéfinie de nos rapports avec la réalité, enfin médiatisés par les langues, c’est-à-dire par les pensées différentes, prises néanmoins dans l’horizon universel de toute cette terre devenant enfin monde. » (113)
Les différentes études s’ordonnent comme suit : Genèse I lu par Franz Rosenzweig ; « Où es-tu Adam ? » ; Genèse d’Ève : le premier nom propre ; Caïn et Abel, Abel et Caïn ; La régression de Babel ; La « faute » d’Abraham ; Judith, Achior et Holopherne, autant d’exemples dont l’analyse fait apparaître la dimension philosophique au-delà de leur aspect narratif. Héritier des relectures de Benjamin, Rosenzweig, Levinas ou encore Ricoeur, Marc de Launay s’attache en philosophe et en philologue à montrer comment le texte lui-même indique la manière dont il construit ses significations [14].
La page (89) qui ouvre le chapitre Caïn et Abel, Abel et Caïn (ce chiasme lié au jeu de préséances croisées qu’offre le début du chapitre 4 de Genèse), manifeste à cet égard la déontologie du traducteur et de l’interprète, avec l’exposition des différentes traductions du verset 2b [15] : Septante, Vulgate, Luther, Buber-Rosenzweig, King James, Segond, Dhorme, Bible de Jérusalem, selon qu’est marquée ou non une différence temporelle, une opposition ou non, ou leur(s) combinaison(s). Et ce qui est ici mis en valeur, c’est que « la violence meurtrière est directement mise en rapport avec la manière dont la dette — la mémoire aussi — est comprise comme avec l’absence de parole médiatrice » (94). Ce qui évite de considérer le texte comme « un récit mythologique dont l’interprétation ne requiert pas plus d’efforts qu’une fable ».

Jean Rodier, en remontant les ruisseaux

« Mes débuts tardifs, en solitaire, sans initiation, cette répugnance à fouetter l’eau m’ont laissé en matière de pêche à la mouche au stade d’éternel débutant ».

Je ne crois pas que ce soit le terme modestie qui convienne pour cette assertion de Jean Rodier à la page 79 de en remontant les ruisseaux, son très beau livre publié récemment à L’Escampette [16]. Pareillement pour la quatrième de couverture qu’il a signée :

« C’est une promenade de pêcheur mais ce n’est pas un livre de pêche, c’est une description des cours d’eau mais ce n’est pas un guide, plutôt un vagabondage dans le Haut Gévaudan, l’histoire d’un enchantement devant ses monts, ses vallées, sa flore, sa faune, ses eaux vives - le tout émaillé de souvenirs, de « rêveries », de quelques agacements, avec, en contrepoint, des citations d’auteurs anciens ou modernes ... »

Le lecteur sera vite convaincu que pour lui, pêche à la mouche et écriture relèvent d’une même éthique, d’un même engagement, d’un même amour, d’une même fascination, de qui refuse la séduction [17].

Voyez cette précision — elle n’est pas que linguistique, elle est littéralement portée :

« Retroussée par les bourrasques, tout hérissée, l’eau est illisible.

Le temps que je change ma petite mouche rousse, indétectable dans les friselis nerveux et le miroitement sur eux du soleil blanc, pour une éphémère au corps jaune cerclé de tinsel doré, collerette gris-jaune, tête noire, le vent a brusquement forci : je ne peux lancer qu’adossé à lui. Je trouve enfin un petit gour bien orienté, en courbe, traversé par un courant qui s’accélère en sortie sur un radier. Je lance sous ma canne, comme un pêcheur au coup, et ma soie se déplie horizontale dans le vent. Lorsque, par de petites tractions et des relâchers, je parviens à poser la mouche, elle drague sur la surface agitée et s’en arrache violemment. Dans une brève accalmie le bas de ligne, donnant moins de prise au vent, s’incurve et l’imitation d’éphémère effleure l’eau au centre du courant, la soie gonflée comme une voile. Le gobage, le premier, est brutal, le ferrage immédiat. J’épuise une fario de vingt-quatre centimètres. Cette petite truite, rendue sombre par la profondeur de l’eau, ma première à la mouche sur le Bès, prise dans la bourrasque, de cette façon, me ravit. » [18]

Au lecteur, à la lectrice, je ne peux que souhaiter d’être ravis à leur tour, d’accéder à ceci :

« La pêche comme discipline pour se soustraire au discursif, pratique de l’abandon à ce qui n’est pas soi, exercice pour être un vivant parmi les autres, lavant le sable abrasif du savoir, pour une connaissance diffuse, non dans un relâchement mais dans la tension de l’animal en maraude.
Le rêve d’aller à travers la montagne de ruisseau en ruisseau et de ruisseau en lac, de lac en rivière, sans frontières ni restrictions que sa propre liberté.
On monte à travers les forêts, les prairies, parfois encombrées de granits, le bruit des ruisseaux rapides - où l’on peut rêver d’une vie délicieuse - et on débouche sur le plateau à l’herbe rase, aux ruisseaux lents, aux lointains bleus, au vent - endroit que l’on imagine propice à la pensée. Pour peu qu’on y demeure on comprend : c’est ici le lieu où la pensée s’absente. » [19]

Et l’on a envie d’ajouter : et où naît l’écriture, à l’heure « où le chaos, par petites touches ou grands soubresauts contamine le monde » (14), la lecture de ce livre fait l’effet d’une lustration bienfaisante, sans qu’il soit besoin d’être amateur de pêche à la mouche, pour en apprécier toute la saveur.

Naissance, Jean Frémon ; dessins de Louise Bourgeois

« Pas d’artifices, avait dit encore le chanoine, [...]. Que votre peinture soit une aide à l’enseignement de la vraie foi, voilà ce qui nous importe, rien d’autre. [...] Ce n’est pas tant à décorer nos églises que servent les tableaux que vous faites, vous et ceux de votre corporation. Ils sont les seuls livres que comprennent les non-lisants, ces enfants. [...]. Votre responsabilité est grande. Elle est à la mesure du pouvoir des images sur les imaginations.

C’est aux apparences de la peinture qu’il revient de faire la preuve de la réalité. » (Naissance, pp. 10-11)

Jean Frémon fait ici allusion aux pratiques picturales de la période qui va du début du quinzième siècle à la réaction provoquée par le concile de Trente : « Il y a bien un peintre qui le premier a décidé de peindre Jésus nu et il y a à cela des raisons sérieuses et c’est de cela que je parle. Et je crois fermement que c’est bien dans l’entrejambe de l’enfant que le Roi regarde sur un grand nombre d’Adoration des Mages de la Renaissance » écrit-il dans Naissance, une manière de conte, parue aux éditions Fata Morgana [20].

Le lecteur de Gloire des formes, aux éditions POL [21], et spécialement de la partie intitulée Double Corps des images, ne manquera de percevoir la continuité avec la réflexion qui y a été rassemblée.

Les dessins de Louise Bourgeois [22], datés de 2007 : des silhouettes de femmes avec un embryon dans le ventre, tracées d’un pinceau gorgé d’eau et de gouache rouge, sont pour Jean Frémon, « les plus tendus et les plus émouvants de sa longue carrière » ; ainsi puis-je présumer que c’est The birth (illustration de la p. 22) qui aura conduit au titre du livre.

© Ronald Klapka _ 9 avril 2010

[1Cécile Guilbert, en réponse à Écrire, pourquoi ? éditions Argol, 2005, p. 70.

[2Maria Gabriela Llansol, L’espace édénique, éditions Pagine d’arte, 2009, pp. 87-88 ; sur Maria Gabriela Llansol, v. Maria Gabriela Llansol, figures du livre intérieur.

[3Cette étude enjouée, empathique s’inscrit dans Chemins de la liberté, le thème du n° 755 de Critique, avril 2010 : « Lutter pour conquérir l’émancipation individuelle et collective, travailler à la conserver : tels sont les « chemins de la liberté » que tracent les auteurs présents dans ce numéro. Liberté dans l’enseignement universitaire, dans la recherche de la vérité par les mathématiques, dans la politique et jusque dans l’imaginaire. Mais aussi liberté dans l’amour. Chemins vers des modes de vie et de pensée dégagés de l’irrationnel, du fanatisme et de la contrainte ».

Sont passés en revue dans l’article :
Saint-Simon ou L’Encre de la subversion, Gallimard, coll. « L’Infini », 1994 ; Pour Guy Debord, Gallimard, coll. « L’Infini », 1996 ; Le Musée national, Gallimard, coll. « Blanche », 2000 ; L’Écrivain le plus libre, Gallimard, coll. « L’Infini », 2004 (entretien avec Éric Naulleau pour le Matricule des anges) ; Warhol Spirit, Grasset, 2008 (site) ; Sans entraves et sans temps morts, Gallimard, coll.« Blanche », 2009.

Si la lecture de l’article de Lucette Finas est des plus recommandées, il est également possible de se donner une idée du travail de
Cécile Guilbert, avec Rien :

« Devant ma table, à hauteur de regard, est encadrée la reproduction d’une œuvre géniale de Jean-Michel Alberola représentant un crâne humain en tube de néon rouge dont les contours composent sur fond noir le mot "rien" .
Ce "rien" figurant sacrément quelque chose – un signe métaphysique, un symbole de la création, le siège de toute pensée, le fond d’où elle surgit à rebours de tout nihilisme – j’ai fini par voir dans cette métaphore aussi électrique qu’électrisante, ce qui reliait à divers degrés les quatre personnages auxquels j’ai consacré des essais : une singularité artistique de grand style alimentée par le goût de la stratégie et la cérébralité. Comme si l’art suprême consistait à connaître ’’le néant de tout’’ (Saint-Simon) tout en se proclamant ’’docteur en rien’’ (Guy Debord). Comme s’il s’agissait toujours de ’’raconter sa tête’’ (Laurence Sterne) en sachant qu’’’il faut traiter le rien comme s’il était quelque chose, faire quelque chose avec rien’’ (Andy Warhol) ».
Rien est un entretien dont la video est en ligne, tout comme quelques autres : Danielle Mémoire, Patrick Mauriès, Florence Dupont, Michka Assayas, Tanguy Viel, Pierre Senges, Enrique Vila-Matas et remarquablement, Une madeleine, pourquoi faire ?, Olivier Cadiot (Festival Rosebud Centre Pompidou, 21 octobre-22 novembre 2009).

[4« Cette question, « Sait-on ce que c’est qu’écrire ? », Mallarmé la soulève à l’ouverture de ce qu’il nomme sa « causerie » sur Villiers de l’Isle Adam. Répondant à sa propre interrogation, Mallarmé énonce : « Une ancienne et très vague mais jalouse pratique, dont gît le sens au mystère du cœur. Qui l’accomplit, intégralement, se retranche. » L’adverbe « intégralement » intéresse les deux verbes. Et l’auteur dont nous allons parler s’entrevoit derrière le « qui ». Mais qu’est-ce que se retrancher ? Du point de vue militaire, c’est se défendre contre un ennemi grâce à des fortifications ; du point de vue religieux, c’est s’isoler pour échapper aux séductions de la vie profane. Du point de vue littéraire, celui de l’auteur et le nôtre, c’est réagir contre l’outrecuidance du roman qui, à grand renfort d’œuvrettes, accapare l’attention du public au détriment du poème ou de l’essai ou de tout autre genre, présent ou à venir. »

[5Terminons la phrase : ... une suite de bals costumés dans des hôtels particuliers, entre le luxe, menacé, de l’oisiveté et celui, plus menacé encore, de la langue, avec, néanmoins, ce constat presque rassurant : « Voici donc un superflu très simple et très proche, tellement simple et tellement proche qu’il semble insoupçonnable : "Prends et lis" a soufflé Dieu à saint Augustin avant sa conversion. » Et de conclure : « La plus grande liberté est ici - le plus grand luxe, aussi. »
Voilà qui n’est pas sans faire songer à : « Une vie passée à lire, voilà une bonne vie. », Geneviève Brisac à propos d’Annie Dillard (En lisant en vivant) .

[6Sans entraves et sans temps morts, p. 40

[7Saint-Simon ou L’Encre de la subversion, pp. 50-51

[8Le séminaire de Françoise Davoine n’y est pas pour peu ; encore faut-il avoir du nez, comme au chapitre XXIV du volume III :


Fair and softly, gentle reader !--------where is thy fancy carrying thee ? --------If there is truth in man, by my great grandfather’s nose, I mean the external organ of smelling, or that part of man which stands prominent in his face,--------and which painters say, in good jolly noses and well-proportioned faces, should comprehend a full third,--------that is, measuring downwards from the setting on of the hair.--------


What a life of it has an author, at this pass !

Ce que la version de Guy Jouvet (Tristram, 2004, p. 333) rend par :


Ah ! belle, douce et aimable lectrice ! --------où ton imagination va-t-elle se nicher et te transporter ? --------Si la vérité n’est pas un vain mot pour nous autres humains, par le nez de mon bisaïeul je n’entends, crois-moi, pas autre chose que cet organe externe de l’odorat, ou cette partie de l’homme qui fait saillie au milieu de sa figure, --------et dont la longueur, selon les canons des peintres, pour un gaillard d’appendice ayant la dimension idoine dans un visage parfaitement proportionné, doit en comprendre au bas mot le tiers de la hauteur, --------mesurée, je précise, à partir de la racine des cheveux.--------


Quel métier, mes amis, pour un auteur, s’il lui faut en plus s’astreindre à la corvée de mesurer les nez !
Voir la recension du Matricule des anges.

[9Cette allègre subjectivité se mesure dans des articles pleins de vivacité, au ton engagé, lorsqu’ils concernent la correspondance de Céline ou encore la parution récente du Pléiade Lautréamont ; avec ce principe : « L’enjeu de la critique consiste surtout à comprendre un écrivain. À partir de son trajet singulier comme à l’aune de tout ce qu’il a déjà écrit, de l’ampleur de son ambition et de ses forces. » Ainsi fait-elle dans sa recension du dernier livre de Pierre Michon, précisant : « D’autant plus que Les Onze est un livre passionnant. Et qui donne à penser. » Et en indiquant, in fine : « Que penser alors de l’opération marquant du sceau du plus grand art onze « parricides » (ainsi s’appelaient à l’époque les régicides) ? Sans doute signe-t-elle le déchirement intime de l’auteur entre l’inégalité que suppose l’individuation de l’art et l’égalité sociale promise par la révolution. » Le Monde des livres, vendredi 24 avril 2009, texte repris sur le site des éditions Verdier.

[10Marc de Launay (1949) est chercheur au CNRS en philosophie (Archives Husserl de Paris - ENS-Ulm), et traducteur de philosophie allemande.
Ses domaines de recherche touchent essentiellement à la philosophie allemande post-kantienne : Nietzsche, les différents courants du néokantisme école de Marbourg, école de Bade les théories de l’herméneutique depuis Schleiermacher, les judaïsmes allemands au tournant du XIXe siècle, et l’herméneutique biblique. Fiche établie pour le site nonfiction.

[11Marc de Launay, Qu’est-ce que traduire ? Vrin, « Chemins Philosophiques », 2006.

[12Marc de Launay, Lectures philosophiques de la Bible, Babel et Logos, éditions Hermann, 2007.

[13« Ce qui apparaît en plaçant ces textes sous l’éclairage de l’herméneutique critique, c’est tout d’abord que leurs auteurs n’usaient pas de manière naïve d’un langage dont ils eussent été prêts à reconnaître l’origine divine ; c’est ensuite qu’ils étaient conscients de devoir soigneusement composer des textes dont le disparate est presque certain : leurs sources, leurs dates de composition, leurs signatures étaient différentes ; c’est enfin que leur souci de s’adresser à plusieurs types de lecteurs en ménageant les attentes plus convenues de la plupart, les exigences plus profondes de certains autres. »

[14Trois titres de la collection Triptyque chez Desclée de Brouwer (ils associent généralement un exégète, un écrivain, un critique d’art) en donnent la matière et la manière, tout en signalant d’autres lectures possibles :
Le sacrifice d’Abraham ; Olivier Revault d’Allonnes, Marc de Launay, Stéphane Mosès
Marc de Launay propose une autre cause à ce sacrifice paradoxal : c’est parce qu’il a signé une alliance purement temporelle avec le roi Abimélekh qu’Abraham, soumis à l’épreuve, va pouvoir se ressouvenir du sens de la Promesse.
Judith et Holopherne ; Catherine Lépront, Marc de Launay, Laura Weigert
Marc de Launay, analysant la structure du récit, s’attarde sur ses deux figures centrales et symétriques : Achior, chef de guerre quittant les rangs de l’armée d’Holopherne pour s’introduire à Béthulie, où il se convertira ; Judith, femme pieuse devenue soldate vengeresse, rejoignant le camp de ses ennemis pour éradiquer l’idolâtrie.
La tour de Babel ; Marc de Launay, Pierre Bouretz, Jean-Louis Schefer
Marc de Launay propose de voir dans la confusion des langues tout sauf un châtiment, mais l’inscription d’une transcendance, et donc d’une historicité, au sein de l’immanence d’une " langue une ", régressive et répétitive.

[15Hébreu : « vayéhi hebel rohéh tzoan vékaïn haïah hoved adamah ».

[16Jean Rodier, en remontant les ruisseaux, ouvrage sous-titré Sur l’Aubrac et la Margeride, éditions L’Escampette, 2010.

[17Ici à nouveau, survient à l’esprit la différence établie par Maria Gabriela Llansol :
La séduction est une relation de captation, un dispositif gestuel et scénique de soumission de toutes les voix à une seule, ou bien parce qu’elles proviennent d’une voix unique, ou parce qu’à cette voix elles doivent retourner, pour se fondre avec elle. Kafka comprit que la séduction était une énergie pesante et visqueuse, une scène de faux-semblants, d’obligations sociales, de fondements païens et de livres de formules, une fatalité d’enfermement sans loi de réciprocité.
La fascination, au contraire, est un événement impondérable sans destinataire précis, elle est dénuée d’une quelconque volonté de séduire : c’est une pure affirmation génératrice de mouvement. Et, sous cet aspect, Musil (et, de façon différente, V. Woolf) est allé assez loin. Il a senti que la fascination était aérienne, volatile, engageante sans accaparer.
Maria Gabriela Llansol, L’espace édénique, p. 98.

[18ibid. p. 77-78.

[19C’est ici que l’on imagine le dialogue de Jean Rodier avec l’auteur de La Ligne.

[20Naissance, Jean Frémon ; dessins de Louise Bourgeois, aux éditions Fata Morgana, 2010.
L’auteur précise (avis au lecteur, à la lectrice sagaces) :
« A l’exception de ses conclusions aventureuses, ce petit conte tire presque tous ses arguments du livre magistral de Leo Steinberg : The Sexuality of Christ in Renaissance Art and in Modern Oblivion (The University of Chicago Press, 1983) ; mais il ne se prive pas d’emprunter aussi, pêle-mêle, à Clément Rosset, à Franck Stella, à Claus Sluter, à Bartolo di Fredi, à Geertgen tot Sint Jans, à Rogier van der Weyden, à Joan Miro, à Vincent Van Gogh, à saint Augustin, à Antonio Lollio, à Francescus Cardulus, à Edward Gibbon, à Emmanuel Hocquard ... »
NB : « Sexuality » a pour acception « caractère sexué », cf. ce savant article des Annales, E.S.C., de 1991.

[21Jean Frémon, Gloire des formes, POL, octobre 2005. Livre apprécié par Pierre Le Pillouër, qui n’a pas manqué de relever : « ...la poésie n’est pas dans je ne sais quelle poétique mais dans le surcroît. Elle est dans ce qui mystérieusement demeure- parfois- quand on s’est évertué à chasser systématiquement tout ce qui lui ressemble. »

[22L’amitié pour l’artiste s’était déjà manifestée dans l’essai : La maison de Louise Bourgeois, qui occupe les pages 189 à 207 de Gloire des formes.